En Israël, le foot amateur réconcilie les religions

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Foot et politique

En Israël, le foot amateur réconcilie les religions

​Le collectif Kaduregel Shefel, « football du peuple » en hébreu, s'intéresse au foot amateur israélien. Un terrain d'entente improvisé entre les religions.

Gad Sal et Vadim Tarasov pourraient être tes deux potes qui passent leur temps libre à lire le blog de Mon Petit Gazon et qui switchent sur Football Manager dès lors qu'ils t'ont accroché. Ces deux jeunes trentenaires originaires de Tel Aviv et capillairement complémentaires assument totalement une folle passion pour le foot, mais pas n'importe lequel : le Low Football.

Vadim, Doron et Gad, les trois piliers de Kaduregel Shefel © Guillaume Blot

Traduisible en français par « le foot de la base », ce concept recouvre une vision authentique du ballon rond, celui du dimanche matin, des lignes blanches mal tracées et des pizzas sur les genoux. « On a toujours été attirés par ce football campagne, d'Angleterre notamment. Pour tout te dire on s'amusait même à prendre des teams comme Halifax ou Luton à Football Manager ». Si Gad admet avoir déjà choisi le FC Metz, c'est plutôt du côté de leur pays que leur attention se tourne : « On s'est dit que cette culture existait aussi en Israël. Alors un jour on a pris notre caisse et on s'est rendus au match le plus random qu'il y avait à proximité ».

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Le stade municipal de Dimona, petite ville du désert du Néguev.

Direction Umm El Fahem, village arabe à une quarantaine de minutes de Tel Aviv. L'expérience les botte tellement qu'ils décident de récidiver chaque mois avec des potes, à la découverte de stades toujours différents. Après deux années de vadrouille à côtoyer des terrains à la fois désertiques et animés, Gad et Vadim se disent qu'il y a matière à documenter ces matchs un peu spéciaux, ces vraies rencontres où Juifs et Arabes luttent pacifiquement.

Nous sommes en 2013 et Kaduregel Shefel - traduction littérale de Low Football en hébreu - lance sa première saison. Rejointe en 2015 par Doron Shahino, l'équipe s'attache à montrer par une approche créative les différentes facettes du foot israélien, version « simple », « old school » comme ils aiment à dire. La photographie est leur premier medium. Ils se rendent dans le Néguev à Dimona, petite ville bâtie pour accueillir les réfugiés Juifs lors de l'indépendance d'Israël ; à Kafr Qassem, paisible village arabe à une vingtaine de minutes de Tel Aviv qui abrite quatre équipes pour 20 000 habitants ; à Majd El Krum, un autre village arabe du nord de l'Israël, où l'on peut voir tagué « non à la violence, oui au sport » sur les murs de son stade ; au club de l'Hapoel Marmorek, petite équipe liée au quartier juif yéménite de la banlieue de Rehovot ; ou encore à Rahat, plus grande ville de Bédouins d'Israël et qui accueille deux stades et trois clubs. 

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Une arbitre de touche, lors d'un match de l'Hapoel Marmorek.

A chaque fois, ils captent avec leur appareil les détails qui les marquent : des fans assis là où ils peuvent, des joueurs qui pissent sur les murs, des supporters qui fument la chicha, d'autres qui s'arrêtent à la buvette locale, une arbitre de touche, des inscriptions pacifiques, et tant d'autres fragments de stade. Ils font de ces scènes de matchs l'essence de leur projet et de ces anecdotes visuelles un plaidoyer pour une cohabitation entre Arabes et Juifs. Leur terrain artistique ne s'arrête pas aux photos. Ils utilisent également la vidéo et planchent actuellement sur un film-documentaire au côté du réalisateur Yael Netzer, qui montrera les fondements de leur projet, et leur volonté notamment de couvrir un match en Palestine. Et d'autres créations à base de Zizou et de Vagner Love qu'ils nous présentent dans une interview plus que jamais placée sous le signe de la « diversité ».

