Life

J’ai réussi le No Nut November

Pas de masturbation pendant 1 mois

Le No Nut November est un défi qui consiste à ne pas jouir pendant tout le mois de novembre. Lointain descendant d’une vanne lancée sur des forums peu recommandables, il est devenu un genre de « phénomène » qui fait parler les blagueurs, les militants anti-masturbation, les journalistes de France Inter… Le problème, c’est que si tout le monde en parle, personne n’a l’air de le faire pour de vrai. J’ai donc décidé de me lancer. Voici le journal que j’ai tenu au jour le jour pendant cette épreuve débile.

Vendredi 1

J’ai niqué la nuit dernière. Je me sens prêt pour l’épreuve.

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Du samedi 2 au lundi 4

Rien à signaler. Je ne sais pas quoi attendre.

Mardi 5

Premiers symptômes, je commence à me sentir chaud pour un rien. Quelques messages joueurs avec une connaissance me mettent dans un émoi pathétique.

Mercredi 6

Mal réveillé car je n’ai pas pu me branler pour dormir hier soir. J’ai nettoyé Instagram et Twitter des éléments perturbateurs et j’évite mes forums douteux de référence. Lire l’histoire de Sada Abe, la prostituée qui a coupé le sexe de son amant, me donne des érections.

Il paraît que jouir libère une hormone qui fait baisser les performances sportives et donc que les athlètes de haut niveau évitent toute activité sexuelle avant une compétition. On dirait que ça marche, je fais une séance de musculation impeccable. Le soir, je pose ma main sur mes testicules en lisant dans mon lit. Je prends conscience du risque, alors je la retire.

Jeudi 7

Je me laisse tenter par ce tweet et je suis puni. Je me sens plus excitable au sens non-sexuel du terme et je suis d’une excellente humeur qui dure toute la journée. Peu productif au travail, néanmoins, notamment parce que je continue à échanger des grivoiseries par message.

Vendredi 8

Réveillé par une érection pendant la nuit. Je fais des rêves plus vifs que d’habitude mais pas érotiques. YouTube s’acharne à me suggérer le morceau Masturbation de Chief Keef. Encore une excellente séance de sport. Je suis de bonne humeur et globalement excité.

Samedi 9

Couché ivre et donc d’humeur libidineuse, j’ai bien failli me toucher. Au matin, je m’ennuie dans mon lit et l’idée se remet à tourner dans ma tête. Je veux télécharger Sisters Brothers et le site de torrents m’inonde de porno. Une scène de sexe dans une série me fait bander.

Dimanche 10

En route pour un déjeuner de famille, je croise une jolie fille dans le bus de remplacement de la ligne H. Petite, cheveux noirs et lisses, taches de rousseur. On discute, elle est Ukrainienne, assistante dentaire et timide. Dieu me pardonne mais ça m’inspire un coup de chaud et une érection terribles. Je crois qu’elle le sent parce qu’elle décampe vite. Gêné, l’esprit embué, je renonce à lui demander son numéro.

La nuit, fin de soirée d’appartement, je comate sur un canapé désordonné avec une quasi-inconnue. Plus tôt, je me suis figé comme un animal quand elle a révélé un peu de chair laiteuse en enlevant son pull. La tête dans le creux de son cou qui sent bon, j’ai la gaule mais pas envie de sexe. C’est un chouette câlin et ça suffit bien.

Lundi 11

Les jours de gueule de bois sont encore plus longs quand on ne peut pas se toucher.

Mardi 12

Je fais le premier cauchemar érotique de ma vie. À la fin, je jouis du sang comme Willem Dafoe dans Antechrist. Je me réveille les sous-vêtements propres.

Boulot, vie en société. La simple vision d’une connaissance qui me fait envie commence à me faire vriller et j’ai besoin d’un quart d’heure pour me calmer. Clairement, ces débordements d’émotion sont dus à l’abstinence. Je suis à vif comme une brûlure de tapis et un peu vexé d’être à ce point soumis à ma libido.

Mercredi 13

J’ai tellement bandé-débandé-rebandé en dragouillant par message ce matin que j’ai mal au périnée 13 heures venues. Cette douleur m’a mis de mauvaise humeur et j’entreprends de pester contre un gloubi-boulga insensé de thèmes d’actualité.

Le soir, je croise une ex-fréquentation récente dont le souvenir m’attriste encore. Échange de regards, mon cœur se serre un peu fort à mon goût. Je me sens soudain incapable d’être excité pour le restant de la journée.

