Quand, en plein confinement, mon rédacteur en chef me demande par mail si j’ai envie de me mettre à la musculation dans le cadre d’un article, j’ai déjà bu trois pintes et une demi-bouteille de rouge. L’ivresse aidant, je lui réponds que je suis prêt à essayer. En appuyant sur la touche entrée, je redeviens sobre et je me rends compte que j’ai fait une erreur.
Beaucoup de gens ont commencé la quarantaine en promettant de se remettre en forme, mais ils avaient une porte de sortie : il leur suffisait de ne pas le faire. Je n’ai pas la même option, puisque c’est pour le travail. Il n’y aura donc pas d’abandon de la salle de sport et de verres payés avec le remboursement de l’abonnement, pas de fausses blessures pour s’en sortir, et pas de demi-mesures.
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Le but n’est pas de préparer mon « summer body » ou de perdre du poids, non : il s’agit de subir l’enfer juste pour rire. Comprenez : essayer de me muscler autant que possible, tout en perdant autant de graisse corporelle que possible, dans un laps de temps limité, en n’utilisant que ce dont je dispose, c’est-à-dire deux poids modestes et la gravité.
Le premier jour du défi, au réveil, je remarque la poudre de protéine de beurre d’arachide que j’ai achetée à minuit moins le quart et je considère la phrase : « Tu es ce que tu manges. » La bière est probablement mon plat préféré. Je ne mange que rarement de la viande, mais je fais régulièrement fondre des épinards dans un océan de beurre.
Je n’ai pas été à la salle depuis dix mois et je n’ai pas couru depuis environ quatre ans. Je n’ai pas de trajet pour aller au bureau, car je travaille depuis chez moi. L’économie des petits boulots ne me laisse pas le temps de faire du sport. Mais quand la balance que j’ai commandée arrive et que je vois que mon indice de masse corporelle (IMC) progresse dans la catégorie « obésité légère », je me rends compte que je devrais probablement commencer à prendre le temps d’en faire, notamment à cause des risques de santé à long terme (diabète de type 2, hypertension, maladies du foie et des reins, pour n’en citer que quelques-uns).
C’est horrible de se faire prendre en photo au début du défi. Ce n’est pas la faute de mon collègue photographe, Chris, c’est juste que je n’ai jamais aimé cela. À chaque clic de l’objectif, je sens des couches de ma peau se détacher, exposant ma propre conscience. Nous prenons des photos peu flatteuses en utilisant un flash et des fonds blancs, pour faire ressortir mes rondeurs et les résidus de chocolat qui recouvrent mes dents.
Dès que Chris s’en va, j’ai envie de faire du sport. Je fais cinq pompes avant de m’écrouler en gémissant sur mon tapis de yoga.
SEMAINE 1
92 kg, 33,4 % de graisse corporelle
J’indique mon poids, mais ce n’est pas important – la prise de muscle entraîne souvent une prise de poids, donc cela ne me dérange pas tant que ça. Je me concentre sur le pourcentage de graisse corporelle, car j’ai lu que n’importe quel homme peut avoir des abdos si sa graisse corporelle est proche de 15 %.
Il y a des choses dont on se souvient inexplicablement dans la vie. On n’y pense pas tous les jours, mais on s’en souvient pour toujours. Et moi, je me souviendrais toujours du 23 août 2018, quand Kim Kardashian a annoncé qu’elle faisait 1 000 squats par jour. Hier, j’en ai fait 200, et aujourd’hui, je peux à peine marcher. Aller aux toilettes est un vrai problème. Du coup, j’imagine Kim se forçant à aller aux toilettes tel Bambi marchant sur la glace, faisant des grimaces à chaque fois qu’elle s’essuie. J’ai beaucoup de respect pour elle.