VICE : Vous traitez des à-côtés du foot en Israël. Mais que pensez-vous de son niveau de jeu ?
Kaduregel Shefel : Au haut niveau, de plus en plus d'argent est investi, les infrastructures sont bien meilleures que par le passé. Mais pour tout vous dire, on s'en fout un peu. Nous ce qu'on aime, c'est les divisions inférieures. Et là, le niveau est plutôt sous-estimé. Mais ça n'enlève rien au football israélien. On l'aime tel qu'il est, dans son jus.

Votre travail tend à montrer une certaine coexistence religieuse dans le monde du foot. Cela veut-il dire qu'il n'y a aucune tension ?
Des tensions existent, il ne faut pas les nier, même si elles sont souvent amplifiées et reprises opportunément par les médias et certains hommes politiques. Ces frictions se cristallisent principalement autour de deux clubs et de leurs supporters : le Beitar Jerusalem et Bnei Sakhnin. Deux équipes de l'élite israélienne qui symbolisent à elles seules le football juif à tendance nationaliste pour le Beitar [ndlr : à travers notamment La Famillia, un groupe de supporters d'extrême droite] et le football arabe pour Bnei Sakhnin [première équipe arabe à avoir remporté la Coupe d'Israël, en 2004, ndlr]. Dans les plus petites divisions violence et tension ne sont pas particulièrement dues à l'ethnicité. D'ailleurs la plupart des clubs sont composés de mélanges de joueurs juifs et arabes.

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Des supporters du Beitar Nordia.

Avez-vous en tête un exemple tiré de votre trip qui montre bien cette cohabitation ?
On a commencé notre road trip par une rencontre de quatrième division, dans le village arabe d'Umm El Fahem. Sur la route, un policier nous a arrêté pour demander nos cartes d'identité et nous a questionné pour savoir si l'on n'appartenait pas à un groupe d'extrême-droite venu chercher l'embrouille. Ce n'est d'ailleurs pas le seul qui a eu des doutes sur nous ce jour-là. Il faut dire que le village est connu pour être un poil hostile, c'est ce qui nous avait aussi motivé pour nous y rendre et voir ainsi comment les matchs s'y déroulaient, en espérant une bonne surprise.

Et cela a été le cas ?
On n'a pas été déçus, effectivement : les gens sur place sont venus à notre rencontre pour discuter. C'était assez drôle d'ailleurs, certains croyaient que nous étions un couple joueur - agent. On a été super bien reçus, ils nous ont même conviés dans les vestiaires. Les joueurs juifs de l'équipe locale ne comprenaient même pas pourquoi nous étions là. Depuis ce jour on continue de prendre la route, toujours à la recherche d'un football local.

Non à la violence, oui au sport, peut-on lire en hébreu et en arabe.

Y-a-t-il des clubs en particulier qui vous ont marqué par leur singularité ?
Oui, il y a l'Hapoel Katamon Jerusalem, première équipe d'Israël créée par les fans eux-mêmes et qui en a inspiré par la suite bien d'autres dans le pays. C'est un club qui mène de véritables initiatives d'un point de vue social, dans le but de promouvoir toujours plus de tolérance. Le Beitar Nordia est également à mentionner. Cette équipe a été montée il y a quelques années par d'anciens fans du Beitar Jerusalem, lassés de l'atmosphère raciste impulsée par une frange de supporters lors des matchs à domicile.

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Quels types de contenus utilisez-vous pour raconter ces histoires ?
On utilise toute une palette de supports, qui va d'un magazine vidéo qui parle du football des petites divisions, à une expo photo qui voyage à travers le monde, en passant par un site, un blog, des stickers façon Panini de joueurs israéliens que personne ne connaît ou encore des t-shirts Vagner Loves U, le tout bien sûr relayé sur nos réseaux sociaux, Facebook, Twitter et Instagram.

Wagner <3 u.

Haled Kaabiye, serré de près par deux adversaires

Un changement à venir.

Le stade du S.C. Kaffar Qassem, à la frontière israélo-palestinienne.

Pause-pipi.

Un chien sur la pelouse lors d'un derby entre Maagan Michael et Ha'chotrim, deux kibboutzim.

Deux supporters du S.C Kaffar Qassem, village arabe paisible du centre d'Israël

Sauf mention contraire, toutes les photos ont été publiées avec l'aimable autorisation du collectif Kaduregel Shefel.