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J’ai tenté de contrôler mes rêves à l’aide de mon iPhone

Je me tenais là, sur Sunset Boulevard, fixant la palme de mes mains. Je voulais m’assurer qu’elles ne brillaient pas.

Si elles avaient délicatement scintillé au soleil, alors, tout aurait été possible. J’aurais pu devenir un géant. J’aurais pu gagner le Super Bowl. J’aurais pu voler avec des ailes d’ange en jouant sur une guitare en flammes.

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Hélas, mes mains semblaient parfaitement normales et j’étais tout à fait réveillé. Depuis que j’ai commencé à utiliser des applications telles que Dream:On, DreamZ et Lucid Dreamer, conçues pour induire des rêves lucides, il m’arrive régulièrement de prendre un instant pour vérifier que je ne suis pas en train de rêver. L’idée est d’effectuer ce genre de vérification régulièrement durant le temps d’éveil, afin que l’habitude demeure lors des rêves nocturnes.

Le but est d’apprendre à son cerveau à identifier qu’il est en train de rêver, mais de manière consciente. Les applications que j’ai mentionnées possèdent un fonctionnement similaire : elles envoient un signal auditif ou visuel au dormeur afin de lui permettre de se désynchroniser du monde onirique.

« Ces applications fonctionnent très bien, » affirme Deirdre Barrett, professeur de psychologie au département de médecine d’Harvard. Elle a quelques réserves cependant : parfois, l’appli provoque l’effet inverse de celui désiré, c’est-à-dire qu’elle réveille brutalement l’utilisateur. Parfois, le signal ne se déclenche pas au bon moment. Ou encore, le système ne parvient pas à induire des rêves lucides chez les personnes qui ne sont pas prédisposées à en faire.

Peut-être faisais-je partie de ces gens-là ?

Je ne me souviens pas avoir fait beaucoup de rêves lucides par le passé. J’ai déjà souffert d’un épisode de paralysie du sommeil, un cauchemar terrifiant au cours duquel je ne pouvais ni bouger, ni parler, tandis qu’une sorcière dirigeait lentement ses griffes en direction de ma tête. Cela ressemblait quelque peu à un rêve lucide, mais Barrett m’a assuré que les deux phénomènes n’étaient pas liés.

J’ai donc décidé de me plonger dans le monde des rêves lucides par d’autres voies, et ai téléchargé quatre applications différentes sur mon iPhone avant de les tester chaque nuit pendant deux semaines.

La première nuit, j’ai été réveillé en sursaut dans la pénombre par le son de l’application Dream:ON ; une sensation pas vraiment agréable qui m’a laissé un sentiment d’échec cuisant assorti d’une bouche pâteuse et d’yeux larmoyants. Peut-être faisais-je partie de ces gens incapables de déclencher un rêve lucide sur commande ?

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De nombreuses personnes semblent persuadées de pouvoir faire des rêves lucides. Il existe une large communauté de rêveurs et d’aspirants rêveurs en ligne, cherchant à s’échapper de leur quotidien plat et ennuyeux par un détour original. Et à faire des rêves sexuels.

La chercheuse Beverly D’Urso, bardée d’électrodes et équipée d’une sonde vaginale, a enregistré ce qu’elle prétend être le premier orgasme féminin obtenu en rêve en 1983 au Stanford Sleep Lab. Plus de vingt ans après, lors d’une conférence tenue à Berkeley, elle décrit une large gamme de rencontres sexuelles effectuées lors de rêves lucides : « En rêve, j’ai été la femme, l’homme, à moitié homme à moitié femme (par division longitudinale ou transversale), j’ai eu à la fois un pénis et un vagin… J’ai fait l’amour à la Terre, tandis que j’arrivais au bord du monde, les jambes dans la poussière. Il n’y a aucune situation sexuelle que je n’aie pas connue. »

Sur le subreddit /r/LucidDreaming, chercher à produire des scénarios sexuels lors d’un rêve lucide est tout à fait banal. Surtout chez les hommes un peu solitaires qui se sont lassés du porno sur Internet. Mais l’appel de rêve lucide va bien au-delà de la réalisation de fantasmes débridés.

