Une journée avec le plus grand admirateur de Kim Jong-un en Europe
Photo : Stefano Santangelo

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Une journée avec le plus grand admirateur de Kim Jong-un en Europe

Le nouveau livre de Andrea Marsiletti est une lettre d’amour à Kim Jong-un et au socialisme.

L’article original a été publié sur VICE Italie.

La première chose que fait Andrea Marsiletti quand j’entre dans son bureau, à Parme, dans le nord de l’Italie, c’est de mettre de la musique d’ambiance qui me semble inoffensive. Or j’ai tort. « C’est ce qu’on diffuse avec de puissants haut-parleurs dans les rues de Pyongyang chaque matin à 6 h », me dit-il sans attendre.

Il est allé en Corée du Nord en 2016 à titre de chef de la délégation italienne invitée à une conférence internationale sur le juche – l’idéologie officielle du régime, conçue par le premier dirigeant suprême, Kim Il-sung. À la conférence, il a pris la parole devant de hauts fonctionnaires, soupé avec le numéro deux du gouvernement et reçu un macaron officiel de loyauté au régime.

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« Je suis une des deux ou trois personnes en Italie qui en ont un », se vante-t-il en me le montrant. Sur ce macaron en forme de drapeau, il y a les portraits du grand-père de Kim Jong-un, Kim Il-sung, et de son père, Kim Jong-il.

Des souvenirs du dernier voyage de M. Marsiletti en Corée du Nord.

Les Nord-Coréens jugent M. Marsiletti loyal pour plusieurs raisons. D’abord, il a fondé KimJongUn.it, un site web consacré à la diffusion de nouvelles de Corée du Nord. Et il gère toujours le site, en partenariat avec l’Association d’Amitié avec la Corée et l’agence centrale de presse nord-coréenne. Ensuite, au fil des ans, il est devenu la référence pour tous les Italiens souhaitant visiter le royaume ermite. Puis, il est ami avec l’ambassadeur de Corée du Nord en Italie.

J’ai communiqué avec lui il y a quelques mois, après avoir lu Il Natale nell’Italia stalinista (Noël en Italie stalinienne), un extrait de Se Mira, Se Kim, le plus récent roman de M. Marsiletti, un pamphlet stalinien déguisé en histoire d’amour. J’ai été fasciné à la fois par l’hallucinante intrigue du roman et les liens entre son auteur et le régime nord-coréen. Il a accepté de me parler des deux, à son bureau.

D’ailleurs, à l’ambassade nord-coréenne, on lit en ce moment son roman et on songe à y ajouter une préface rédigée par Kim Jong-un lui-même.

Voici une partie du résumé du roman : « Nous sommes en 2021. Mira vit à Parme, dans une Italie stalinienne. Elle sort avec un fonctionnaire de l’ambassade de Corée du Nord prénommé Kim. Une crise politique internationale s’ensuit. Puis, à un dîner avec des amis d’école, Mira découvre qu’un de ses amis, dont elle était amoureuse, est un trotskiste. Elle fait le bon choix et est récompensée par Kim Jong-un. »

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Le macaron que M. Marsiletti est l’un des seuls à avoir reçu.

L’austère bureau de M. Marsiletti se trouve dans un immeuble gris voisin de l’autoroute. Il est décoré d’un calendrier avec la photo de Che Guevara et d’une collection infinie de babioles aux couleurs de la Corée du Nord : des journaux, des timbres, un fanion, le texte du discours de Kim Jong-un au septième congrès du parti.

« Quand j’ai commencé à en savoir plus sur le régime, il y a six ou sept ans, je suis devenu réellement obsédé, me raconte-t-il. Je ne lisais que sur ça, rien d’autre ne m’intéressait. Ce qui me fascine dans le socialisme, c’est la façon presque scientifique par laquelle l’idéologie peut influencer le comportement et structurer la société. Et, de ce point de vue, la Corée du Nord moderne est le dernier vrai parti socialiste dans le monde. »

Pour lui, le juche est différent du marxisme-léninisme – idéologie longtemps officielle en URSS au 20e siècle – en raison de l’accent mis sur l’individualité. Pour les marxistes-léninistes, selon M. Marsiletti, la limite du socialisme était qu’il réduisait la personne à un petit rouage du système. Il assure que ce n’est pas le cas dans le juche : ce système fait de l’individu l’auteur de son destin. « Ou, du moins, c’est ce que dit officiellement le gouvernement nord-coréen quand on demande une explication, précise-t-il. »

Le roman de M. Marsiletti.

