Début mai, la presse semblait tomber des nues en découvrant un fléau que 100 % des usagères des transports en commun connaissent déjà : le problème des « frotteurs » du métro parisien.
Le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes – commandé par Marisol Touraine et la secrétaire d’État chargée des droits des femmes Pascale Boistard – a en effet de quoi faire flipper : selon celui-ci, 100 % des femmes auraient déjà été alpaguées, sifflées, insultées, voire agressées sexuellement dans les transports en commun. Au milieu du flot d’interviews de porte-parole d’associations féminines et des diverses victimes anonymes de mains au cul, un grand absent manquait à l’appel : les fameux pervers de métro. Ces mecs collent leur bite sur la poche de votre jean avec insistance dès 9 heures du mat’, tandis que d’autres profitent des virages pour vous palper les seins, ni vu ni connu. C’est bien assez pour que vous vous sentiez agressée, bien sûr, mais trop peu pour que vous n’osiez faire un scandale.
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En écumant les forums « fantasmes » de Doctissimo et le thread nommé « Fantasme transports en commun », je suis tombée sur les témoignages de plusieurs frotteurs intempestifs. En lisant ces tips infernaux au sujet de « moments de complicité dans un bus, même si c’est juste pour se faire caresser », je suis presque devenue partisane de la solution radicale, employée au Japon, des wagons women only (option également envisagée par Claire Perry, actuelle ministre des transports britannique).
Curieuse de comprendre l’étrange psychologie de ces mecs, j’ai posté plusieurs appels à témoins. Après quelques messages privés assez poivrés (notamment ceux du dénommé Martine Trav scato, un monsieur travesti qui aime se photographier sans sous-vêtements dans le métro), j’ai été contactée par Maxime [ son nom a été modifié]. Cet ingénieur en informatique de 38 ans fait partie de cette communauté de frotteurs et sévit par intermittence dans le métro depuis près de 20 ans. J’ai passé un peu de temps au téléphone avec lui, et quoiqu’il refuse de s’envisager comme un « prédateur sexuel », je lui ai demandé pour quelles raisons il était excité à l’idée de se coller à des inconnues – et pourquoi il n’en ressentait pas la moindre culpabilité.
VICE : Dans nos échanges sur Doctissimo, tu as précisé « fantasmer » sur les femmes dans les transports en commun. Peux-tu m’en dire plus ?
Maxime : Comme je te l’ai expliqué sur Docti, la proximité des transports en commun est un truc qui m’excite beaucoup, et ce depuis de nombreuses années. Ce n’est pas forcément évident, et sur les forums où je poste et échange, je me fais souvent engueuler, parfois même insulter. On me traite de « pervers », de « malade » ou de « dérangé » – ces mots reviennent toujours. Mais je tiens à clarifier les choses d’entrée : je ne suis PAS un agresseur sexuel, je n’ai jamais fait de remarque salace à une femme contre sa volonté, ni touché ses seins ou ses fesses. Je ne suis pas ce que l’on appelle un prédateur.
OK. À quand ce fantasme remonte-t-il, et concrètement, comment se traduit-il ?
J’ai grandi dans un village d’Auvergne jusqu’à mes 19 ans. Chez moi, tout le monde se connaissait, j’ai grandi en vase clos. Quand je suis venu vivre à Paris, j’ai découvert le métro. Pour moi, ça a été carrément exotique ! Tous ces visages, ces cheveux, ces jambes, ces bretelles de soutien-gorge… Beaucoup de gens vivent ce truc comme une corvée, mais moi la proximité, la moiteur, et le fait de voir le corps des femmes en gros plan, comme avec un zoom, j’ai trouvé ça incroyable. Je me souviens d’une femme très classe, genre working-girl, tailleur-jupe et jolies jambes, le style qu’on voit dans les pubs pour bas et collants. Aujourd’hui, on dirait une « MILF ». L’affluence du métro l’a obligée à appuyer ses seins contre mon bras. J’étais tout gamin, et à l’époque, je bandais pour un oui ou pour un non. Cette expérience m’a fait beaucoup d’effet ! Depuis, c’est devenu un passage presque obligé quand vient le printemps. Parce que bon, l’hiver avec la grippe et les anoraks, t’as moins envie de te coller aux filles.
Je repère les jolies femmes, j’essaie de m’installer à côté d’elles, je les effleure très légèrement, j’imagine des scénarios…
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Es-tu au courant du fait que les mecs dans ton genre sont une véritable plaie pour les nanas ?