Sélection de screenshots. Image: Dream:On

Les partisans les plus ardents des rêves lucides sont persuadés que ceux-ci sont capables de résoudre tout un tas de problèmes émotionnels et psychologiques. L’auteur et évangéliste Robert Waggoner affirme sur son site web que cette pratique onirique peut adoucir les crises d’anxiété, améliorer la créativité, réduire la fréquence des cauchemars, en particulier chez les personnes victimes de Syndrome post-traumatique, et de « laisser une douce sensation de joie, de liberté, de sentiment d’être allé au-delà de ses limites. »

D’autres pensent que l’on peut s’entrainer à pratiquer diverses activités en rêve. Dans une étude de 2010, Daniel Erlacher, professeur à l’Institut des sports de l’Université de Bern, a demandé à trois groupes de sujets à lancer des pièces dans une tasse à deux mètres de distance. Le groupe qui s’était “entrainé” par avance lors de rêves lucides a montré de meilleurs résultats que le groupe qui ne s’était pas entrainé du tout. (Mais c’est le groupe qui s’était entrainé avec de vraies pièces et de vraies tasses, éveillé, qui a été le plus efficace.)

On voit aisément comment ces théories pourraient être utilisées par des partisans de Malcolm Gladwell pour promouvoir la soi-disant règle des 10 000 heures. Le rêve lucide pourrait permettre de disposer de 2 482 heures de loisir par an (si l’on se base sur une moyenne de 6,8 heures de sommeil par nuit) pour améliorer son swing de golf ou apprendre une nouvelle langue.

Le rêve lucide a d’autres avantages, bien sûr. Voler où bon vous semble comme un superhéros, devenir un géant ou n’importe quelle autre créature qui vous fait envie est certainement une perspective appréciable. Mais le rêve lucide est-il vraiment si puissant ?

Difficile à dire. Le principal problème des études sur le sujet, c’est qu’elles sont basées sur des récits et des témoignages. Or, il est très difficile de se souvenir de ses rêves avec précision. L’étude d’Erlacher à base de lancer de pièces a étudié seulement 20 volontaires. D’autres études possèdent elles aussi des échantillons de taille ridicule. D’ailleurs, le fait que le rêve lucide soit associé aux expériences de sortie du corps et au mouvement New Age ne contribue pas beaucoup à ce que les chercheurs tenant à leur réputation s’y intéressent de près.

« Il y a eu assez d’études sur les mouvements oculaires durant le sommeil ; aujourd’hui, il est impossible de nier l’existence du rêve lucide. »

En effet, la recherche sur les rêves lucides est extrêmement stigmatisée, explique Patrick Bourke, maitre de conférences à la Lincoln School of Psychology, au Royaume-Uni.

« D’une manière générale, les psychologues cliniciens évitent d’être associés aux recherches sur le rêve, que l’on rapporte au freudisme et autres conneries du genre, » ajoute Bourke. « Le rêve lucide est revenu à la mode récemment à cause de l’intérêt que lui porte le grand public. »

Frederik van Eeden et Marquis d’Hervey de Saint Denys, pionniers de la recherche sur le rêve lucide. Image: Negatif/Wikimedia Commons

Même si les études menées jusqu’à présent ne sont pas très convaincantes, il est impossible de nier l’existence du phénomène du rêve lucide lui-même, affirme Barrett. Les premières recherches sur le rêve ont montré que lorsqu’on demandait à des sujets de réaliser des mouvements oculaires prédéterminés durant leur sommeil, ceux-ci pouvaient être observés par le praticien.

« Il y a eu assez d’études sur les mouvements oculaires durant le sommeil pour qu’il soit impossible de nier l’existence du rêve lucide, » ajoute Barrett.