L’extrême centralisation du pouvoir est ce qui est si attrayant pour lui : un système politique basé sur le respect des traditions, du parti, de l’armée et des dirigeants comme s’il s’agissait d’une entité indivisible. En conséquence, la société nord-coréenne est régentée, le système n’admet qu’un seul parti et le pays voit presque les Kim comme des dieux.

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M. Marsiletti n’y voit rien de mal. En fait, selon lui, c’est la vision du reste du monde qui est déformée. Si, collectivement, on voit la Corée du Nord comme un monde fermé et étrange, c’est qu’on juge du point de vue de la démocratie occidentale.

Et, du moins en Italie, il estime qu’on ne peut plus compter sur la gauche. « Je crois au véritable socialisme, mais la gauche ici veut quelque chose de complètement différent, dit-il. On a remplacé les révolutionnaires par le pape, les barbelés par les passeurs, les travailleurs par les migrants. C’est pourquoi ceux qui sympathisent avec la Corée du Nord votent pour le parti d’extrême droite, la Ligue. Ils sont contre l’immigration et pour la sécurité. »

L’histoire dans Se Mira, se Kim commence en 1948, après la tentative d’assassinat de l’ancien dirigeant communiste italien Palmiro Togliatti. Une révolution s’ensuit et l’Italie devient communiste. Ensuite, dans l’intrigue principale, on trouve une défense des actions du régime nord-coréen et même de Pol Pot ainsi que des régimes violents, soutenant que leurs crimes doivent être jugés en tenant compte du contexte de la défense de la révolution.

Ce ne sont pas les seuls passages troublants. À un moment, Mira, le personnage principal, est dans un autobus quand « deux Africains y montent ». « Tant pis pour la défense des frontières! » se dit-elle, avant d’ajouter que « les migrants sont des lâches qui n’ont pas le courage de se battre dans leur propre pays, alors ils fuient », que ce sont des « arriérés » et que le gouvernement « devrait protéger les frontières italiennes en installant une clôture électrifiée dans la mer le long des côtes ». Je demande à l’auteur ce qu’il pense des propos de son personnage. « Il y a un peu d’ironie », finit-il par dire après avoir tenté d’éviter la question. « Mais tout ce que j’écris reflète ma pensée et la véracité des faits. »

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Dans un autre passage, Mira est dans une boutique de vêtements et s’achète un foulard traditionnel khmer, « réinventé par un designer milanais » dans le but de rappeler aux jeunes italiens l’histoire des communistes au Cambodge. « Il est important que la mode soit adaptée à l’idéologie », m’explique nonchalamment M. Marsiletti, comme s’il s’agissait d’une évidence.

Quelques copies du Pyongyang Times, le journal nord-coréen destiné aux étrangers, rapportés de Corée du Nord.

Il souhaite que son livre inspire ses lecteurs à faire leurs propres recherches au sujet des diverses expériences socialistes dans l’histoire. C’est pourquoi il consacre autant de pages aux dirigeants controversés, notamment Pol Pot et « sa version excessive du communisme ».

C’est très important, dit M. Marsiletti, maintenant que ce monde « tombe dans l’oubli » et qu’un seul pays reste loyal au socialisme – la Corée du Nord. Son admiration pour le régime des Kim est telle qu’il souhaite que certains des principes de la société nord-coréenne soient appliqués en Italie.

« Les pays socialistes exercent un contrôle total sur la société. Vous pouvez donner votre opinion, mais c’est l’État qui décide. » Pour lui, c’est une bonne chose. « Et en Corée du Nord, le travail est un devoir. Vous ne verrez jamais de mégots de cigarettes dans les rues parce que de nombreuses personnes ont pour travail de nettoyer les rues. Tout le monde voit la Corée du Nord comme un pays en difficulté, mais essayons d’imaginer ce que serait l’Italie dans une situation semblable, soumise à des embargos de plusieurs années comme la Corée du Nord : l’économie exploserait dès l’annonce des sanctions. »

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Avant mon départ, M. Marsiletti me dit qu’il espère retourner à Pyongyang bientôt. « Pyongyang est une belle ville parce que l’idéologie est omniprésente. Dans la rue, vous voyez partout des bannières qui rappellent les objectifs du parti. Vous voyez des édifices couverts de drapeaux rouges. Les gens travaillent au son de la musique patriotique. La politique est partout. »

Segui Mattia est sur Twitter.