Cet article a été initialement publié sur VICE Australie.
Le 11 mars 2011, dans l’est du Japon, la région de Tohoku était frappée par un violent tremblement de terre suivi d’un tsunami, causant plus de 15 000 morts. L’épicentre du tremblement était localisé tout près de la côte, à proximité du cœur de la centrale nucléaire Fukushima Daini. Un tsunami de 12 mètres est alors venu s’écraser et briser la digue censée protéger la centrale. Malgré les avertissements, les opérateurs de la centrale n’avaient rien fait pour veiller à la sécurité des habitants – jusqu’en ce jour fatidique.
Videos by VICE
Trois réacteurs sont alors entrés en fusion, et d’immenses volutes de fumée se sont échappées pour envahir les villes et fermes alentour. Près de 170 000 personnes ont été évacuées en 24 heures. Malgré la fonte des réacteurs, ces derniers continuent depuis de propager des radiations.
Comme tout le monde, j’ai été mis au courant de la catastrophe dans les heures qui ont suivi l’événement. Puis, plus rien. À peu près aucune information au sujet de Fukushima n’a circulé en cinq années. C’est à partir de ce postulat que j’ai décidé de me rendre au Japon afin de constater par moi-même les conséquences de la pire catastrophe nucléaire du XXIe siècle. Je suis monté dans une Porsche et ai visité la zone radioactive de Fukushima.
Il n’existe presque aucune information sur Internet pour visiter la zone ; le gouvernement japonais a totalement abandonné l’idée d’une forme de tourisme dans la région – on les comprend. Aucune carte disponible, donc. C’est seulement après m’être entretenu avec trois experts australiens que j’ai appris qu’il existait en réalité trois subdivisions au sein même de la zone d’exclusion.
La première, verte, est celle où l’on peut se rendre en journée et y passer la nuit, muni d’une autorisation. La seconde, orange, certifie que seuls certains experts et scientifiques sont autorisés à y pénétrer, et seulement en journée – la police ne manque pas d’évacuer la zone lorsque le soleil se couche. Et enfin il existe une zone rouge, où personne n’est autorisé à entrer.
Je suis paré pour pénétrer dans la zone rouge. J’ai enfilé une combinaison de protection, des gants, un masque, des lunettes et des bottes achetées dans une quincaillerie dans la section, adéquate, des « accessoires contre les radiations ». Nous pouvions enfin nous lancer en direction de Fukushima, à trois heures de route au nord de Tokyo. À dire vrai, la combinaison et le masque ne protègent en rien des radiations ; pour cela, il faudrait qu’ils soient constitués d’une couche de plomb épaisse de cinq centimètres. Néanmoins, ils protègent des poussières radioactives, empêchant celles-ci de se poser sur notre peau ou de s’installer dans nos poumons.
En revanche, je n’avais aucunement besoin de louer une Porsche 911 Carrera pour visiter Fukushima. Mais merde, on ne pénètre dans une zone radioactive qu’une fois dans sa vie.
Des relevés de 0,1µSv/h – 4,1µSv/h dans la préfecture de Fukushima. Les taux normaux de radiation oscillent entre 0,1 – 0,2 µSv/h.
Nous faisons un premier arrêt à Nahara, dans la zone verte. Le gouvernement essaie aujourd’hui de repeupler progressivement la zone, pourtant seuls 15 % des habitants sont retournés dans leur maison depuis le drame. Puis nous reprenons la route, direction la zone orange, près de Tomioka.
Là, nous apercevons plusieurs panneaux indiquant la direction de feu la centrale nucléaire de Fukushima Daini (Fukushima II). Nous la prenons. Fukushima II se trouvait beaucoup plus près de l’épicentre que Fukushima I, mais elle était aussi beaucoup mieux protégée. Cette partie a parfaitement résisté au tremblement de terre suivi du tsunami, ne subissant aucun dommage. Néanmoins, elle demeure fermée – par précaution.
Nous arrivons à notre premier barrage de police, nous attendant à ce que l’on nous intime de faire demi-tour. Mais non ; les policiers sont très polis. Ils vérifient nos passeports et nous laissent passer, nous disant vaguement quelque chose à propos d’un contrôle ultérieur. Sauf que la même chose se produit au second barrage. Je suis surpris de voir que nous pouvons pénétrer aussi facilement à l’intérieur.
Puis nous sommes conduits dans une zone de décontamination.
Après avoir passé notre voiture au crible, les policiers se disent finalement qu’il faut peut-être éviter de laisser errer deux Australiens dans zone pleine de déchets radioactifs. Donc : retour sur la route principale.
On observe alors que les relevés radioactifs sont plus élevés à Tomioka qu’à Nahara. Il est possible de se rendre dans la ville une fois par mois, et pour quelques jours seulement. À part la police, la ville est complètement déserte. Le gouvernement japonais essaie de décontaminer les villes touchées par le nuage radioactif – ce qui revient, en gros, à nettoyer toutes les routes, les allées et chemins extérieurs de chaque maison, puis à retirer 10 à 15 centimètres de terre afin de débarrasser le sol de toutes les poussières radioactives qui se sont déposées après la catastrophe.