À présent, le défi est de réussir à déterminer comment induire le rêve lucide avec succès. La technologie pourrait nous y aider. Avec des smartphones, par exemple.

Stephen LaBerge a probablement fait plus que quiconque pour promouvoir le rêve lucide. Dans les années 80, il a mené plusieurs études très influentes sur le sujet, avant de fonder le Lucidity Institute en 1987.

L’organisation a été la première à commercialiser (à un prix très élevé) une technologie sensée favoriser l’induction le rêve lucide, NovaDreamer. L’appareil se contentait d’utiliser des LEDs pour envoyer un signal à l’utilisateur endormi. Imaginez que vous êtes assis au sommet de la Tour Eiffel, et que vous voyez soudainement trois lumières rouges clignoter devant vous. Elles sont là pour vous dire que vous êtes en train de rêver et que vous pouvez vous autoriser à voler jusqu’à Londres en remuant les bras.

NovaDreamer n’est plus commercialisé depuis 2004, mais d’autres marques ont pris sa place. Adam Siton s’est inspiré de cette technologie pour DreamZ, sorti en 2012. C’était alors la première application dédiée au rêve lucide. Pourtant, il n’était pas encore très expérimenté sur le sujet.

« À chaque fois que j’essayais d’y parvenir, je me réveillais en pensant ‘Oh mon Dieu, c’est foufou.’ Je n’arrivais pas à faire des rêves lucides durant plus de quelques secondes. »

Cela a changé lorsque Siton, qui travaille désormais sur l’application Any.do, a vu des masques à rêves lucides dans un magasin. Il s’est dit qu’il pourrait réaliser la même chose en remplaçant le signal visuel par un signal auditif. Selon lui ce sont les messages verbaux les plus efficaces, notamment ceux qui demandent à l’utilisateur s’il est en train de rêver.

DreamZ demande par exemple : « Est-ce que vous rêvez ? Regardez-vous dans un miroir. Est-ce bien vous ? »

Dans l’idéal, il faudrait regarder dans un miroir, évaluer à quel point celui-ci déforme votre visage, et enfin, déduire si vous êtes en train de rêver ou non. Le programme propose cependant d’autres fonctions-signal, comme lire un livre à voix haute, ou proposer un problème de mathématiques facile à résoudre. Tout cela est sensé vous aider à réaliser que vous êtes en train de dormir.

Grâce aux capteurs de l’iPhone, qui peuvent détecter les mouvements que vous faites dans votre lit, DreamZ peut déterminer à quel moment vous atteignez le sommeil paradoxal, c’est-à-dire quand s’ouvre la période de rêves. Une autre application, Dream:ON, possède la même capacité, même s’il faut noter que ce genre de système n’est pas très précis.

Développée par un professeur de l’Université de Hertfordshire, Richard Wiseman, Dream:ON possède une interface un peu plus claire que DreamZ et peut réaliser des graphes de votre nuit de sommeil, un peu comme Sleep Cycle, FitBit ou Jawbone. Il peut également vous envoyer des signaux selon des thèmes prédéfinis, comme « dangereux donjon, » « wild wild west » ou « un voyage à Tokyo. » En quelque sorte, c’est un holodeck pour cerveau.

Malheureusement, le thème « navette spatiale » ne m’a pas vraiment transporté dans l’espace dans une fusée voyageant à travers le cosmos. Il ne m’a même pas réveillé.

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Avec les autres applications, j’ai eu le problème inverse. Lucid Dreamer combine un signal audio et une programmation horaire. Il vous permet en outre d’enregistrer votre propre message vocal. Apparemment, entendre quelqu’un appeler votre nom est la pire façon de commencer un rêve lucide, selon Barrett, car cela vous met immédiatement dans une position de défense. « Vas-y Keith, rêve de trucs cools ! » n’a pas fonctionné pour cette raison.

