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Crime

« Il y a des gens qui vivent ici, ne tirez pas » : Reportage dans l’est de l’Ukraine

VICE News est à Donetsk, où les conditions humanitaires ne font qu'empirer, et où les produits de première nécessité se font de plus en plus rares.
Image via AP/Evgeniy Maloletka

Un soldat ukrainien, son visage couvert d'une cagoule militaire kaki, vérifie les papiers. Des blocs de béton entassés les uns sur les autres servent de ligne de démarcation entre les zones contrôlées par les rebelles et celles contrôlées par le gouvernement. Des tranchées enneigées s'étendent des deux côtés. Le bruit sourd des tirs d'artillerie fait écho à travers les champs. Les phares de la voiture transpercent l'épais brouillard crépusculaire. Mécontent, le soldat masqué fait signe à la voiture de faire demi-tour, ne prononçant que quatre mots : « La route est fermée. »

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La situation dans l'auto proclamée « République du Peuple » de Donetsk et Luhansk est de plus en plus sombre. Dans l'est de l'Ukraine, déchiré par la guerre, passer d'une zone contrôlée par les rebelles à une zone contrôlée par le gouvernement peut prendre plusieurs jours. Alors que de nouveaux combats démarrent tout le long de la frontière, les routes sont souvent bloquées pendant plusieurs heures ; plus tôt dans le mois, un bus a été touché par un missile de type Grad au checkpoint de Volnovakha, tuant douze passagers.

Même lorsqu'il est physiquement possible de passer, les aspirants-voyageurs doivent désormais se frayer un chemin à travers une nouvelle bureaucratie kafkaïenne pour obtenir des « permis » spéciaux, afin de traverser les checkpoint du gouvernement. Dans cette situation absurde, les documents nécessaires pour le laissez-passer doivent être délivrés par des administrations basées en territoire ukrainien qui sont inaccessibles pour les habitants des territoires tenus par les rebelles sans le laissez-passer qui leur est demandé.

Ces nouvelles règles, introduites la semaine passée, sont officiellement qualifiées de « mesures de sécurité », l'Ukraine ayant récemment déclaré l'état d'urgence dans la région ravagée du  Donbass, mais en pratique, ces règles servent aussi à renforcer de facto les frontières et à resserrer l'étau sur les habitants des régions troublées.

Alors que Kiev a une stratégie militaire défensive - le pays a perdu de grandes bandes de territoire, laissées aux forces séparatistes l'été dernier - sur le plan bureaucratique, l'offensive semble être bien plus réussie.

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Dans le quartier de Leninsky, à Donetsk, Andriy, un banquier, a passé le weekend à faire ses bagages. Sa femme est partie il y a un mois, et il prévoit de la rejoindre. « J'ai un appartement ici. C'est chez moi. Mais à présent il n'y a plus rien. Pas de travail, pas d'argent, pas de futur, » confie Andriy à VICE News alors qu'il met ses valises dans la voiture. « Je voulais croire que ça s'arrangerait, mais maintenant, à 57 ans, je dois abandonner tout ce pour quoi j'ai travaillé, et devenir un réfugié. »

« On n'a pas reçu nos retraites pendant des mois. Je n'ai aucun revenu. »

Avec les services postaux, bancaires et le système social qui ont été coupés il y a plusieurs mois, les difficultés économiques que connaît la région sont visibles. Sur les devantures des magasins, on lit le signe « fermeture temporaire », mais à Donetsk, les chaînes étrangères qui ont fermé l'été dernier n'ont toujours pas rouvert. Les étals des supermarchés témoignent aussi d'une économie à court de liquidité, affectée par les blocages de routes et les revenus incertains. Les produits de base sont en rupture de stock tandis que des produits de luxe, comme le café arabe ou le vin français, prennent la poussière dans les rayons.

Pour les 60 à 70 pour cent des habitants restés à Donetsk, Kiev n'a jamais semblé aussi loin. Dans le quartier de Kievskiy, une foule de gens se rassemble devant le stade de la Donbass Arena. Il y a trente mois, ce stade de verre, qui a coûté 400 millions de dollars rassemblait plus de 52 000 personnes venues de toute l'Europe en Ukraine pour voir leurs équipes s'affronter à l'Euro 2012. Désormais, ceux qui font la queue devant les stades ne sont pas des fans de sports mais des retraités appauvris, des mères célibataires et des handicapés qui attendent un paquet avec leur ration mensuelle.

