Santé

Plaidoyer pour une semaine de travail de 8 heures

Les robots arrivent pour voler notre travail, mais il paraît que nous en avons trop, de toute façon.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
un homme assis à son bureau couvert de post-it
Photo : Paul Harizan/Getty

En 1929, l’économiste britannique John Maynard Keynes donne une conférence désormais célèbre dans laquelle il prédit que les générations futures ne travailleront plus que quinze heures par semaine grâce à la technologie avancée. En 2000, Erik Rauch, biophysicien et écologiste théorique pour le MIT, explique que quinze heures, c’est beaucoup trop : un travailleur moyen n’a besoin que de onze heures de travail hebdomadaires pour parvenir au même résultat qu’en quarante heures en 1950.

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Bien sûr, il n’est pas possible de travailler si peu d’heures dans le système actuel, pour des raisons financières, mais aussi parce que notre identité, notre statut et notre bien-être dépendent beaucoup de notre carrière. Le travail permet de rencontrer des gens, de socialiser et de contribuer à la société, ou du moins d’en avoir l’impression. De plus, le chômage est généralement associé à des conséquences négatives sur la santé mentale et physique.

Nous savons qu’il est mauvais de trop travailler, mais quelle quantité minimum de travail doit-on accomplir pour récolter les récompenses susmentionnées ? Si personne n'avait encore essayé de répondre à cette question, une nouvelle étude publiée dans la revue Social Science and Medicine démontre que huit heures hebdomadaires suffisent à ressentir les avantages psychologiques du travail. Au-delà, le niveau de bien-être stagne.

« C’est comme la vitamine C : nous en avons tous besoin à une certaine dose, mais il ne sert à rien d’en prendre plus que nécessaire car cela n’aura aucun bienfait supplémentaire pour la santé, et en prendre en trop grande quantité aura un effet néfaste », explique Daiga Kamerade, auteure principale de l’étude et sociologue à l’université de Salford. Passé un stade, le surmenage entraîne un burn out et détériore la santé mentale.

L’étude s’est appuyée sur les données de la UK Household Longitudinal Study, à laquelle ont participé plus de 80 000 personnes. Les chercheurs ont analysé l’impact des changements dans le nombre d'heures de travail sur la santé mentale au fil du temps et ont cherché à savoir si le bien-être des participants s'était amélioré. La plupart d’entre eux se sont dits épanouis après seulement huit heures de travail rémunéré, soit beaucoup moins que les deux ou trois jours initialement prévus par Kamerade et ses collègues.

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Alors que les machines vont bientôt rendre de nombreux emplois superflus, les auteurs proposent une nouvelle façon de conceptualiser notre avenir professionnel. Il pourrait y avoir une redistribution des heures de travail, écrivent-ils, afin que les gens aient toujours accès à l'emploi, mais la semaine de travail serait considérablement réduite.

Selon Kamerade, personne n'a jamais cherché à savoir quel était le nombre minimum d'heures de travail requis pour parvenir à une bonne santé mentale, et il existe peu de raisons pour lesquelles nous travaillons tant, d’autant plus qu’entre 9 et 47 % des emplois dans les pays développés pourraient disparaître à cause de l'automatisation.

Il convient de noter que l'étude a également pris en compte les revenus. Cela signifie que les conclusions des chercheurs sur le bien-être ne s'appliquent que si les personnes qui travaillent un jour par semaine gagnent le même salaire qu'une personne qui travaille plus. Si nous voulions vraiment travailler que huit heures par semaine, il faudrait modifier les politiques et le système d’impôts, redistribuer la richesse et mettre en place un revenu universel de base, « afin de ne pas augmenter les difficultés matérielles des personnes se trouvant au bas de l’échelle du marché du travail », explique Alex Wood, chercheur à l’université d’Oxford, qui étudie l’impact de la technologie sur les conditions de travail et n’a pas participé à la nouvelle étude.

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Selon Wood, ces conclusions arrivent à un moment crucial où les législateurs réfléchissent à l'interaction entre le travail, l'automatisation et les conséquences des emplois sur la santé et sur la planète. Plusieurs employeurs en Suède ont récemment mis à l'essai des journées de travail de six heures. La BBC a rapporté qu'au cours des 18 premiers mois, les infirmières ayant participé au programme prenaient moins d’arrêts maladies, trouvaient que leur santé s'était améliorée et que leur productivité avait augmentée.

Une semaine de travail plus courte reviendrait à travailler moins, bien sûr, pas à abattre une semaine de travail en huit heures, précise Wood. À terme, cela nous permettrait de repenser notre consommation – puisqu’avec moins de main-d’œuvre, il y aurait moins à consommer – et de nous recentrer sur les loisirs. Si nous y parvenons, au lieu de craindre la montée de l'automatisation, nous pourrions y voir une occasion de nous éloigner de notre culture axée sur le travail.

« Les êtres humains ne sont pas faits pour être subordonnés aux autres », dit Ewan McGaughey, maître de conférences au King's College de Londres et chercheur à l'université de Cambridge. « Nous sommes des animaux sociaux et nous aimons apporter notre contribution à la société, mais nous valorisons également les loisirs, la famille et la communauté. Et toutes ces choses demandent moins d’heures de travail. »

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McGaughey pense que la technologie n'aura un impact négatif sur notre relation avec le travail que si nous le permettons. Mais les politiques et les lois sociales pourraient faciliter la transition en fournissant des capitaux et des garanties, et en instaurant le plein-emploi avec des salaires équitables.

Moins d'heures de travail signifieraient plus de loisirs et une meilleure qualité de vie, estime Brendan Burchell, sociologue à l'université de Cambridge et coauteur de l'étude. Aujourd’hui, la plupart des gens passent leur temps libre à se préparer à retourner au travail. Lessive, ménage, courses.

« Si les robots et les machines intelligentes offrent plus de temps libre et moins d'heures de travail à l'avenir, nous devrions apprendre aux gens non seulement à être de bons employés, mais également à savoir comment chérir et profiter plus efficacement de leur temps », conclut Burchell.

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