D’immenses piles de déchets industriels ainsi que des sacs entiers de terre contaminée sont empilés avec un soin typiquement japonais dans toutes les rues de la ville. Cinq ans après le désastre, Tomioka est toujours endormie. Les magasins sont abandonnés, les marchandises éparpillées à même le sol.
Les dégâts dus au passage du tsunami, près de Tomioka.
Plus tard, nous nous dirigeons vers une école primaire des environs, où la végétation a repris ses droits. Les cours sont encore écrits au tableau ; de même, les sacs à dos sont encore là où les enfants les ont laissés le 11 mars 2011. La police ne tarde pas à nous rejoindre tandis que nous visitons l’école, mais encore une fois, seulement pour relever nos identités. Tous semblent ravis de nous voir arpenter les allées de l’établissement pour y prendre des photos.
L’école primaire de Tomioka
Les chaussures des enfants sont encore toutes rangées dans leurs casiers
Depuis le passage du tsunami, l’école a peu à peu été envahie par les mauvaises herbes
En sortant, nous nous arrêtons dans un ancien salon pachinko typiquement japonais, truffé de machines à sous. Les traditionnels jetons ont été remplacés par des billes. Tandis que nous enfilions nos protections, la police vient à notre rencontre pour la troisième fois. Une brève explication au sujet du but de notre voyage s’ensuit. Nous nous inclinons poliment et les policiers partent, tout sourire.
L’ancienne salle de jeux pachinko, à Tomioka.
Nous avons plus tard appris que les policiers viennent de tout le Japon pour entourer Fukushima. Leur affectation dure seulement deux semaines, et ils se déplacent dans la zone dévastée avec leurs collègues. C’est pourquoi tous les flics rencontrés ce jour-là viennent de Nayoro, dans le nord du Japon. On aurait dit qu’ils ne savaient presque rien des radiations. Tous semblaient presque surpris lorsque je leur ai suggéré de, peut-être, « porter un masque ».
La porte du petit salon pachinko est grande ouverte. Personne n’a remis les pieds ici depuis le désastre. L’argent jonche le comptoir, des paquets de cigarettes gisent, ouverts, à proximité des machines à sous. Le calendrier indique le mois de mars 2011.
Après la catastrophe de Fukushima, le gouvernement japonais a refusé de communiquer au sujet des radiations éventuelles dans le reste du pays. Les données les plus récentes datent de 2013. Ainsi, l’entreprise Safecast a été appelée à la rescousse pour tenter de dresser une image plus précise des conséquences des événements dans la zone d’exclusion. Il est par exemple possible d’acheter un détecteur de radiation – le Safecast – ainsi qu’un compteur Geiger – le bGeigie – afin de collecter les données puis de les envoyer à la société. Toutes ces informations sont ensuite regroupées sur une carte online de type Google Maps.
Nous abandonnes la route d’entrée de Fukushima I en direction du Nord, via l’autoroute 6. Notre compteur bGeigie, placé à l’extérieur de la voiture, indique une radioactivité de 7,5 µSv/h – soit plus de 70 fois la normale. Heureusement, pour nous, le compteur à l’intérieur de la voiture indique un taux de 2,5 µSv/h. Comme il nous semble inutile et dangereux de continuer à traîner dans le coin et que nous n’avons pas plus envie que ça de répondre à de nouvelles questions posées par les forces de l’ordre, nous faisons demi-tour.
Nous obliquons en direction de Futaba, plus au nord, ville toujours localisée dans la zone rouge. Le compteur extérieur s’affole encore : près de 1,8 µSv/h. Toutes les routes secondaires y sont bloquées ou au moins, contrôlées par la police. Plusieurs barricades ferment l’accès aux quelques bas-côtés. En conséquence de quoi il nous est impossible de visiter ce segment.
La zone rouge, ou toutes les voies comme les bas-côtés sont barricadés. En dehors de la voiture, nous avons observé un taux de radiation supérieur à celui des autres villes : 1,8 µSv/h.
Près de cinq ans après les faits, personne n’est encore mort à cause des radiations provoquées par la catastrophe de Fukushima. Cependant, les familles de plusieurs villes entières ont été forcées d’abandonner leurs terres, contraintes de tout laisser derrière elles. Elles ne pourront peut-être jamais revenir. D’innombrables maisons ancestrales ont été laissées là, à l’abandon. Des petits commerces ont été détruits et des communautés entières ont été déchirées. On estime que quelque 1 500 personnes sont mortes au cours de l’évacuation.
Un magasin abandonné à Namie
Même si certaines villes comme Nahara sont de nouveau accessibles, la plupart des résidants choisissent de ne pas revenir y vivre. Ils ont soit fait table rase de leur ancienne vie, soit craignent plus prosaïquement le possible danger radioactif. En dépit des efforts déployés par le gouvernement pour redynamiser la zone, les gens cherchent au maximum à oublier le sinistre de Fukushima. De fait, ils tiennent à s’en éloigner le plus possible.
La caserne de pompiers, détruite lors du tremblement
Voir d’aussi près les conséquences du sinistre m’a déchiré le cœur. Le laxisme d’une entreprise à l’égard des règles élémentaires de sécurité aura réussi à décimer une communauté autrefois prospère. Quant à moi, Papa, Maman, ne vous inquiétez pas : je n’ai pas été touché par les radiations présentes aux alentours de Fukushima.
Ou à peine : pas plus que si j’avais pris un vol international.