Jeudi 14

Il me suffit désormais de penser à un truc vaguement érotique pour bander, comme quand j’étais un adolescent plein de sève. Sinon, idée : ce n’est pas parce que je ne peux pas jouir que je ne peux pas faire jouir quelqu’un d’autre ! Génial. C’est risqué mais ça se tente.

Vendredi 15

Mes rêves avaient rarement été aussi courants et vifs. Je me réveille vers cinq heures du matin après le pire cauchemar de ma vie. C’était comme si mon inconscient se vengeait en me balançant mes quatre vérités. Mon niveau d’excitabilité semble en baisse.

Journée. Après une énième érection, je sens quelque chose d’humide dans mes sous-vêtements. Je file aux toilettes et confirme visuellement qu’un liquide non-identifié tâche mon caleçon. J’en profite pour pisser. Quelques grumeaux d’un truc qui ressemble fort à du sperme tapent l’émail avec l’urine. Je suis horrifié. Des sites médicaux m’apprennent que c’est normal dans les conditions de cette expérience stupide : un excédent de semence peut être évacué pendant la miction. C’est la première fois de ma vie que ça m’arrive. Je n’ai donc jamais passé plus de deux semaines sans éjaculer depuis ma puberté ?

Le soir, dans un état d’excitation typique des grosses fatigues psychologiques, j’espère une discussion amusante dans un endroit calme. Loupé, nous passons de bar bondé en bar bondé. Une contrariété de trop me met en colère, je fais une scène et je décampe les tempes battantes. Ça m’arrive parfois, je ne sais pas si la masturbation aurait pu éviter ça.

Samedi 16

Je me réveille triste après onze heures de sommeil noir comme la mort. Aucun risque d’érection aujourd’hui.

Dimanche 17

Au petit matin, je finis dans un lit avec une femme. Elle sait pour le No Nut November, j’ai du mal à parler d’autre chose depuis quelque jours. On se contente d’abord de se tripoter mais, malgré mes réticences initiales, on finit par niquer. J’ai une trique de satyre et les sensations sont plus profondes que d’habitude. L’alcool aidant, je me débrouille pour ne pas jouir – le journalisme avant tout. C’est tout de même chouette et, à ma surprise, pas frustrant pour un sou.

Lundi 18

Rien sinon le calme et la pluie. Apparemment, le No Nut November c’est comme un jeûne : passés les premiers jours, on s’habitue et ça devient moins dur. Communiquer avec une femme que j’ai envie de piner ne me met plus dans un état proche de l’Ohio. C’est bête, cette sensibilité extrême rendait le quotidien intéressant.

Erratum : une discussion pleine de sous-entendus érotiques me replonge dans les flammes. Le cerveau asphyxié par les hormones, j’avoue à mon interlocutrice qu’elle me donne « chauuud ». Et ça passe, on cale un date. Je n’aurais probablement jamais osé dans d’autres circonstances. Excellente séance de sport.

Mardi 19

Deux heures du matin. Incapable de dormir et tourmenté par des idées visqueuses, je décide de me toucher, prudemment, pour voir. À nouveau, les sensations me semblent plus intéressantes que d’ordinaire. Savoir que je ne « peux pas » aller jusqu’au bout semble me détendre. Pas de sommet à atteindre, pas de conclusion à boucler, juste une balade qu’il faut arrêter.

Le petit jeu continue avec l’interlocutrice d’hier, qui m’avoue que toute cette affaire l’excite par procuration. J’avais déjà cru sentir que le récit de mes « souffrances » suscitait un intérêt libidineux chez certaines femmes. Chez les hommes, par contre, c’est un étonnement viril qui l’emporte largement : « Woooh mec comment tu fais, je pourrais pas » ou apparenté.

Mercredi 20

Mes rêves ne sont plus aussi vifs qu’au début du mois et tant mieux. Mon rêve, désormais, c’est de boucler une journée sans avoir à cacher une érection. Sentir ma libido prête à bondir à tout instant commence à me fatiguer. Pour une raison ou une autre, j’ai perdu l’appétit.

Jeudi 21

Il est presque trois heures du matin, j’ai un seum profond parce qu’on a volé ma carte bancaire et que je pense trop au sexe pour dormir. J’essaie de me divertir mais rien à faire, mon esprit embraye sur cul-bite-seins-chatte dès qu’il n’est plus occupé par quelque chose. J’en ai assez. Je me réveille les yeux bouffis et le diaphragme douloureux.

