Acid Arab : « On a toujours porté en nous une dimension consciente de la fête »
Photo - Michela Cuccagna

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Acid Arab : « On a toujours porté en nous une dimension consciente de la fête »

Le duo parisien est revenu avec nous sur la création du label Acid Arab Records, sur l'industrie musicale dans le monde arabe et sur le hasardeux cocktail politique/réseaux sociaux.

D'Acid Arab, on sait déjà tout ou presque : projet né en 2012 sur l’île de Djerba, dans une Tunisie en plein état d’urgence, mené par un binôme de DJs français, Guido Minisky et Hervé Carvalho, auteur de trois compilations essentielles… et aujourd'hui au coeur d'un label, Acid Arab Records fondé fin 2017 et pensé comme une division électronique et agitée de la très respectable maison Crammed Discs. Nous sommes allés en parler avec le duo, tout juste de retour d'une série de dates en Amérique du Sud et plus que jamais détendu, binôme d'humbles clubbers en balade dans les pas d’une musique séculaire.

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Noisey : Quelle est l'idée derrière ce label, Acid Arab Records ?
Acid Arab : L’idée est de mettre en avant nos découvertes, qui sont principalement des rencontres, au sein de la maison belge Crammed Discs Records. Comme eux, on est ouvert à tout. Après je ne pense pas non plus qu’on signera un disque de bossa. Notre première signature c’est Rozzma, un artiste qu’on a découvert sur SoundCloud. On adore son côté innovant, sa vision de la musique, qui est moderne et infusée de culture égyptienne. On aime sa capacité à aller s’aventurer dans le gabber ou la techno minimale, ses influences héritées du Rap US, de de la Bass music, mais aussi de la musique contemporaine ou du Free jazz. Il fait une musique arabe, moderne, électronique. Sortir Rozzma, ce n’est pas uniquement sortir son album, mais c’est vraiment sortir un artiste à part entière. D’ailleurs ça paye puisqu’il vient d’être booké cette année au Sónar à Barcelone. Pas sûrs que les choses se passent ainsi à chaque fois, peut-être va-t-on s’autoriser pour la suite des releases en one-shot, comme sortir un E.P. qu’on a kiffé par exemple.

C’est cette esthétique et cette dynamique justement, que vous cherchiez à l’époque des de vos Collections ?
La dimension collective, plurielle est très importante dans ce joyeux bordel qu’est Acid Arab. Regarde, même sur notre album Musique de France, la moitié des morceaux sont des collaborations. Après, on recherche aussi la transcendance, la dimension mentale du son. Acid Arab a des bases club et techno. Des labels comme Bunker Records, mais aussi les trucs de Chicago un peu rough comme Gherkin Jerks, le breakbeat, Marcus Mixx aussi, tout le son rave des années 90, les Chemical ou les Spiral Tribe, tendance Crystal Distortion, ont marqués des précédents dans la musique que l’on fait aujourd’hui.

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Lancer un label, c’est aussi patrimonialiser et protéger des musiques fragiles, parfois oubliées. Le monde Arabe, peut-être plus que jamais compte-tenu des événements qui le frappent depuis 2011, a besoin d’édition, de supports enregistrés pour archiver d’une certaine façon sa mémoire. Et son identité.
Il existe une culture du disque dans les pays arabes, c'est juste qu'elle est différente de ce qu'on peut voir ici. La valeur du disque n’est pas la même que pour un occidental, par exemple. L'argent n'a pas le même poids dans l'industrie musicale. Le fric qui est généré, la façon dont il est dispatché, tout ça n’existe presque pas dans le monde arabe. Et nous l’avons découvert très vite.