J’ai envie de te dire qu’il ne faut pas voir tout blanc, ni tout noir. Certaines filles vont sûrement être agacées, parce qu’elles ne sont pas dans un contexte de séduction à ce moment de la journée, quand elles rentrent d’une journée de boulot et sont un peu crevées, irritables. Elles sont un peu « prises par surprise » si j’ose dire. Mais d’expérience, d’autres apprécient – ou en tout cas ne sont pas gênées par la promiscuité. Je ne me frotte pas sur elle comme un clébard non plus, j’essaie d’y aller soft. D’instaurer un rapprochement physique, qui peut – ou non – donner lieu à plus.
Quand j’étais célibataire, plusieurs filles m’ont souri en descendant du métro. J’engageais la conversation, il y avait un rapport de séduction qui s’installait. Bon, d’autres soupirent ou te jettent un regard énervé ; celles-là, t’insistes pas. Je dirais que la plupart ne remarquent même pas, car comme je te l’ai dit, je suis une sorte de « gentleman frotteur ».
Beaucoup de mecs me jugeraient, mais ce sont les mêmes qui trompent leur femme avec leur secrétaire. Moi, j’ai trouvé un moyen de lui rester fidèle tout en pouvant m’évader, et vivre ma sexualité.
Tu as précisé ne plus être célibataire. Ta compagne est-elle au courant de ton penchant pour le frottage ?
Non, pas du tout. Je pense qu’elle ne saisirait pas le délire, et me verrait comme un satyre exhibitionniste, ce qui n’est pas du tout le cas. D’ailleurs, après la polémique dans les médias sur les « frotteurs » il y a quelques semaines, j’ai entendu ma chère et tendre se plaindre des « gros lourds dans les transports » avec ses copines. Internet a joué un grand rôle là-dedans : je suis très actif sur les forums, et j’échange même avec des femmes qui partagent ce genre de fantasmes. Beaucoup de mecs me jugeraient, mais ce sont les mêmes qui trompent leur femme avec leur secrétaire. Moi, j’ai trouvé un moyen de lui rester fidèle tout en pouvant m’évader, et vivre ma sexualité.
As-tu conscience que ce genre de comportements peut s’assimiler à une agression sexuelle, quoique les frotteurs bénéficient pour l’heure d’un certain flou juridique ?
Comme je te l’ai dit, il faut faire la distinction. Je n’ai jamais insulté une femme, ni exhibé mon pénis, ou tenté de leur mettre une main sous la jupe. Tout ça, ce sont des choses que je condamne. Mais que je sache, la proximité dans les transports n’est pas un crime – même si celle-ci me provoque parfois des érections incontrôlées. Je fais souvent le comparatif avec les boîtes de nuit. En boîte, il est commun de se faire gentiment frotter par un inconnu avec lequel on danse. Dans ce contexte, personne n’étiquette ces hommes comme des pervers, certaines filles en jouent, et cela ne fait pas les gros titres de la presse. Pourquoi les choses seraient-elles différentes dans une rame de métro ? C’est un fantasme, au même titre que les gens qui aiment imaginer des scénarios quand ils sont chez le médecin.
Tu veux dire, mis à part le fait que ces gens-là ne font pas subir leurs fantasmes au médecin en question ?
Je crois qu’on fait trop d’amalgames. Moi, je suis toujours resté correct, et si tu te balades sur Internet, tu verras que je ne suis pas le seul à triper là-dessus. Il y a tellement de films de cul qui commencent par des échanges de regard entre deux inconnus dans une rame de métro ! C’est devenu un poncif. Pourtant, personne n’a jamais protesté, appelé à la censure ou dit que c’était une apologie de l’agression sexuelle. Quand tu vas sur Youporn, il y a une catégorie « fantasmes », comme t’as une catégorie big boobs ou ebony. Eh bien dans cette catégorie, si tu tapes subway en mot-clé, tu as des pages et des pages de vidéos, qui commencent bien souvent par des effleurements dans une rame de métro. CQFD.
Mouais.
[Note du 16/02/2017] La rédaction n’encourage en rien les actes décrits par la personne interviewée. Les agressions sexuelles sont fermement condamnées par la loi française, et peuvent aboutir à une peine de prison de 5 ans et une amende de 75 000 euros. Plus d’informations ici.