En 2000, l’érotologue Katharine Gates publiait Deviant Desires, un rapport détaillé des « pratiques sexuelles incroyablement étranges », comme elle le dit elle-même. La couverture nous plonge immédiatement dans l’ambiance : un clown lépreux, un homme se masturbant avec un ballon, une femme en talons hauts, à quatre pattes, affublée d’une selle de cheval.
Pendant près de deux décennies, cet ouvrage a fait office de boussole anthropologique, introduisant les pervers, expérimentateurs et simples curieux à des fétichismes que la plupart n’auraient même jamais crus possibles. Les appétits sexuels étant en constante évolution, Gates vient de publier une édition révisée contenant de nouvelles interviews de ses sujets ainsi qu’une nouvelle section sur la vorarephilie (cannibalisme simulé).
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Le sexe a-t-il pu changer en seulement 20 ans ? La réponse est oui – et c’est en grande partie dû à Internet. En 2000, Internet commençait tout juste à pointer le bout de son nez ; les vidéos en ligne étaient maladroites et les réseaux sociaux existaient à peine. Mais aujourd’hui, la géographie n’est plus un obstacle à l’exploration sexuelle, et même les fétichistes les plus obscurs peuvent se trouver en ligne.
Les mentalités entourant le consentement ont pris un léger élan depuis la première publication de Deviant Desires, en particulier au cours de l’année écoulée. Mais au sein des communautés kink, le consentement a toujours été au centre des préoccupations. Derrière les goûts sexuels obscurs se cache une culture fondée sur le respect et la pleine conscience, où la communication s’établit bien avant que les vêtements ne s’enlèvent. La deuxième édition de Deviant Desires tient compte de ces changements et vient à point nommé, car les communautés documentées dans le livre ont des leçons à donner à nous tout. Gates nous a parlé de tout ça.
VICE : Bonjour, Katharine. Dites-m’en un peu plus sur votre travail et la façon dont tout a commencé.
Katharine Gates : À la fin des années 1980 et au début des années 1990, j’étais très active sur la scène punk-rock. J’étais amie avec beaucoup de prostituées, de freaks et d’excentriques de manière générale. À l’époque, je distribuais des fanzines, notamment dans des petites boutiques comme Atomic Books à Baltimore ou See Here à New York City, où des rayons entiers étaient consacrés aux fétichismes. C’étaient des magazines dédiés à des obsessions toutes particulières – les femmes au crâne rasé, les ponygirls [vous n’avez qu’à chercher sur Google] ou encore le sploshing [un fétichisme de la nourriture].
Il y avait un fanzine, Ticker, rien que sur les chatouilles de pieds. Ou encore un site web dédié à la fessée, de sorte qu’on y voyait que des culs rougis. J’avais aussi beaucoup d’amis qui travaillaient dans le sexe, et j’ai moi-même travaillé dans ce milieu, donc nous recevions des clients aux demandes très très particulières – comme un type qui voulait voir des femmes nues et peintes avec les petites lignes pointillées qui délimitent la découpe d’un boeuf, par exemple. J’entendais beaucoup d’histoires et je voulais comprendre de quoi il s’agissait réellement et pourquoi c’était excitant.
Avez-vous trouvé les réponses à vos questions ?
Je pense que nous sommes tous conçus pour être excités, à différents niveaux – physiologique, émotionnel et psychologique – par le pouvoir, le confort, l’intimité, la peur ; tout ce qui peut nous permettre d’intensifier une expérience érotique ou sexuelle. C’est juste que beaucoup de gens sont hermétiques à tout ça par peur de paraître bizarres. Et s’il y a bien une chose que j’ai apprise, c’est que tout et n’importe quoi peut être matière à l’érotisme.
Certaines pratiques en particulier vous ont-elles surprise ?
Une de mes amies dominatrices avait un client qu’elle surnommait l’Homme-Dindon. Elle le retrouvait dans sa chambre d’hôtel, le déshabillait, le ligotait, l’enfermait dans une boîte et prétendait qu’elle le cuisinait. Il avait aussitôt un orgasme. Le fait de fantasmer d’être une dinde de Thanksgiving, ça m’a paru vraiment unique et spécifique, un vrai fétichisme de niche – peut-être qu’il est le seul mec dans ce cas-là. Mais aujourd’hui, s’il y a dix personnes qui ont le même intérêt, peu importe où elles se trouvent dans le monde, Internet leur permet de se rencontrer. C’était peut-être le seul Homme-Dindon à New York, mais peut-être qu’il y en a un en Angleterre et un autre en Australie. En réalité, il y a des Hommes-Dindons dans le monde entier, et il y a désormais des communautés qui se réunissent pour parler de ce qu’on appelle les fantasmes de cannibalisme. Et c’est devenu un tout nouveau chapitre dans mon livre.
Qu’est-ce que les fantasmes de cannibalisme ?
C’est une sous-culture fétichiste où la majorité des gens impliqués sont excités à l’idée d’être mangés par un autre individu. Ils veulent être transformés en objet de désir intense – que leurs partenaires les trouvent si bons qu’ils ont envie de les manger. Une grande partie de mon livre concerne des gens qui se disent : « personne ne va créer ce porno pour moi, donc je suppose que je vais devoir le faire moi-même.» Beaucoup de gens sont devenus artistes dans le but de réaliser les images qui nourrissent leur besoin érotique.
Il y a une vraie approche DIY dans cette communauté, depuis les fanzines des années 1990 jusqu’à aujourd’hui.
Absolument. Et pour être honnête, c’est ce qui m’a attirée en premier lieu. Le public pour les trucs cannibales est assez petit, par exemple, de sorte qu’aucune multinationale ne va se lancer dans le porno cannibale. Les gens doivent le faire eux-mêmes.
Qu’en est-il des risques émotionnels et éthiques ?
C’est de toute évidence un gros problème en ce moment. Je parle de situations dans lesquelles certaines personnes n’ont pas écouté des « non » ou des « arrête ». La question de la négociation et de la communication devrait être au premier plan de tout type d’interaction interpersonnelle. La communauté BDSM devrait vraiment servir de modèle à ce sujet.
Deviant Desires, de Katharine Gates, powerHouse Books, 256 pages.