Le centre commercial de Wijnegem a ouvert un refuge pour hommes pour célébrer le début de l’hiver. C’est pas trop tôt. Tout homme, à l’exception peut-être de Slimane, est physiquement et mentalement incapable d’apprécier faire du shopping. C’est d’ailleurs scientifiquement prouvé que les hommes ne peuvent pas se déplacer plus de vingt minutes le menton levé dans une rue ou un centre commercial. La souffrance infligée aux hommes traînés à travers les vitrines des magasins est l’une des formes les plus grossières et les plus répandues de cruauté humaine. En tant que bon flamand, je suis fier que cette pratique ancestrale soit enfin reléguée aux oubliettes grâce à un centre commercial belge. Et pas du tout parce que j’ai grandi à côté – et même souvent à l’intérieur – dudit « shopping ».
Si on avait tourné un film comme Boyhood sur mes années adolescentes, il y a de fortes chances pour que le centre commercial de Wijnegem remporte un Oscar pour le meilleur second rôle. C’était mes années de consommation abusive de Coca, de PlayStation et de courses à vélo pour arriver le premier sur le toit du shopping. Là même où depuis la semaine dernière, un refuge est offert aux hommes qui en ont désespérément besoin, j’ai évolué de garçonnet enjoué à adolescent tourmenté. Quand j’ai eu l’âge, j’ai bossé comme étudiant au rayon Nike du magasin de sport United Brands. Toute la journée, on entendait passer le même CD avec « Where is the love » des Black Eyed Peas. Je l’ai tellement entendue qu’il y a toujours un couplet que je peux chanter par coeur. Le midi, je mangeais mes tartines au fromage sur le toit, avec vue sur les prés et les quartiers résidentiels de Wijnegem. Maintenant, nous sommes en 2019 et comme tout homme désorienté le ferait, je suis retourné à mes racines dans l’espoir de me sentir chez moi dans le Hub, qui serait d’ailleurs la plus grande Man Cave au monde jamais construite.
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Comme lors de mes jobs d’été, je reconnais dans les allées du centre commercial les hommes dont le niveau d’énergie et la joie de vivre sont dans le rouge. Ils se promènent tous désespérément derrière leurs femmes, à la place d’accomplir les tâches masculines essentielles, comme couper du bois, bricoler avec la voiture ou chipoter avec des câbles. Et tout ça après s’être baladés une semaine au bureau avec la peur d’accidentellement choquer une collègue avec leurs pénis et d’être renvoyés pour motif #MeToo. Comme ces hommes, j’ai également suivi ma petite amie et ma mère dans les couloirs de marbre de ce paradis du shopping. Sur une échelle extrêmement vaste, il existe différents niveaux de torture : purger une peine de prison à Robben Island, appeler le service client de Télénet, ou attendre dans un shopping pendant que votre femme dépense de l’argent.
Mais attendez ! Il y a le hub. Le Hub pour les shoppers, c’est comme un groupe Facebook raciste pour les membres de Schild & Vrienden ou un film de Tarantino pour les fétichistes : c’est le sentiment merveilleux d’être enfin à la maison. Et ça commence par la pancarte à l’entrée. Pas d’accès avant 16 ans. Diantre, ce n’est pas une garderie, c’est un refuge pour hommes ! Pour mettre tout le monde à l’aise, le logo est basé sur celui de Pornhub. À l’intérieur de la Man Cave, ça sent le barbecue dans une usine Axe. Tant de virilité, ça donnerait presque une érection.
Au bar, j’ai le choix entre une liste de cocktails à douze euros, mais j’opte pour une bonne bière de mec. Après tout, il est déjà midi. Comme le slogan « les hommes savent pourquoi » est déjà pris, Duvel propose « Shopping never tasted this good » sur le mur en fausse brique. Un panneau avec des pictogrammes indique aussi que les hommes torse-nu ne seront pas servis, mais que pour la gent féminine, les conditions suivantes sont d’application : « No shirt, free drinking ». Voici encore un autre exemple typique de générosité masculine. Ça doit être génial pour une femme qui n’a pas assez d’argent pour s’acheter des vêtements d’arriver ici, et de voir qu’elle a droit à de la considération et même à une boisson gratuite. C’est précisément pour ce type de situation d’urgence que la Chouffe à la cerise figure sur la carte.
Je m’installe à côté d’un collègue masculin (qui aura commandé trois Duvels avant deux heures de l’aprem) et nous trinquons à notre liberté retrouvée. Les pieds sur la table comme un vrai bonhomme, je lis le supplément sportif de Het Laatste Nieuws et jette parfois un œil au match de basket-ball diffusé sur la gigantesque TV sponsorisée par Philips. Si j’avais trop d’argent ou des connaissances financières limitées, j’aurais déjà déjà demandé à ma femme d’en acheter une.
Les hommes perdent généralement leurs amis sous le joug de la vie commune. Le Hub offre ici également une solution. J’ai bientôt un nouveau copain, répondant au nom de Flor. Il me raconte qu’avant, il avait pour habitude de se rendre au Lunch Garden pendant que sa moitié faisait un tour. Maintenant, grâce au Hub, on peut s’accouder virilement à la table de billard et jouer avec nos boules. Au mur, on observe une série de photos d’époque encadrées montrant un homme qui apprend à une femme à jouer au billard. Dans l’un d’elle, il lui dit : « Maintenant que j’ai vous ai appris le jeu, un baiser ne serait pas de trop. » Malheureusement, il n’y a ici aucun être de sexe féminin à qui je puisse apprendre à manier une queue. Seulement Flor.
Je pose mon verre de bière sur un baril de pétrol Total, ce qui me fait sentir encore plus homme. Ce baril de pétrole, tout comme les jerrycans et les palettes de bois qui m’entourent, a probablement été oublié ici par les travailleurs venus au Hub après leurs rudes journées de labeur au port ou dans la construction. Sur le jerrycan, il y a un auto-collant Homer Simpson qui dit « Woo Hoo » et c’est exactement ce que je ressens. Je vois une femme d’âge mûr habillée d’un épais manteau d’hiver se promener tranquillement et jeter des regards à gauche à droite. Elle a probablement perdu son homme.
Dans le coin le plus reculé, la PlayStation est accaparée par trois jeunes hommes confiants qui partage la même coiffure rasée/dégradée et le même corps trente pour cent BasicFit / septante pour cent Bicky Burger. Sur la table à côté de moi, outre la presse classique, se trouve également le journal de billard bien connu De Ballen, avec en première page un reportage du KNBB Kling Masters. Si j’avais été fumeur et disposais d’une pipe, c’est maintenant que je l’aurais dégainée.
Comme si mes pensées étaient liées au soundsystem, j’entends retentir à la radio la chanson de Portugal.The Men, « Ooh Woo, I’m a rebel just for kicks now ». C’est exactement ça. Rien ne peut plus m’arriver maintenant que je suis redevenu un homme, un vrai. En vérité, il me faudrait une nouvelle casserole et un nouveau pantalon, mais je ne veux absolument pas penser au moment où je devrai quitter le hub pour faire ces achats de première nécessité. À nouveau dehors, dans le monde sauvage, je survivrai sans doute grâce à ma virilité légèrement reboostée. Mais laissez-moi d’abord profiter encore un peu de cette sensation d’être enfin chez moi. Car désolé, mais cette Man Cave, c’est absolument génial.
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