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Jacques Borel : l’homme par qui le fast-food est arrivé en France

Il aura fallu attendre le 31 mai 1961 pour que le hamburger débarque en France. C’est Jacques Borel qui ouvre en plein cœur de Paris, un restaurant qui sert du bœuf haché dans un pain chaud – des frites et du ketchup. L’industriel a choisi de s’associer avec l’enseigne anglaise Wimpy mais comme il se sait en avance sur son temps, il baptise son adresse « Le Café de l’an 2000 ». Jacques Borel n’a pas de temps.

À l’époque, celui que l’on surnomme le « Napoléon du prêt-à-manger » a déjà compris que le futur c’est la transformation de la viande. Dans une vidéo YouTube culte, on le voit, un peu raide, se hisser sur son fauteuil à l’écoute de la question : « Ça ne vous gêne pas d’avoir l’image de la personne qui a ramené la restauration rapide et la malbouffe en France ? »

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« Vous savez pourquoi ça existe un hamburger ? Parce que c’est le sous-produit du travail des femmes », s’insurge Borel. Par un savant calcul – il est diplômé d’HEC – il assure que, comme les femmes bossent, elles n’ont plus les trois heures nécessaires pour faire cuire la viande. Pour ne pas gâcher, il faut donc hacher. D’où l’invention du hamburger. CQFD.

Auréolé de sa démonstration, Borel se voit en défenseur des « modernes » contre les « classiques ». Il continue de philosopher pendant quelques minutes sur ce « monde plus sain » qui attend les consommateurs et l’avancée sociale incroyable que représentent les dates de péremptions et la grande distribution.

Lui qui fait équiper les chaussures de ses équipes de compteurs destinés à calculer le parcours le plus direct des cuisines aux tables se considère avant tout comme un entrepreneur. Un aventurier des fourneaux, un scientifique des cuisines. Borel n’a pas le temps.

Il a importé le concept architectural d’Italie pour capter la clientèle des deux côtés de l’autoroute et mieux multiplier les (colossaux) bénéfices d’un restaurant sans concurrence.

Celui qu’on appellera le « Napoléon du prêt-à-manger » se détourne d’ailleurs peu à peu des Wimpy, s’engueule avec la maison mère et fait péricliter la franchise française à la fin des années 1960. « Sinon, Wimpy ça serait McDo aujourd’hui », précise-t-il au passage. Ça ne mange pas de pain.

C’est que Borel veut se lancer dans un projet qui va littéralement transformer le paysage de l’Hexagone : les Restoroutes.

C’est en 1969, sur l’aire de Venoy, près d’Auxerre, que tout commence. Le goudron de l’Autoroute A6 – impunément surnommée « Autoroute du soleil » – est encore frais quand Jacques Borel inaugure en grande pompe son pont-restaurant.

Il a importé ce concept architectural d’Italie pour capter la clientèle des deux côtés de l’autoroute et mieux multiplier les (colossaux) bénéfices d’un restaurant sans concurrence, nourri du flux permanent de routiers et d’automobilistes en hypoglycémie.

À l’époque, l’autoroute c’est nouveau, les gens paient cher pour gagner du temps, et le temps c’est de l’argent. Évidemment, Jacques Borel a tout compris avant tout le monde.

Il impose le self-service et passe « à 10 clients à la minute, soit 6000 clients par jour, là où un restaurant avec service à table est limité à 400 couverts ». Pour simplifier l’équation, quatre plats – sur la vingtaine originellement proposée – restent à la carte : Steak-frites, poulet grillé, salade niçoise et jambon braisé à l’os sauce madère.

Dans le pays de la bonne chère, on ne tresse pas que des lauriers à un homme qui a articulé sa réussite financière sur la malbouffe.

Le petit homme au verbe haut et à l’œil fou s’enorgueillit toujours de son succès et égraine les chiffres avec flegme. Il faut savoir le reconnaître : Jacques Borel avait raison. Le fast-food est devenu la locomotive de la restauration, le quotidien de millions de Français et un modèle économique stable et pérenne. McDonald en France pèse aujourd’hui quatre fois le chiffre d’affaires cumulé des six cents restaurants étoilés par Michelin.

Bien sûr, le modèle ne plaît pas à tout le monde. Dans le pays de la bonne chère, on ne tresse pas que des lauriers à un homme qui a articulé sa réussite financière sur la malbouffe. Des attaques, Jacques Borel en aura reçu plus que personne.

Dans le film de Claude Zidi L’Aile ou la Cuisse, avec Coluche et Louis de Funès, on retrouve Jacques Tricatel, PDG d’une chaîne de restauration de nourriture industrielle fortement présente sur le réseau autoroutier français. Une caricature transparente et assumée de Borel.

Coluche en fera d’ailleurs une de ses cibles préférées. Dans son sketch Le Belge, il détourne « ce plat pays qui est le mien », le refrain de la chanson de Jacques Brel. « On s’est arrêté pour manger chez Jacques Borel ; c’est celui qui a fait ce plat pourri qui est le mien ».

Claude Brasseur, Renaud ou le duo Font et Val iront également de leur petit taquet. Pourtant Jacques Borel est encore là.

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Aujourd’hui, les Restoroutes Jacques Borel ont été repabtisé L’Arche ou Courtepaille. L’entreprise du début s’appelle désormais Avenance (comme sur les serviettes dans les écoles). Le groupe a été racheté par les hôtels Accor.

Les graines pourries semées par Jacques Borel ont essaimé partout en France, les restaurants ne désemplissent pas, ils sont incontournables et s’attachent à chaque rond-point comme des moules à leur rocher. Alors force est de constater que ce plat pourri qui était le sien et un peu devenu le nôtre.