Tous les samedis, Geoffroy manifeste son opposition à Ali Bongo
Photos : Théo Englebert

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Les anti-Bongo sont traqués jusqu’en France

De nombreux opposants au président gabonais Ali Bongo ont trouvé refuge en France depuis l’élection présidentielle de 2016. Depuis, les menaces et les agressions se sont multipliées.

La défaite contestée de Jean Ping, principal opposant d’Ali Bongo aux élections présidentielles gabonaise de 2016 a été le point de départ d’un mouvement d’opposition sans précédent dans la diaspora gabonaise. Deux ans plus tard, ils sont encore quelques-uns à se réunir tous les samedis sur la place qui surplombe la tour Eiffel. Les aînés de l’opposition tiennent la sono. « Soit tu es un résistant, soit tu es un collabo », s’époumone l’un d’entre eux. Il fustige certains de ses compatriotes, « les poltrons, les traîtres, les planqués. Ceux qui vivent en France, font des études, mangent trois fois par jour sans se soucier de ce qu’il se passe dans leur pays. »

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Au lendemain de l’élection de 2016, plus d’un millier de Gabonais s’étaient mobilisés à Paris. Ils ne sont plus qu’une poignée, les rangs de l’opposition s'étant clairsemés suite à la répression du régime. « Aujourd’hui, on est peut-être 250 à être actif en France si on compte large, se plaint Geoffroy. La plupart des Gabonais ont au moins un parent qui a des liens avec le régime. Beaucoup de jeunes ont peur. Il y a des représailles au Gabon contre les proches de ceux qui sont reconnus sur des photos ou des vidéos. »

Geoffroy a été banni par sa propre famille après avoir pris position contre le régime. « Ma famille, c’est des anciens PDGistes [membres du Parti Démocratique Gabonais, l’organisation d’Ali Bongo NDLR]. Ce sont d’anciens membres du régime d’Omar Bongo Odimba qui continuent de soutenir son fils ». Le jeune homme est originaire du Haut-Ogooué, la province des Bongo. Comme beaucoup de Gabonais, il est lié, malgré lui, au régime.

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Geoffroy.

La violence menace tous les Gabonais, qu’ils soutiennent ou non le président. Elle est subtilement distillée par le régime dans tous les foyers. Les opposants disparaissent. Leurs proches, qu’ils soient fonctionnaires ou employés dans des entreprises dont la plupart sont liées au clan Bongo, craignent de perdre leurs emplois. Et cela fonctionne. « Aujourd’hui, je n’ai plus de contact avec mes parents, ils sont contre moi. Deux de mes frères ont arrêté de m’adresser la parole », regrette Geoffroy. « Ça fait peur… Si j’ai des bobos ici, eux risquent d’avoir des bobos là-bas », reconnaît-il.

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L’un des cousins éloignés de Geoffroy n’est autre qu’Hervé Opiangah. Dans l’ombre d’Ali Bongo, cet homme serait chargé de la traque des opposants. La simple évocation de son nom suscite la crainte chez les militants gabonais. « Cet homme, c’est un tueur, un assassin », nous murmure l’un d’eux. Geoffroy doit composer avec ce cousin encombrant : « Quand j’ai été en garde à vue cet été pour une action militante à Paris, il a appelé ma mère et ma grande sœur ». Au Gabon, un appel de cet homme est une menace à peine déguisée.

Au Gabon, Sika était footballeur dans l’AS Dia, l’équipe du cousin d’Ali Bongo. À l’approche des élections, il a quitté l'équipe pour rejoindre La voix du Mapane. L’organisation regroupe environ 400 jeunes. Déçus par Ali Bongo, ils ont déserté l’Union des jeunes patriotes démocratique du Gabon – organisation de jeunesse affiliée au parti du président – et une partie d’entre eux prend ouvertement position contre le président autocrate. Objectif : devenir le haut-parleur des « mapanes », les bidonvilles gabonais. L’organisation sera rapidement dispersée et plusieurs amis de Sika perdront la vie.

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Sika.

En Île-de-France, les réfugiés anti-Bongo croisent régulièrement les supporters du régime et les esprits s’échauffent vite. Sika en a fait les frais le 24 août dernier. « Je rentrais chez moi à Créteil. Je passe devant un café où il y a souvent des Gabonais. Là, je suis reconnu par des PDGistes [membres du Parti démocratique Gabonais au pouvoir, NDLR] », se remémore le jeune homme de 21 ans. Les membres du parti d’Ali Bongo fondent sur lui : « Ils se sont emparés de moi et ont commencé à me bousculer. Ils voulaient m’emmener avec eux. J’ai réussi à m’enfuir, mais j’ai dû me réfugier dans un tabac pour leur échapper ». On ne saura pas si ces hommes comptaient réellement enlever Sika ou simplement lui faire peur. Au commissariat de Créteil, les fonctionnaires de police ont consenti à prendre une simple main courante.

