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Crime

La plus grande décharge illégale d’Europe

Le site fait la taille de 30 terrains de football et pourrait contenir des tonnes de produits toxiques qui ont fait virer le sol au rose et au bleu.
Photo par Alessandro Bianchi/Reuters

On l'appelle le « Tchernobyl italien ». Les autorités italiennes ont trouvé, près de Naples, la plus grande décharge illégale de l'histoire de l'Europe, qui s'étend sur l'équivalent d'une trentaine de terrains de football. Des tonnes de déchets y sont entreposées et pourraient bien être toxiques — inquiétant, vu le niveau déjà élevé de cancers dans la région.

Dans la petite ville de Calvi Risorta, les agents sanitaires — armés de compteurs Geiger et parés de combinaisons de protection — ont commencé, vendredi dernier, à exhumer 2 millions de mètres cubes de substances dangereuses. Notamment des conteneurs remplis de solvants inflammables qui ont coloré le sol en rose et bleu.

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Comparant la découverte du site, à celui d'un « abattoir » écologique, le ministre italien de l'Environnement, Gian Luca Galletti, a annoncé qu'il faudrait au moins un mois pour mener le nettoyage initial afin d'évaluer le possible risque de radioactivité.

« Nous ne connaissons pas la quantité de déchets, ni même ce que cela pourrait être, » a déclaré Galletti.

Les contrôleurs forestiers ont commencé à examiner les quelque 250 000 mètres carrés de terrain, après que des rumeurs d'enfouissement de produits chimiques ont encouragé des journalistes locaux à mener l'enquête. Salvatore Minieri, du journal en ligne paesenews.com, avait comparé des photos aériennes du site prises en 1960, avec des images capturées à l'aide d'un drone dernièrement. Après avoir repéré l'apparition de petits monticules de terres, son cameraman et lui ont commencé à creuser.

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« C'est une couche de produits toxiques industriels au-dessus d'une autre, séparée par du ciment, et avec seulement quelques centimètres de terre pour couvrir le tout sur le dessus, » a expliqué Minieri à VICE News. « C'est ici depuis des décennies. Malheureusement, c'est devenu la plus grande décharge illégale industrielle du continent. »

Lui et la police pensent que le gang des Casalesi — le clan le plus connu de la Camorra — est derrière cette affaire. En 2006, la vie à l'intérieur du gang a été l'objet du best-seller Gomorra de l'auteur napolitain Roberto Saviano (sous-protection policière depuis la parution du livre).

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Des soupçons sur l'implication du clan Casalesi dans le business des décharges illégales sont apparus en 1997, quand Carmine Schiavone, un repenti, a expliqué les méthodes à la police — clamant que cette activité lucrative court depuis les années 1980.

La découverte de plusieurs décharges depuis les révélations de Schiavone a fait gagner à la région qui va de Naples jusqu'à Caserta, le triste surnom de terra dei fuochi — la terre des feux. La mafia a en effet pris pour habitude de mettre le feu aux déchets, dégageant d'innombrables toxines atmosphériques.

« C'est le Tchernobyl italien, » a déclaré à VICE News, Stefano Ciafani, le vice-président du groupe écologiste, Legambiente. Selon lui, les taux de cancers de la région seraient 80 pour cent plus élevés que la moyenne nationale.

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« Cela a tué des milliers de personnes jusqu'ici, et cela va en tuer des milliers d'autres, » explique Ciafani.

Legambiente estime que 10 milliards de tonnes de déchets ont été enfouies illégalement dans la région depuis 1992, ce qui permit à la mafia de s'enrichir. En 2013, les « crimes environnementaux » de la mafia ont permis d'amasser plus de 17 milliards d'euros.

La Camorra, composée de 350 clans, a déployé de grands efforts pour prendre le contrôle du business du stockage illégal de déchets. En s'infiltrant dans des départements sanitaires locaux, le groupe criminel entrave les voies légales de traitement des déchets, ce qui mène à l'engorgement chronique des décharges légales. Alors, la demande pour leurs solutions illégales augmente. Résultat, les rues de Naples débordent en permanence de détritus. Ces dernières années, le problème s'est même étendu au Nord, jusqu'à la capitale, Rome.