Vendredi 22

Il paraît que ne pas avoir d’activité sexuelle aide à la création. Freud lui-même s’interdisait tout orgasme pendant qu’il écrivait ses livres, la psychanalyse appelle ça « sublimer sa libido ». Et comme pour le sport, on dirait que ça marche : je viens de finir un article de 10 000 signes en deux jours. D’ordinaire, ça m’aurait pris quatre à cinq jours.

Samedi 23

Rien de spécial. Plus qu’une semaine. Je me dis que le plus dur est fait.

Dimanche 24

Je fais un rêve érotique et me réveille paniqué à l’idée de m’être joui dessus. Heureusement, tout va bien. Je suis étonné de ne pas encore avoir été victime d’une éjaculation nocturne.

L’heure du rencard arrive. Après quelques verres, je la raccompagne et l’embrasse. Nos mains s’enfoncent sous nos habits, là, sur le trottoir. Des gens passent. Mon cerveau commence à planter. J’ai tellement envie de niquer que je n’ai plus vraiment envie de niquer, comme quand on a trop froid pour garder ses vêtements. Je rentre chez moi un peu abruti.

Lundi 25

RTT. Lessives, ménage, courses, Call of Duty, libido plate. Je dors vraiment mal depuis plusieurs jours. Il me faut parfois plus d’une heure pour m’endormir et le moindre bruit me réveille.

Mardi 26

Accrochage en conférence de rédaction. Un collègue achève de m’énerver en me recommandant de me branler. Ce n’est pas la première fois qu’on suggère que l’abstinence modifie mon comportement pour le pire mais je refuse de l’entendre. Il m’est plus confortable de croire qu’on
« analyse » mes réactions de cette façon pour mieux ignorer mes remarques. Une pensée pour toutes les femmes qui ont un jour mangé un « T’as tes règles ou quoi ? » Après, c’est vrai, je suis probablement plus irritable que d’habitude. Libido plate, encore.

Mercredi 27

Me voilà sur un genre de plateau infernal. Mon excitabilité se tient mais je suis dans un état de confusion sérieux. J’ai du mal à me concentrer, j’ai une envie impérieuse de je-ne-sais-quoi, on dirait que quelque chose bout sous moi. C’est désagréable. Je ne suis même plus capable de former une pensée érotique claire. Pour la première fois, je dois vraiment me retenir d’en finir dans les toilettes. Je me demande ce qui va se passer le premier décembre. Vais-je être rouillé, avoir du mal à retrouver mon envie ? Ou subir un gros retour de flamme ?

Jeudi 28

On me fait remarquer mes cernes. J’ai encore mal dormi. Quoi que je fasse, mon cerveau tourne à plein régime aux petites heures du matin. C’est prouvé, un orgasme le ferait taire. « Encore deux jours », lance un collègue, un sourire rayonnant de désir comblé sur la face.

Soir, sport. Pendant une session de rameur particulièrement intense, je sens mon caleçon devenir humide. Je n’arrive pas à savoir si je me suis pissé ou éjaculé dessus, mais je ne suis pas en érection et je n’ai pas ressenti de plaisir. Des messages sur des forums de musculation disent que ça arrive, que la contraction de certains muscles peut entraîner une fuite de liquide séminal. Je ne suis quand même pas super à l’aise.

Vendredi 29

Rien de spécial.

Samedi 30

Rien de spécial non plus. Je n’ai plus vraiment hâte d’en finir, je suis résigné. Le deuxième date est ce soir.

Dimanche 1er décembre

Je finis dans un lit avec la fameuse interlocutrice, celle qui me tourmente depuis le début du mois. Et ce qui devait arriver arriva : je jouis vite, beaucoup et tellement fort que j’ai l’impression que quelque chose se détache au fond de moi. Une envie de dormir quasi-irrépressible me tombe dessus mais je résiste. On recommence plusieurs fois. Je n’ai pas plus d’appétit que d’habitude. Par contre, la dernière fois, je n’ai plus très envie mais je n’ose rien dire. Une lassitude terrible m’empêche d’en profiter. C’était intense, peut-être un peu trop pour une reprise. Il ne faut pas donner trop d’eau à un déshydraté.

Pour finir, je n’ai qu’une chose à vous dire : ne faites pas le No Nut November, c’est nul. Contentez-vous de jouir aussi souvent que vous le pouvez, vous aurez l’esprit clair et le sommeil vif. J’aurais aimé tirer une morale profonde de cette expérience, une petite sentence sur l’omniprésence des stimuli sexuels, la toute-puissance de la libido, peut-être même la puissance de la volonté, mais non. Le sperme est fait pour sortir, voilà tout.

Sébastien Wesolowski est sur Twitter.

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