Drogue

J’ai été payée pour fumer de la weed pendant 98 jours

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Au cours de l’hiver 1972, Doreen Brown s’est lancée dans une expérience scientifique digne d’un film avec Seth Rogen. Âgée de 21 ans à l’époque, elle vivait seule à Toronto et se trouvait dans une « période sombre » de sa vie depuis la mort de sa mère sept ans auparavant. Elle faisait partie des milliers de personnes qui ont postulé pour participer à une étude consistant à fumer des joints de plus en plus forts dans un hôpital de Toronto pendant 98 jours d’affilée.

Vingt femmes ont été sélectionnées, toutes des fumeuses occasionnelles de weed. Une fois l’expérience commencée, elles ont été divisées en deux groupes : la moitié devait rester sobre, tandis que l’autre moitié devait fumer au moins deux joints entiers chaque soir. Les médecins analysaient constamment leur cerveau, leur cœur, leurs reins, leur foie, leur motivation et leurs activités. On a demandé aux deux groupes de tisser des ceintures chaque jour pour mesurer leur productivité.

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À l’époque, le gouvernement canadien souhaitait assouplir les lois sur le cannabis, et l’étude visait à déterminer si cela entraînerait un effondrement de l’économie. En fin de compte, seuls les résultats d’une étude similaire réalisée sur des hommes ont été publiés, tandis que les résultats de l’étude réalisée sur des femmes n’ont jamais vu le jour. Avant que l’histoire ne soit immortalisée dans le film indépendant The Marijuana Conspiracy,  j’ai discuté avec Doreen, aujourd’hui âgée de 70 ans.

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Photo : Jack Hobhouse/Alamy Stock Photo

VICE : Bonjour, Doreen. À quoi ressemblait une journée typique pendant l’expérience ?
Doreen Brown :
On occupait les couloirs de l’hôpital. On nous a appris à tisser des ceintures pour gagner de l’argent – c’était 2,50 dollars par ceinture – et elles devaient répondre à certains critères de qualité. On a eu quelques jours pour apprendre, puis l’expérience a commencé. On nous faisait passer des évaluations physiques et psychologiques en permanence : tests sanguins et urinaires, contrôles psychiatriques. En fait, on a subi tellement de prises de sang que, chez certaines participantes, il était devenu impossible de trouver une veine. À la fin, on nous a remis une lettre expliquant que si on avait des traces sur les bras, c’était parce qu’on avait participé à une expérience médicale.

Comment fonctionnait la consommation de cannabis ?
On fumait à la même heure tous les soirs, dans le salon. On nous amenait deux joints sur un petit plateau, comme celui sur lequel on amène l’addition dans les restaurants. Deux joints chacune. On ne pouvait pas partager, on devait le fumer en entier. Chaque jour, la teneur en THC de l’herbe était augmentée.

L’expérience vous a-t-elle plu ?
Le truc, c’est que je fumais de l’herbe, mais pas tant que ça. Donc, au début, c’était amusant. On se liait d’amitié, on fumait et on jouait de la musique. C’était comme vivre dans un rêve. On ne payait pas de loyer ou de factures, on ne s’inquiétait pas. Avec nous, l’hôpital est devenu un nid de hippies. On a mis des affiches sur les murs et des matelas sur le sol. Shelly, l’une des participantes, nous a fait des dessins à la craie.

Combien de temps ont duré les moments de plaisir ?
Je dirais les premières semaines, un mois tout au plus.

Y a-t-il eu un moment où vous n’aviez plus envie de fumer ?
Oh, oui. Environ trois semaines avant la fin de l’expérience. La weed était cultivée par le gouvernement, et le taux de THC était de plus en plus élevé. À un moment donné, je ne pouvais plus supporter de fumer ces deux joints par jour. En même temps, je ne pouvais pas démissionner ; j’avais signé un contrat.

Comment vous sentiez-vous à la fin des 98 jours ?
C’était assez effrayant de revenir à la vie réelle après avoir passé autant de temps avec les dix mêmes personnes. Je suis devenue paranoïaque. J’avais peur de sortir du métro. Je me souviens que je me tenais sur le quai et j’étais terrifiée par les personnes qui m’entouraient. Il fallait affronter la réalité à nouveau. L’aventure était terminée.

On dirait que vous avez été institutionnalisée dans ce monde étrange.
Absolument. C’était un peu comme une prison, parce qu’on n’avait pas le droit de voir nos proches ou de sortir.

Pourquoi n’ont-ils jamais publié les résultats de l’étude, selon vous ?
Pour des raisons politiques. Pierre Trudeau était Premier ministre et voulait légaliser la weed. En fait, le gouvernement a commandé cette étude pour démontrer son impact sur la productivité, mais je suis sûre qu’elle n’a pas apporté les résultats escomptés – c’est-à-dire montrer que fumer tout ce cannabis faisait baisser la productivité. Il y avait des gens qui gagnaient pas mal d’argent avec ces ceintures, et deux d’entre elles étaient du côté des fumeuses.

Regrettez-vous d’avoir participé à l’étude ?
Non, j’avais besoin de le faire à ce moment-là.

Êtes-vous déçue qu’ils n’aient pas publié les résultats ?
Un peu, mais je n’ai pas laissé ça affecter ma vie. Mais oui, je me suis sentie trahie. Ce n’était pas très long, mais c’était quand même 98 jours. Et je n’ai jamais eu les résultats promis.

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