Il y a des tonnes d’autres applications pour rêves lucides. Awoken pour Android propose à l’utilisateur d’effectuer des reality checks plusieurs fois par jour en lisant un texte ou en regardant une horloge. Chacune de ces vérifications est associée à un « son totem » diffusé également pendant la nuit. Le cerveau, en théorie, associe le son totem au reality check, ce qui incite la conscience à vérifier s’il y a rêve ou non. Pour Android, il y a aussi Lucid Dreaming pour Android et 10 Steps to Lucid Dreams.

La plupart de ces applications proposent une sorte d’espace pour griffonner des notes ou des récits vos rêves quand vous vous réveillez. Se forcer à se souvenir de ses rêves régulièrement aiderait à retenir tous les détails des rêves lucides.

Notes prises à 5h du matin après que Dream:ON m’a réveillé. « J’examiner les roches lunaires avec soin. Il y a des améthystes. L’une a la forme d’un visage. Je porte un pantalon synthétique. »

Aurora de iWinks pousse le concept encore plus loin. Disponible avant la fin de l’année, il embarquera un dispositif d’electroencéphalographie sous forme de bandeau à fixer autour de la tête et qui enregistre votre activité cérébrale pendant que vous dormez. Le but est de déterminer le moment idéal lors du sommeil paradoxal pour diffuser de la lumière ou un son.

Dans le futur, la technologie dédiée au rêve lucide devrait dépasser ce système de signal audio et visuel un peu simpliste. Des chercheurs travaillent déjà sur une méthode destinée à se passer des sens du dormeur et à stimuler directement le cerveau. Une étude de 2014 de la psychologue Ursula Voss (Université Goethe à Francfort, en Allemagne) a induit des rêves lucides à 27 sujets avec succès après avoir fixé des électrodes sur leur crâne.

Apparemment, cette expérience est plus facile à réaliser en laboratoire qu’à la maison. La journaliste Motherboard Kaleigh Rogers a testé un appareil appelé foc.us l’année dernière avec un succès mitigé. Bourke pense qu’il est « en théorie possible » d’induire le rêve lucide avec des électrodes, mais qu’il faudra attendre que les études soient répliquées ; il lui semble « peu probable » que des impulsions électriques appliquées de manière non ciblée puissent avoir un effet aussi radical.

De plus, note Barrett, si vous sentez « un courant électrique vous picoter au niveau du crâne, vous allez vous réveiller immédiatement. » Il serait sans doute plus commode, pense-t-elle, d’utiliser une technologie de détection du sommeil paradoxal plus fine, détectant les mouvements oculaires par exemple, pour délivrer un signal d’avertissement au dormeur pile au bon moment.

Cela n’existe pas encore. Avec mon pauvre iPhone, je commençais à douter que je puisse être capable de faire un rêve lucide un jour. Après une semaine de résultats tout à fait médiocres, je me suis même demandé si ça valait vraiment le coup de s’adonner à ce rituel chaque nuit. Peut-être que j’étais incapable de faire un rêve lucide, point.

« Cette technologie peut aider les gens qui n’ont jamais fait de rêve lucide de toute leur vie, » explique Barrett. « Quant à ceux qui y sont prédisposés, ils en feront davantage. Cependant, il existe des différences irréductibles entre les individus dans ce domaine. »

La nuit 12, j’ai réactivé mon appli DreamZ et je me suis effondré sur mon oreiller. Je me rappelle avoir entendu une voix lointaine dans mon rêve.

« Est-ce que tu dors ? Regarde tes mains. Elles sont un peu différentes de d’habitude, non ? »

Mes mains, en effet, brillaient d’un éclat métallique, presque fantomatique. Je commençais à être excité. Enfin, je pouvais voler à travers la galaxie dans un monde fantastique que j’aurais moi-même inventé !

Puis je me suis réveillé. Mon rêve avait duré quelques secondes à peine. De déception, je me suis rendormi.