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Mais le crime organisé n'est pas le seul responsable, selon des experts. Parfois, des usines, dont la plupart sont basées dans le Nord industriel italien, contactent sciemment des mafieux pour se débarrasser de leurs déchets pour pas cher.

Des entreprises vont, parfois, aller jusqu'à se passer de la mafia et se débarrasser de leurs ordures elles-mêmes, explique Anna Sergi, une spécialiste du crime organisé à la University of West London.

« Ce business est tellement lucratif qu'il attire des criminels en col blanc, qui agissent au sein d'entreprises non-criminelles, » dit Sergi à VICE News. « L'objectif est toujours le profit, soit en prenant activement part à l'activité de décharge de déchets ou en ignorant les règles en matière de traitement légal des ordures. »

L'incapacité italienne à trouver une solution à ce problème finit par coûter cher au pays.

En décembre, la Cour européenne de justice a infligé une amende de 40 millions d'euros pour violation persistante des lois régissant la gestion des déchets dans l'UE.

« 218 sites n'étaient pas conformes, » selon le compte-rendu de la décision de justice. 16 de ces sites contenaient en plus des déchets toxiques.

C'est la troisième fois que la Cour impose une amende à l'Italie, en moins de 10 ans. Le pays semble refuser de mettre en place des techniques de gestion durable des déchets, comme les incinérateurs qui transforment les ordures en énergie (largement implantés en Europe du Nord). L'Italie est à la traîne, notamment à cause de la mafia qui protège ses sources de revenus. « C'est leur intérêt d'entraver le changement, » explique Sergi.

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La mafia serait même allée jusqu'à infiltrer le gouvernement italien pour le business du traitement des déchets. Une activité qui peut vous mener très loin des rives de la Méditerranée.

En 1994, le journaliste italien Ilaria Alpi, et le cameraman slovenien Miran Hrovatin, ont été pris dans une embuscade et tués au volant de leur Jeep par une unité commando en plein Mogadiscio, la capitale somalienne.

Un livre paru en 1999 propose l'hypothèse que les deux auraient été tués parce qu'ils étaient sur le point de révéler un trafic international d'armes et de déchets toxiques, qui impliquerait des personnalités politiques et militaires en Italie et en Somalie.

Un ancien mafieux a confirmé cette hypothèse en 2009. Selon lui, ils auraient été tués parce qu'ils avaient vu des déchets toxiques être envoyés en Somalie par bateau par la 'Ndrangheta, la puissante organisation criminelle basée en Calabre, dans le sud de l'Italie.

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En Italie, les locaux qui habitent à côté de la décharge de Calvi Risorta espèrent que des lois plus strictes vont permettre d'inverser la tendance en matière de déchets toxiques.

Le mois dernier, l'Italie a adopté une loi permettant de faire encourir des peines d'emprisonnement pour déversement illégal d'ordures. « Auparavant, les coupables récidivaient en permanence, ne risquant qu'une petite tape sur le poignet, » explique Ciafani du groupe Legambiente. « Peut-être que maintenant ils y réfléchiront à deux fois. »

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Le commandement régional de la police forestière de Campanie a annoncé qu'il identifierait les coupables en croisant la provenance des matériaux enfouis — dont une partie vient de multiples pays européens.

La situation est déjà catastrophique, cela donc va prendre des décennies pour ressentir un quelconque effet sur l'écologie et la santé des locaux. Legambiente déclare que les rivières et ruisseaux autour de Naples sont tellement contaminés qu'ils seront impropres pour la santé jusqu'à au moins 2080.

« Tout le monde connaît quelqu'un atteint d'un cancer ici, » explique Minieri, qui habite à 5 kilomètres de la décharge. « Il y a six ans, mon cousin est mort d'une tumeur du foie. Il avait 44 ans. À l'époque, personne n'avait jamais fait attention à cette énorme décharge souterraine — même les politiques ne savaient pas, ou faisaient semblant de ne pas savoir. »

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Suivez Christopher Livesay sur Twitter @cLivesay