Depuis la sortie en 2018 de Sorcières – La puissance invaincue des femmes, l’excellent essai de la journaliste Mona Chollet, je ne peux plus swiper sur les réseaux sociaux sans croiser une photo de bougies, de cristaux ou d’un jeu de tarot, accompagnée du hashtag #witchesofinstagram. Il ne se passe pas non plus un mois sans qu’un livre avec en titre le mot « sorcière », « sorcellerie », « sortilèges » ou « magie » débarque dans ma librairie. Cette tendance n’a rien pour me déplaire. J’ai toujours aimé penser qu’il existait une dimension paranormale à laquelle je pourrais avoir accès en bossant un peu. Quand j’avais 8 ans, je vouais un culte à la série Charmed, diffusée sur M6 dans la « Trilogie du samedi ». J’avais fabriqué un grimoire en carton dans lequel j’écrivais soigneusement à la plume et je passais souvent mes récrés l’index pointé vers le ciel pour essayer de faire disparaître le soleil. Ce n’est pas l’époque de ma vie où j’ai eu le plus d’amis.
Aujourd’hui, j’ai bien compris qu’une sorcière n’était pas cette créature sexy destinée à vaincre des démons hyper canons, mais plutôt une métaphore de la femme indépendante qui s’en prend plein la tronche en essayant de dégommer le patriarcat. J’ai aussi pris conscience que la sorcellerie ne me permettrait pas de me rendre invisible pour espionner mon ex mais que cette pratique m’aiderait peut-être à améliorer certains aspects de mon quotidien de journaliste-freelance-célibataire. Alors, je me procure les deux livres dont j’ai le plus entendu parler et je me lance.
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Je commence par lire Witch, please, le grimoire de sorcellerie moderne de Jack Parker. Elle m’invite d’abord à définir le type de sorcière que je veux être : « