C’est ce qu’on appelle poétiquement le fruit du hasard – ou alors une blague dont je ne connais toujours pas l’auteur. Le fait est que je me suis retrouvée un beau jour avec un micro-ondes en ma possession alors que je n’avais rien demandé.
Pendant des années, j’ai mangé les restes de mes repas froids. Avec la voracité de celle qui a la flemme de préparer à manger OK, mais froids. Je n’ai pas non plus ouvert ce paquet de pop-corn qui a été progressivement repoussé vers le fond de mon placard et les oubliettes de l’Histoire.
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C’est un choix de vie et le temps qui s’écoulait me donnait raison. Personne n’a vraimentbesoind’un micro-ondes. Par contre, le jour où l’un de ces petits bijoux de technologie débarque mystérieusement devant votre porte, vous réalisez très vite que cette machine est une invention prodigieuse et vous vous demandez comment vous avez pu vivre sans si longtemps.
C’est arrivé un après-midi d’octobre. Alors que je rentrais chez moi, je suis tombé sur un colis aux dimensions respectables posé devant ma porte. Supposant d’abord qu’il était destiné à l’un de mes colocataires, j’ai été plutôt étonnée de constater que le nom indiqué sur le carton était le mien – une adresse que je ne connaissais pas avait été barrée puis remplacée d’un coup de marqueur par mon actuelle.
J’ai réalisé que je méritais le meilleur : manger des trucs de l’avant-veille, le cul appuyé contre l’évier de la cuisine en me brûlant avec du thé préalablement chauffé dans mon micro-ondes gratos.
Transportée de joie tout en étant relativement flippée, j’ai déballé le mystérieux colis pour y trouver à l’intérieur un micro-ondes Westinghouse immaculé. Le bon de livraison indiquait qu’il venait directement de chez le fabriquant et ne donnait aucune information sur le paiement ou la personne qui avait passé commande.
Cette dernière avait quand même quelques infos ; elle savait que je n’avais pas de micro-ondes et peut-être même où j’habitais. Je ne sais pas si vous avez déjà fait le tour de vos connaissances au sujet d’un appareil de cuisine, mais croyez-moi, c’est une expérience des plus étranges.
« Pourquoi est-ce que j’irais t’acheter un putain de micro-ondes ?! » Voilà ce que me répondaient mes amis et les membres plus ou moins proches de ma famille que j’interrogeais. Malgré les « C’est peut-être [insérer le nom d’un ex] qui te l’a envoyé non ? » et autres « Tu es bien sûre que ce n’est pas [insérer le nom d’une connaissance] ?! », toutes les pistes débouchaient sur des impasses.
Le mystère s’épaississait. Mais plutôt que de laisser l’objet du crime prendre la poussière, j’ai décidé de l’utiliser. Cet hiver-là a été le plus chaud de ma vie – en termes culinaires. Adieu repas composés de restes froids. Bonjour les bons petits plats fumants !
J’ai réalisé que je méritais le meilleur ; manger des trucs datant de l’avant-veille, le cul appuyé contre l’évier de la cuisine en me brûlant la langue au 3e degré avec du thé préalablement chauffé dans mon micro-ondes gratos. Le froid porté par les vents du nord-est était dorénavant quelque peu calmé par les plats surgelés dont je n’aurais même pas pu rêver l’hiver précédent.
De temps à autre, la culpabilité venait me tourmenter. Existait-il quelque part dans ce vaste monde quelqu’un qui attendait encore qu’on lui livre mon micro-ondes ?
La nourriture est encore plus attirante quand sa préparation a été mûrement réfléchie. Au lieu de manger des trucs piochés au hasard dans le frigo, je préparais des repas qui, même s’ils ne ressemblaient pas à de la grande cuisine, étaient plutôt bons. Les quelques minutes pendant lesquelles j’attendais l’effet miracle du micro-ondes étaient de véritables moments de pleine conscience.
De temps à autre, la culpabilité venait me tourmenter, alors que les raviolis de la veille tournaient dans le micro-ondes et que je pensais au véritable destinataire de cette machine. Existait-il une autre Allie Volpe quelque part dans ce vaste monde, et attendait-elle encore qu’on lui livre mon micro-ondes ? En avait-elle finalement acheté un autre ? Peut-être que celui-ci m’était finalement destiné. Que la personne qui me l’avait offert avait simplement oublié de se manifester.
Sur les ordres de certains amis particulièrement insistants et contre ma volonté de faire profil bas, je décidais de me rendre à l’adresse barrée au marqueur qui figurait sur le colis. Il fallait que je rencontre la Allie Volpe qui vivait là-bas. S’il y en avait une, c’était peut-être à elle qu’était destiné mon micro-ondes.
Je me suis rendu dans un quartier plutôt cossu de Philadelphie. Le genre d’endroit où l’on trouve un portier en bas des immeubles et où les restaurants ont 5 étoiles en plus de chandeliers sur les tables. En arrivant, j’ai vite remarqué que ma mémoire m’avait joué un mauvais tour : je ne me souvenais pas de l’adresse complète.
La résidence que je pensais trouver n’existait pas. J’allais devoir jouer les véritables détectives et toquer à chaque lotissement en expliquant les raisons de ma visite. « Est-ce qu’Allie Volpe habite ici ? »ai-je demandé à une flopée de concierges. « Parce que je crois que j’ai son micro-ondes. »
La moindre papillote de choux de Bruxelles me rappelle à quel point il en faut peu pour m’impressionner ainsi que le mystère qui entoure l’origine de cette boîte magique aux extraordinaires dons culinaires.
Le lendemain, j’ai récupéré le bon de livraison original que j’avais rangé dans le tiroir des « papiers à classer ». J’ai découvert que j’étais passée dans le bon bâtiment. Un coup de fil à la réception m’a renvoyée vers une certaine Alex, qui habitait à l’adresse indiquée. Craignant d’éveiller les soupçons, je n’ai pas posé plus de questions, préférant envoyer un message à toutes les personnes de la ville répondant à ce nom. Une Alex m’a répondu sur Facebook – ce n’était pas elle.
Quelque temps plus tard, j’ai envoyé un e-mail au gérant de l’immeuble en lui expliquant la situation et en lui demandant de faire parvenir mon message à la fameuse Alex. Il m’a immédiatement répondu : « Étrangement, nous avions bien une résidente dont le nom ressemblait beaucoup au vôtre qui habitait ici l’an dernier (elle a déménagé depuis) ». Le mail se poursuivait ainsi : « J’ai déjà vu des services de livraison essayer de faire parvenir des colis à des clients en se basant sur des informations qu’ils peuvent avoir dans leur base de données. Ce n’est donc pas très surprenant que vous aillez reçu celui-là par accident. »
Il a promis d’envoyer mes coordonnées à celle qui pourrait être la véritable destinataire du micro-ondes. Je n’ai jamais eu de nouvelles.
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Emprunter la même route que le micro-ondes s’était avéré presque aussi satisfaisant que l’objet lui-même. La moindre papillote de choux de Bruxelles me rappelle à quel point il en faut peu pour m’impressionner. Elle ravive aussi le mystère qui entoure l’origine de cette boîte magique aux extraordinaires dons culinaires.
Quelle que soit la faille cosmique qui a conduit ce micro-ondes devant ma porte, je lui suis reconnaissante. Et je prends grand soin de ce cadeau du ciel.