Explique-nous.
Comme tu l’as évoqué, les transmissions sont principalement orales. Il n’y pas d’édition, ni de droits, ni de solfège. La musique là-bas, n’appartient à personne. Ce qui t’appartient, c’est juste le disque. Ça a d’ailleurs permis à des gens comme Boney M de piller des chansons en toute quiétude. Acid Arab est un projet qui est véritablement né de la quête de disques. On était à Houmt Souk sur l’île de Djerba en Tunisie, à l’été 2012. Nous étions bookés à l’occasion d’un simple back-to-back. Durant la journée, on s’est baladés, à la recherche d’un disquaire. Et puis on est tombés sur cette boutique, puis sur cet homme très généreux, un musicologue tunisien, qui nous a, initié disons, à la richesse ainsi qu’à la complexité des musiques arabes. Ce voyage a été fondateur. On a découvert une culture qu’on ne connaissait pas, un humanisme qu’on ne connaissait pas non plus. Dans le même temps, Hervé et moi, nous nous sommes également rencontrés humainement en temps que potes. Aujourd’hui, nous en savons un peu plus. On sait qu’il n’y a pas de généralités sur la musique arabe, uniquement des singularités. En Égypte ou au Liban, le disque a une histoire très forte par exemple. La Syrie a Omar Souleyman. Souleyman, c’est Moïse, et derrière y’a nous tous. Lui, il a mis tout le monde d’accord, c’est le patron, celui qui a ouvert une brèche dans laquelle on s’est tous engouffrés.

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Promoteurs véreux, festivals de profiteurs… Les lieux de diffusions de musique électroniques au Maghreb sont parfois décriés et mal tenus. Comment vous gérez vos nombreux bookings compte-tenu des enjeux parfois singuliers qu’on croise, du Maroc à Istanbul ?
On ne gère pas vraiment, justement. On a toujours porté en nous une dimension consciente de la fête, l’idée étant de ne pas la faire dans de mauvais endroits avec de mauvaises personnes. On travaille avec un tourneur, on ne vérifie pas systématiquement les antécédents des orgas ou des festivals qui nous programment. Rien que pour l’Europe je crois que ce serait trop délicat. On reste attentifs et en accord avec nos sensibilités et c’est déjà pas mal. Lorsqu’on a été programmés la première fois en Russie, c'était à un moment où Poutine tenait des propos hyper agressifs envers les homosexuels et où on voyait des vidéos de videurs qui défonçaient des mecs. Là, oui, tu y réfléchis à deux fois. Mais on assume la complexité du monde dans lequel on vit. Un festival comme Les Dunes Électroniques, il y a autant de raisons d’y aller que de refuser d’y jouer.

Ça vous un peu pété à la gueule, enfin surtout sur le mur de votre page FB, lorsque vous avez annoncé que vous ne joueriez plus dans des lieux non-palestiniens à Tel-Aviv, et qu’on ne vous verrait pas non plus dans des events liés à Israël à l’étranger…

Oui c’est là qu’on a commencé a réaliser que notre voix portait plus qu’on ne le pensait. Mais, encore une fois, nous ne sommes pas là pour distribuer les bons et les mauvais points. Et puis on n’est pas Nicolas Jaar [*] non plus, quoi. Acid Arab existe depuis cinq ans. Grâce au groupe, on a appris pas mal de choses, on est plus alertes, mieux informés aussi, mais il nous reste beaucoup d’enjeux à comprendre. À défaut de savoir qui est bon ou mauvais, on fait notre possible pour faire les choses le mieux possible, d’éviter l’appropriation comme l’exclusion, on avance avec le plus grand respect possible, en donnant à voir un modèle artistique qu’on espère positif. Jusqu’à maintenant, je pense qu’on y arrive pas si mal, le nombres de critiques violente à notre égard restant minimes.

[*] Fin septembre 2017, le jeune producteur chilien jouait dans la ville israélienne d'Haïfa, dans un bar palestinien. Le lendemain, il se produisait à Ramallah, capitale palestinienne. Chaque soirs, Jaar a introduit ses live de lectures de poèmes de Mahmoud Darwich, immense poète et icône de la résistance palestinienne (Darwich a été membre du comité exécutif de l'OLP de 1987 jusqu'aux accords d'Oslo).

Théophile est sur Twitter.