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Chaque sac contient des produits de base : du sucre, de l'huile, du porridge et des conserves. Ces 18 000 calories sont à peine suffisantes à la survie d'une seule personne quand les températures sont en dessous de zéro. Reste qu'une personne sur dix à Donetsk dépend de ces lots de nourriture distribués dans 21 centres de distribution. C'est une question de vie ou de mort. « On n'a pas reçu nos retraites pendant des mois. Je n'ai aucun revenu, » raconte à VICE News Marina, 74 ans, alors qu'elle fait la queue. « Sans cette aide, je mourrais de faim. »

Des centres distribuent des produits médicaux de base, comme de l'insuline, ou des médicaments dont les femmes qui viennent d'accoucher ont besoin, et qui sont presqu'impossibles à trouver en pharmacie.

Andriy Sanin, qui coordonne l'aide au centre de distribution Akhmetov Fund explique que les besoins sont extrêmes. « On n'opère que dans les villes et les grosses communes, mais en dehors de ces endroits, dans les villages, les gens n'ont strictement rien, » explique-t-il à VICE News.

« Ma grand-mère était à la fenêtre à ce moment-là. Elle est morte sur le coup. »

La situation à Gorlovka, autrefois une solide ville minière, est encore pire. Dans chaque rue, les murs portent la trace d'éclats d'obus, les vitres sont brisées, et des fils électriques suspendus témoignent du déluge de tirs de roquettes qui tombe sur le poste-frontière presque quotidiennement depuis juillet.

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Pendant plus de deux semaines, les points de distribution d'aide humanitaire ont été forcés de fermer leurs portes à cause d'importants bombardements. L'approvisionnement médical est faible, et des tentatives d'acheminement depuis le territoire ukrainien auraient été bloquées par le gouvernement.

« L'aide est distribuée gratuitement, mais on ne peut traiter les gens qu'avec ce qu'on a, et nos stocks s'épuisent vite, » explique à VICE News Tatiyana Phomina, une infirmière de l'hôpital de la ville.

Allongé sur un lit du service de traumatologie, Yuriy Pavkov, 29 ans, montre sa jambe gauche. Elle est dans un plâtre jaunissant, avec une tige de métal pour tenir la jambe en place.

Yuriy raconte son histoire : « Le 14 novembre, une roquette a traversé le plafond et ma jambe gauche a été touchée par des éclats d'obus et de verre. La famille qui vit dans l'appartement du dessus a été tuée. Deux hommes, une femme et un enfant. Ma grand-mère était à la fenêtre à ce moment-là. Elle est morte sur le coup. »

Les parents de Yuriy sont à ses côtés, ils écoutent en silence. Ces retraités vivent grâce à la charité d'amis et de voisins depuis que leur maison a été détruite par un tir de roquette. « Au début, on a été vivre dans une autre banlieue de la ville. Mais les bombardements ont commencé là bas aussi, et on a du partir. On n'a pas d'argent et nulle part où aller, » dit la mère de Yuriy, retenant ses larmes.

Mais alors que la guerre entre dans son dixième mois, la frustration de beaucoup de gens laisse de plus en plus la place à la colère. Une vidéo publiée sur les réseaux sociaux plus tôt dans la semaine montre un homme connu comme « Givi », commandant du fameux « bataillon somalien », brandissant une machette vers une rangée de soldats ukrainiens. Attrapant un couteau, il découpe les écussons de leurs uniformes, et les forces à les mangers. Plus tard, les prisonniers ont défilé à travers la ville, pour voir les endroits où leurs bombes avaient tué des civils. « Vous êtes des animaux. Vous avez de la chance de ne pas être pendus, » hurle une femme dans la foule, alors que les prisonniers passent devant eux. D'autres bousculent les gens pour leur donner un coup.

À Gorlovka, sur la clôture d'un jardin  on peut lire : « Il y a des gens qui vivent ici, ne tirez pas. »

Suivez Harriet Salem sur Twitter: @HarrietSalem