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Sika n’est pas le premier à se faire molester en Île-de-France. Le 27 novembre 2017, il est 16 heures quand débute, dans l’église Saint-Pierre-de-Chaillot – dans le 16e arrondissement –, une messe en hommage à Leon Mba. On célèbre le premier président du Gabon, autoritaire et soutenu militairement par la France. En principe, tous les citoyens gabonais sont conviés pour rendre hommage au défunt dirigeant. Sidonie, Philomène, Doriane et un petit groupe de Gabonais entrent timidement par la porte arrière. Ils tombent nez à nez avec le personnel de l’ambassade. « Ils étaient déjà dans l’église, ils ne voulaient pas de nous », commente Sidonie.

« Ils avaient des poings américains, des tasers et des bombes lacrymogènes » – Malekou Marceau, réfugié politique en France

Le groupe n’aura pas le temps de s’asseoir. La suite, c’est Philomène qui nous la raconte : « L’ambassade avait fait venir une bande de types spécialement pour s’occuper de nous. Quand je vois qu’on n’est pas les bienvenus et qu’on se fait bousculer, je m’approche de l’autel et je proteste ». Le corps diplomatique gabonais agresse alors violemment l'opposante haute comme trois pommes. « Un gendarme de l’ambassade et trois autres personnes m’ont attrapée, étranglée et soulevée. J’ai vraiment eu peur, je ne pouvais plus respirer ». Philomène et ses amis sont littéralement jetés dehors.

La violence semble devenue coutumière pour les représentants du régime de Libreville en France. Elle frappe à nouveau quelques jours plus tard. « Quand on a protesté contre la venue d’Ali Bongo au One planet summit, j’ai été poursuivi dans les rues de Paris », nous raconte Malekou Marceau, réfugié politique en France. Il nous décrit ses assaillants : « Des mecs venus exprès du Gabon dans la délégation officielle. Ils avaient des poings américains, des tasers et des bombes lacrymogènes ».

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Pourquoi un tel déchaînement de violence ? Malekou nous donne sa réponse : « Pour eux, la souche de résistance la plus importante est celle de Paris. Donc, ils veulent à tout prix nous mettre hors d’état de nuire ». Les opposants parisiens sont les plus visibles, ils inondent les réseaux sociaux de contenus hostile au régime. C’est une épine dans le pied d’Ali Bongo. Ce dernier en a fait des cibles prioritaires.

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Mouvement de protestation dans les rues de Paris.

Dans le récit qui soutient sa demande d’asile en France, Sika décrit la disparition de ses camarades de La voix du Mapane après les élections présidentielles de 2016. « Je redoute le même sort s’ils réussissent à mettre la main sur moi », écrit-il. Les membres de la diaspora gabonaise qui continuent de se mobiliser craignent un retour dans leur pays qui pourrait leur être fatal. En France, la plupart doivent supporter un flot de menaces quotidiennes.

Les menaces sont parfois déguisées. Elles prennent la forme d’une mise en garde directement transmise par les familles sur qui le régime fait pression. Geoffroy nous a permis de consulter les messages éloquents qu’il reçoit de la part de certains de ses proches : « Hervé Opiangah et Arnauld Egandji [conseiller spécial d’Ali Bongo, NDLR] sont au courant de ton activité avec ton groupe de ngozystes [opposants qui revisitent les chants traditionnels gabonais, NDLR]. Tu auras des problèmes lors de ton retour au Gabon. Tous ceux qui manifestent sont envoyés au B2 [prison de Libreville, NDLR] ». Il n’est pas le seul dans cette situation. « Ils ont essayé d’aller brûler la maison de mon père. Ma grande sœur a perdu son emploi de fonctionnaire. », se plaint Malekou. Les familles de ceux qui s’opposent au régime sont menacées. Quoi qu'il en soit, ils ne peuvent plus reculer. « Pour les opposants, c’est impossible de revenir au Gabon, confirme Malekou. Ces derniers mois, il y a encore trois activistes qui ont disparu ».

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Les opposants gabonais ne seraient pas en sécurité dans leur pays. Un avis que semble partager l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). En septembre, elle a accordé le statut de réfugié à Doriane et Malekou.

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Doriane.

Sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, Doriane est arrêtée le 31 août au cours d’une action militante devant l’ambassade du Gabon et placée en garde à vue. « Je n’avais pas régularisé mont titre de séjour, j’ai fait preuve de négligence », reconnaît-elle. Il n’en fallait pas plus aux pandores français. Direction le centre de rétention administratif du Mesnil-Amelot, au pied des pistes de l’aéroport de Roissy.

De leur côté, les autorités de Libreville font leur possible pour que l’activiste leur soit remise. « Il y a eu pas mal de pression de la part de l’ambassade du Gabon, affirme Doriane. Ils ont dit à la police française qu’ils pouvaient m’accueillir dès le 7 septembre. Auparavant, ils avaient déjà menacé de demander mon extradition ». La décision de l’Ofpra a permis d’éviter in extremis son expulsion. L’office lui attribue le statut de réfugié en raison des menaces qui pèsent sur sa personne au Gabon.

Pour Malekou, la route a été longue. Un année entière a été nécessaire pour qu’il obtienne l’asile en France. « Ça a été très long. C’est le parcours du combattant. Vraiment, je ne le souhaite à personne », nous dit-il. Pour la plupart des opposants gabonais, c’est pourtant la seule perspective.

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