Le lendemain soir, je décide d’essayer le Brutal HIIT Ladder Workout, pour voir à peu près où en est ma condition physique. Dix minutes plus tard, mon sang a tourné au vinaigre. Je boite jusqu’à la fin de la séance et je reste allongé sur le sol pendant un temps qui dure entre dix minutes à une heure. Pendant que je suis par terre, un mail apparaît sur mon téléphone : « Nous vous avons programmé des réunions Zoom hebdomadaires avec Zack George, l’homme le plus fit du Royaume-Uni, à partir de lundi. Il vous enverra un programme d’entraînement à suivre. »
Avoir accès à quelqu’un comme Zack gratuitement est un luxe, mais on ne peut pas acheter la volonté. Ainsi, même s’il m’envoie des mails pour m’aider à me mettre en forme de manière responsable, il ne sera pas là pour surveiller mes séances d’entraînement ou vérifier le contenu de mon frigo – et je sais déjà que je l’ignorerai chaque fois qu’il me proposera de faire un jogging. En tout cas, en lui parlant, je serai un peu moins dans le brouillard sur ce qu’il faut faire la semaine prochaine.
Pour l’instant, je suis livré à moi-même. Je suis un tas de comptes dédiés au fitness, puis je découvre un homme qui devient mon nouveau demi-dieu : Jeff Cavaliere de ATHLEAN-X™ (plus d’informations sur lui plus tard). Je clique sur une vidéo intitulée « Entraînement brutal des triceps (MAL AU BOUT DE 6 MINUTES !) » et note que « brutal » est un terme qui revient souvent dans les titres. Je me demande si cette brève incursion dans le fitness va faire de moi un masochiste.
Six minutes plus tard, j’ai très mal. J’avale une boisson protéinée qui a un goût de craie. Je me demande si j’ai droit à des jours de repos. Je regrette également de ne pas avoir descendu mon stock de bières avant de commencer ; il est difficile de résister à la tentation d’en ouvrir une.
SEMAINE 2
92,5 kg, 30,5 % de graisse corporelle
Je rencontre mon coach personnel, Zack George, sur Zoom. À un moment donné, je lui pose des questions sur la douleur et il me dit : « Si tu as du mal à marcher un matin, nous ferons une séance légère ce jour-là. » Ce qui me rassure. Je remarque sa carrure, ce qui me rend à la fois jaloux et inquiet.
« Je ne pense pas que tu vas gagner beaucoup de masse, c’est difficile, dit Zack. Ça prend des mois à la salle de sport pour la plupart des gens. Peut-être que si tu étais génétiquement avantagé… »
Je ne suis pas génétiquement avantagé, et je me désintéresse rapidement de ce qu’il dit, jusqu’au moment où j’entends : « Tu peux améliorer ton apparence en un mois. » Je fais ma première séance d’entraînement :
_50 répétitions de chaque exercice :_Pompes
Squats
Haltère 10 kg
Lever de jambes
Kettlebell swing
Burpees
Peu de temps après, la quarantaine au Royaume-Uni commence comme il se doit et je séjourne chez les parents de ma petite amie. C’est ma première visite chez eux. Je me rends vite compte que je ne peux pas entretenir ma relation en me nourrissant uniquement de thon et de riz brun comme un culturiste, et en refusant de boire de la bière. Je ne peux pas sentir la transpiration en permanence et faire des bruits bizarres et pénibles au petit matin.
Le premier jour là-bas, j’ai une petite crise d’angoisse. Je pensais pouvoir m’entraîner devant ma copine, mais j’ai trop honte. Après dix burpees, je me sens gêné alors qu’elle me filme pour mes stories Instagram. Je m’arrête sans donner d’explication et je boude au lit pendant environ 20 minutes.
SEMAINE 3
91 kg, 26,4 % de graisse corporelle
Je me réveille avec le meilleur cadeau de Noël que j’ai jamais reçu : un vrai biceps. Plus tard, lorsque je me penche pour aspirer de l’oxygène en plein entraînement, mon ventre semble moins rond qu’avant. Je me sens bien. Puis j’essaie de courir et mon dos me lâche. La journée devient alors un jour de repos, qui m’est accordé une fois par semaine. Je le passe à toucher mon petit biceps entre deux vidéos d’entraînement.
