J’ai parlé de l’avenir de la France avec une tireuse de cauris

Vice - tireuse de couri, grand débat © Aurélien Meimaris (36)

L’Hexagone connaît aujourd’hui une période de mutations sociétales et, selon les experts, est en train de vivre des heures sombres inévitables. Du regain de pouvoir du peuple, au désarroi de la classe politique, en passant par l’antisémitisme ou la fragmentation de l’opinion publique… Bienvenue en France. Cela fait maintenant plus de 3 mois que chaque samedi des milliers de gilets jaunes descendent dans la rue, que BFM TV tourne en boucle dans les cafés, que des mains, des yeux, des mâchoires, des droits se perdent. Une question reste néanmoins en suspens : jusqu’à quand ?

Certains prônent un combat sans relâche de la part des stakhanovistes de la révolte, d’autres un essoufflement notable du tohu-bohu. Quelle analyse de comptoir verra juste ? Je me suis rendu auprès de vrais spécialistes du destin, de personnes qui ont reçu dès la naissance des dons particuliers permettant de voir ce qui n’a pas encore eu lieu. Car oui, si l’avis de certains éditorialistes est relayé en masse, d’autres experts font partie de cette même société qui va mal. J’ai donc cherché au-delà des pronostics, contre tous les sondages IFOP, la voix d’une force qui nous dépasse, une force mystique.

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« Annulation de divorces, promesses de fidélité, guérisseur de maladies inconnues, lutte contre la perte de cheveux et réparation d’ordinateur à distance… ». Dans le centre-ville de Marseille, les marabouts de coin de rue croupissent en masse.

Naïvement, je me suis dit que l’un des auteurs de ces prospectus allait pouvoir m’éclairer, me dire jusqu’à quand cela durerait. L’un d’eux me donna rendez-vous en plein cœur d’une zone industrielle, stipulant de venir seul, avec une avance d’argent sur moi, me demandant précisément la marque de mon appareil photo et me prévenant que quelqu’un allait venir me chercher en voiture. Je ne lui avais pas encore donné le motif de ma venue. Son un ton insistant, ce lieu de rendez-vous improbable et ses instructions n’étaient pas rassurants. Le guet-apens était trop évident.

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Sans réponse, sans avenir plus clair et sans alternative, je me retrouvais comme tout le monde ce samedi-là, esseulé face au manque d’accompagnement et de coopération dans ma lutte. Déambulant au beau milieu de Belsunce, quartier du centre-ville de Marseille, j’ai égrainé mes contacts en quête de réponses. Un ami de la famille, ancré dans la communauté africaine de Marseille me conseille de ne pas m’approcher de ces faux marabouts. « Les seuls marabouts sont en Afrique, au Sénégal, ils peuvent te faire des consultations au téléphone mais bon, ce n’est pas trop le moment. C’est les élections, tout le monde est occupé ». Après avoir partagé mes intentions il ajoute : « Si un marabout a besoin de vanter ses mérites sur des flyers, c’est un mauvais marabout. Au Sénégal, pour connaître l’avenir politique de la nation, on va consulter les tireuses de cauri ».

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Les cauris sont des coquillages utilisés autrefois comme outils de circulation prémonétaires. De la dynastie des Zhou en Chine jusqu’aux traites négrières en Afrique, ces coquillages ont fait l’objet de convoitises du fait de leur beauté et de leur étrange composition. Encore aujourd’hui dans certains pays d’Afrique ils sont utilisés comme complément du franc CFA. Un sac rempli de cauris vaut environ 2 000 francs CFA, soit 3 euros. Au téléphone, mon contact m’indique que je peux trouver ces femmes en face du snack « Le Prince » à Belsunce. Ces femmes, assez discrètes, vendent tous styles de petits souvenirs, accessoires, habits. Elles ont avec elles un sac plastique, blanc, avec du papier journal dedans, pour cacher les fameux cauris.

Je fais la connaissance de « Mama ». Elle est assise sur un carton, à côté du snack avec une ancienne tireuse de cauris. Je m’adresse à elles au sujet du devenir de la France. Mama appelle une amie qui pourra mieux lire mon avenir dans ses coquillages, l’autre me raconte que c’est quelque chose qui se transmet généralement de génération en génération, de la grand-mère à la mère, puis à la fille et la petite-fille. Une nouvelle femme arrive, me regarde dans les yeux et me dit « Toi je vais te dire ce que tu veux entendre, je l’ai vu dans ta peau, dans ton sang ». Le décor est planté.

