Chaque dimanche, la ferveur que soulève la série Game of Thrones embrase Internet. Et pendant la semaine qui suit, les sujets de conversation tourneront inlassablement autour des mêmes thèmes : la violence omniprésente, la nudité, le mutisme de Hodor. Pour une fois, laissons de côté les rebondissements du scénario diabolique concocté par HBO afin de se concentrer sur un détail en particulier : les costumes. Et surtout, les armures. Le fait que les acteurs de la série parviennent à porter une énorme masse de métal sur le dos tout le jour durant tient vraiment de l’exploit.
Ce sujet a attiré ma curiosité, qui s’est rapidement transformée en enquête approfondie. J’ai réalisé que l’armure médiévale n’était pas qu’un accoutrement lourd et encombrant, mais qu’à l’époque, elle constituait un objet de haute technologie. Une sorte de combinaison de la NASA du combattant. Alors bien sûr, elle n’est pas très flexible. Mais c’est toujours plus confortable que d’avoir une épée en travers du myocarde, non ?
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En outre, les modèles d’armure les plus perfectionnés permettaient d’effectuer une grande variété de mouvements tout en protégeant des projectiles.
Si les chevaliers pouvaient monter à cheval et courir sur le champs de bataille équipés de la sorte, pourrais-je, moi aussi, passer une journée en armure et effectuer des activités courantes dans un environnement urbain ? La légende arthurienne est-elle soluble dans le monde de 2016 ?
J’ai posé la question à Chris Gilman, le propriétaire de Global Effects Inc., un magasin de costumes et d’accessoires de la Vallée San Fernando à Los Angeles, un peu au nord d’Hollywood. Gilman ne se contente pas de créer des armures pour le cinéma et la télévision : il participe également à des combats médiévaux en full contact durant son temps libre. Évidemment, pour pouvoir concourir, il faut porter une armure.
Gilman me confie que la représentation des armures à l’écran, c’est souvent « de la grosse connerie. » « Les armures de Game of Thrones, par exemple… ne sont pas vraiment des armures. Ils se battent à l’épée comme dans le premier soap opera venu. C’est comme si les scènes de boxe d’un film sur Muhammad Ali étaient exécutées par John Wayne, avec des haymakers et des uppercuts que l’on voit venir à des kilomètres. »
Une véritable armure, dit-il, ressemble à un costume sur mesure ; elle a été méticuleusement conçue pour un individu en particulier, et n’ira à personne d’autre. Mais comme je n’avais pas 30 000$ sous la main afin d’obtenir une armure personnalisée, Gilman m’a prêtée la sienne. Elle était légèrement trop grande, et je ressemblais un peu à un gamin empoté allant à sa Bar Mitzvah (médiévale). Cependant, elle restait très flexible et était beaucoup moins lourde que ce que j’aurais cru.
Une heure plus tard, vêtu de pied en cap pour le combat, j’étais prêt à en découdre avec les temps modernes.
UTILISER UN ORDINATEUR
Je passe la plus grande partie de mes journées devant un ordinateur. Aussi, j’ai donc décidé de tester cette activité en premier. Ouvrir le capot de mon laptop a été plutôt facile, mais mes gantelets m’empêchaient d’utiliser le trackpad. Quant à utiliser le clavier… la manœuvre n’était pas très commode.
Ma tentative de taper « The quick brown fox jumps over the lazy dog » s’est soldée par un catastrophique « The qu9lckil b rown f9oc jum0edfn 0[ocv4en the nolsxynfdo[g. » Bon, on repassera. De toute façon, une cadence de cinq mots par minute n’est pas suffisante au vu de ma profession.
MANGER DES SUSHIS
En dépit des difficultés que j’ai eues pour taper au clavier, il faut avouer que les gantelets permettent une dextérité assez surprenante. Déchirer un sachet de sauce de soja et attraper fermement des sushis avec une paire de baguettes n’a posé aucun problème.