Après quelques heures passées à absorber des perles de sagesse – « le burpee est l’un des exercices les plus efficaces pour brûler des calories » – ma petite amie m’interrompt. « Vous regardez attentivement cette crevette, et vous lui faites signe de la tête. » Elle fait référence au demi-dieu Jeff Cavaliere d’ATHLEAN-X™, et à sa vidéo « Les 5 façons les plus idiotes de faire du cardio », où il se moque du jogging, mon ennemi juré. Vers la fin de la semaine, je souffre au point que j’ai du mal à m’habiller.
SEMAINE 4
90 kg, 23,4 % de graisse corporelle
J’ai perdu plus de 10 % de graisse corporelle. Mes bras ont déjà des muscles visibles « au repos » et à la bonne lumière. Il y a une légère ligne verticale qui se forme au milieu de mon ventre. Quand je mets mes mains sur mes hanches, je ne sens aucun bourrelet. Mais j’ai hâte de parler avec Zack cette semaine – j’ai besoin de lui comme un petit a besoin de sa mère.
Après le petit déjeuner, je me fais un smoothie avec de la poudre de protéine de pois, de l’isolat de fève, de la poudre de graines de lin, du chou frisé, du riz brun et plus encore. C’est ignoble. Mais je m’en fiche. Je suis au top de ma forme.
Tout est en train de se mettre en place. J’ai appris que le monde du fitness a beaucoup d’acronymes et que l’EMOM me convient parfaitement. C’est l’acronyme de « Every Minute On The Minute ». Disons que vous faites dix burpees en 39 secondes, que vous vous reposez pendant 21 secondes, avant de passer à l’exercice suivant.
À la fin de la semaine, je rentre chez moi. J’ai l’impression d’avoir beaucoup grandi chez mes beaux-parents, même si ces dernières semaines ont été un peu ennuyeuses à cause du défi. J’espère que ma copine me trouve plus sexy maintenant. Quoi qu’il en soit, pendant le trajet du retour, je me dis que les gens qui réussissent sont souvent considérés comme des trous du cul, et cela me donne à réfléchir.
SEMAINE 5
89 kg, 23,1 % de graisse corporelle
Je regarde par la fenêtre et tout me semble beau. Je regarde le néon du kebab et je sens une brise chaude passer par la fenêtre. J’ai l’impression d’être en vacances. C’est surtout parce que je bois une bière et qu’il y a une pizza dans le four. Maintenant que mon défi est terminé, je pense à ce que j’ai accompli et me rends compte que c’est probablement relativement insignifiant : un effort de 5/10 comparé à ce que l’on voit dans les magazines de fitness.
Au bout de quelques semaines, je peux toujours contracter mes pectoraux quand je le veux et mes bras ont l’air ferme quand je les croise. Je ne m’entraîne pas aussi souvent que pendant la quarantaine – peut-être deux fois par semaine, si j’ai le temps – mais plus qu’avant, et en fait, les résultats sont toujours là. À la fin du défi, j’ai perdu un tiers de ma graisse corporelle, un changement assez radical. Je me tiens plus droit et je corrige ma posture lorsque je suis assis à mon bureau. Je me sens plus fort et mon dos me fait moins mal. Le défi m’a donné assez de confiance en moi pour publier mon tout premier selfie.
Ma relation avec l’exercice physique a définitivement changé. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’aime ça, mais dès que j’ai 20 minutes de libre dans ma journée, je me mets à faire du sport.
Je ne pense pas que je vais suivre le lourd entraînement de Zack au-delà du confinement. Mais je me souviens qu’il a dit s’être entraîné toute sa vie, et il emploie le mot « cohérence » dans chaque conversation.
Selon la science, les habitudes se prennent en 66 jours, et j’en suis maintenant à la moitié de cette période. Même si je me contente de quelques entraînements par semaine, je suis une machine par rapport à mon ancien moi. Et à la fin de l’été, qui sait, peut-être que j’aurai plaisir à voir mon reflet dans la vitre du bar. Voilà donc le plan : essayer de continuer, à mon rythme, de manière responsable. À l’effort !
@rhysthomas / @christopherbethell
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