Je suis né en décembre 1982 à Los Angeles d’une mère australo-macédonienne et d’un père afro-américain. Je suis presque sûr que je me souviens du retour de l’hôpital : il faisait nuit, il y avait un réverbère, le ciel et un bâtiment. Ma mère me tenait enveloppé dans une chaussette de Noël. Je savais que je venais de naître, je savais qui étaient mes parents, mais je ne suis plus très sûr du reste, même si le souvenir des formes et de la lumière est plutôt réel. J'ai passé les premières années de ma vie à Los Angeles avant de déménager en Australie. Ma mère a récemment avoué que nous avions déménagé parce qu'elle craignait que je sois trop blanc pour l'école publique et trop noir pour l’école privée. Tous les ans ou presque, nous retournions aux États-Unis pour rendre visite à des membres de notre famille à Los Angeles, dans la région de San Francisco, à Atlanta et dans le New Jersey.
Publicité
Mon père a grandi à l’époque de la ségrégation dans le Sud et a vu dans nos voyages annuels une occasion de nous montrer, à moi, ainsi qu’à mes neveux et nièces, un pays qu’il n’avait jamais pu voir dans son enfance. De temps à autre, il nous racontait une anecdote au sujet de sa tournée avec son groupe ou de son voyage en famille à Détroit, où neuf personnes étaient serrées dans une Volkswagen pour un trajet de 22 heures, mais la plupart du temps, nous roulions et regardions par la fenêtre. Nous faisions des détours pour visiter des parcs nationaux ou des lieux emblématiques du Sud-Ouest. Nous sortions toujours pour prendre des photos, mais nous ne restions jamais trop longtemps. Il y a eu des endroits où nous ne nous sommes jamais arrêtés : le Mississippi, l’Alabama, la majeure partie de la Géorgie, les Carolines, la Virginie et le nord de la Louisiane. Je ne savais pas pourquoi avant que mon père ne nous décrive certains des aspects les plus sombres de sa vie dans le Sud.Une grande partie de l'histoire de notre famille a été racontée à travers des histoires et des photos. Mais les histoires n'ont jamais été écrites, et à ce stade, la plupart des conteurs, comme mon père, sont décédés. Je voulais savoir ce dont je pouvais me souvenir et si le paysage se souvenait de moi. Je me suis donc mis en route pour retracer les itinéraires de mon enfance à travers le Sud et le Sud-Ouest. Je suis retourné à l'arrêt de bus dans l'ouest du Texas, où ma famille avait pris en stop un étudiant coréen en échange en 1994. J'ai cherché le rebord du Grand Canyon où j'avais glissé à l'âge de trois ans. Je me suis retrouvé pour la première fois dans des villes ancestrales comme Loreauville, en Louisiane, où un de mes arrière-grand-oncles avait été lynché, et j’ai ressenti une étrange familiarité psychique et génétique avec la région. J'ai visité le Mémorial national pour la paix et la justice à Montgomery, en Alabama, qui rend hommage aux victimes de lynchage, et j'ai recherché son nom.
Publicité
Monuments Are Forever est ma tentative de comprendre la mémoire. Certaines des histoires de ma famille, filtrées de génération en génération, ont gagné de nouveaux rebondissements ; d’autres manquent de détails, mais au cours de mon voyage, j’ai découvert que, à bien des égards, ces histoires reflétaient notre façon de consommer et de comprendre l’histoire de notre culture contemporaine. L'Amérique est souvent présentée comme un endroit où tout est noir ou blanc, sans aucune nuance, avec de gros titres choquants ayant peu de substance. En réalité, l'Amérique est beaucoup plus déroutante, pleine d’histoires oubliées. Et peut-être qu’en creusant suffisamment, nous pourrions découvrir ces histoires et ces souvenirs qui nous unissent tous.Les photos ci-dessous :
VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.