Pour tout dire, le plus ardu a été de maintenir la visière de mon heaume ouverte assez longtemps pour fourrer les sushis dans ma bouche. Mais sans doute qu’avec un peu de pratique, il est possible de manger japonais tous les soirs autour de la Table Ronde.
MONTER SUR UN HOVERBOARD
Le hoverboard est aux jeunes branchés ce que le cheval était aux chevaliers médiévaux. Si ces derniers pouvaient apprécier une petite chevauchée au débotté, je pouvais bien prendre mon pied sur ma planche.
Même si j’avais déjà eu affaire à des hoverboards par le passé, je craignais par-dessus tout de glisser, tomber, et briser les plaques métalliques de l’armure de Gilman. C’était pourtant une peur irrationnelle puisque celles-ci ont été conçues pour absorber les chocs provoqués par des coups d’épée portés à pleine puissance.
Fort heureusement, la gravité a été de mon côté et j’ai dirigé mon hoverboard comme un chef, avec la satisfaction d’avoir réalisé quelque chose d’inédit.
FAIRE DU YOGA
Cette fois-ci, j’ai bien senti que les dimensions non adaptées de l’armure allaient poser un gros problème. Gilman m’avait prévenu : si elle avait été à ma taille, j’aurais gagné 20% de flexibilité. Et en effet, mes contraintes posées par une armure trop grande m’ont paru assez évidentes en installant mon tapis de yoga.
Tandis que je tentais d’exécuter proprement la posture dite du « chien tête en bas, » j’ai malencontreusement basculé vers l’avant, avant de me rattraper sur les paumes et de coincer mon petit doigt entre deux couches de métal. J’ai douillé. Puis j’ai réalisé que si je me plaignais d’un bête ongle écorché, je serais probablement mort en dix secondes dans un duel médiéval.
Les autres postures de yoga n’étaient pas plus faciles à réaliser, mais j’ai réussi tant bien que mal à faire le cobra, l’arbre et, bien entendu, le guerrier.
CONDUIRE
J’étais assez optimiste quant à ma capacité à conduire en armure, d’autant plus que mes gantelets ne m’ont pas empêché d’ouvrir la porte de mon véhicule. Malheureusement, je n’avais pas songé que le plus dur, c’était d’entrer à l’intérieur. Après plusieurs minutes de contorsions désespérées, j’ai dû me rendre à l’évidence : impossible de poser une fesse dans ma Honda.
C’était peut-être mieux ainsi, après tout. Gilman m’a finalement « chargé » sur le siège arrière d’une fourgonnette afin de m’emmener vers la dernière épreuve.
PRENDRE UN CAFÉ CHEZ STARBUCKS
Arriver au Starbucks habillé en chevalier aurait attiré l’attention dans n’importe quelle ville du monde. Mais pas à Los Angeles. Les gens m’ont à peine regardé lorsque je me suis approché du comptoir. C’était bien la peine d’avoir mis une heure à m’habiller.
J’ai sorti ma carte bancaire de mon sac et ai commandé ma boisson comme si de rien n’était. La barista n’était même pas choquée. Dans quel monde vit-on ?
Dans l’ensemble, j’ai été assez surpris par la gamme des activités que je pouvais réaliser en armure. Bien sûr, le costume m’a laissé en sueur et mon heaume n’arrêtait pas de me rabattre les cheveux dans les yeux. Cependant, le poids du métal était tolérable et les sandales Birkenstock que je portais sous mes solerets m’ont permis d’obtenir une force de traction suffisante pour me déplacer sans trop de mal.
« Au Moyen Âge, les gens étaient beaucoup plus sophistiqués que ce que l’on se plait à croire, » explique Gilman. « Nous pensons que nous vivons au sommet de l’intelligence et du progrès humains, mais la plupart des technologies dont nous profitons aujourd’hui sont directement issues des méthodes et de l’artisanat médiévaux. »
Peut-être qu’un jour, si je deviens riche, je me ferai faire une armure sur-mesure afin de combattre sur le champ de bataille aux côtés de Gilman. En attendant, cliqueter tout un après-midi en costume d’occasion m’a apporté une satisfaction tout à fait suffisante.