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Elle m’amène au premier étage du snack et commande un Seven Up mojito, qu’elle appelle « bulrito ». Nous nous installons face-à-face, elle sort de son sac plastique une petite boîte enveloppée de papier journal. Elle déballe le tout et me redemande le pourquoi de ma venue. Je lui explique que le devenir de la France m’inquiète, j’ai envie de savoir ce que l’on doit espérer d’une présidence fébrile, d’une partie de la population qui se bat tous les week-ends. Je veux savoir quand cette colère s’arrêtera, s’il faut rester là ou partir. Elle mélange ses coquillages, me regarde et m’explique « Je vais les laisser agir, je vais te dire ce que moi je pense. »

De là arrive une analyse politique juste, sensée, d’actualité et très bien renseignée sur le sujet. Une analyse défendant une jeunesse peu considérée et trop souvent délaissée. « Nous, on pense que les “gilets jaunes” ont raison, on aimait Macron avant, mais il a tout cassé. On ne le veut plus. Il va finir mal, parce que les jeunes ne le laisseront pas. Ce n’est pas bon. Il y en a qui ont des enfants qui ne peuvent pas manger. Il faut qu’il aide les jeunes. Nous, on a déjà ce qu’on a. Macron, je ne sais pas comment il fait. Les jeunes sont fatigués, il faut qu’ils continuent mais sans violence. »

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Je demande donc aux coquillages s’ils sont du même avis. La tireuse sépare ses cauris en petits tas, les mélange en déclamant des incantations suivies de murmures disant « arrière-pensées ».

La plupart des revendications sociales sont étroitement liées à une situation financière qui se précarise. Dans un environnement où l’enrichissement devient une priorité, je lui demande des conseils pour, à défaut de devenir riche, arrêter d’être pauvre. « Si Macron n’aime pas les pauvres, je vais te dire comment attirer l’argent. Tu prends un morceau de gingembre, tu le glisses dans ton porte-monnaie. Dès qu’il est sec tu le jettes et t’en mets un autre à la place. Plus il est en bon état plus l’argent va venir ».

Au détour de quelques divinations non adjurées au sujet de mon avenir rectiligne, aux États-Unis, avec deux enfants, je lui demande s’il est bon de rester en France dans ces temps de crise. La tireuse de cauris me répond qu’il n’y a rien de bon à rester dans un environnement hostile. « Le mal attire le mal, si tout cela ne s’arrête pas bientôt, beaucoup de pertes sont à prévoir ». À défaut d’être optimiste, au moins c’est clair. Je lui demande donc quelques précisions temporelles concernant l’emploi du temps des révoltes. « Ça ne va pas durer, Macron va laisser tomber, je le vois. En avril. Les gens vont faire table ronde. Attends… Oui, en avril c’est fini ».

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Je lui montre ensuite une photo d’Alexandre Benalla, lui expliquant qu’il a quelques problèmes en ce moment avec la justice. Elle le regarde de près, réfléchit quelques secondes et le reconnaît : « Oui, je vois, c’est l’homme à la télé, il a frappé une femme, et un homme aussi. Lui, on croit qu’il va s’en sortir mais regardez les cauris, il est seul. Macron va le laisser. C’est un homme mauvais et tout se retourne contre les hommes mauvais ».

Elle enchaîne ensuite sur un conseil : « Les gens voient leurs demandes exhaussées grâce à des sacrifices. Le lundi ou le jeudi, tu prends un sac de poulet, un sac de sucre, du lait caillé et une boîte de bougies blanches. Tu réalises ta demande puis tu donnes tout à un mendiant ou à une mosquée ».

Après avoir demandé d’où venait ma mère, le travail de mon père, les relations que j’entretenais avec mes amis elle s’arrête et déclare subitement : « Les affaires de marabout il ne faut pas y toucher, tu ne dois pas t’orienter vers eux », sans préciser la raison de cette admonition. La tireuse de cauris finit par deux conseils : cette année il ne faut pas acheter de voitures noires, rouges, jaunes, mais plutôt grises. Toujours se méfier des marabouts.

Je ne sais pas si le premier conseil s’applique à tout le monde, mais le deuxième se rapproche certainement de la réalité. Réelle exhortation ou mépris de la concurrence ? Aucune idée… Pour le reste, l’avenir me dira si elle a vu juste.

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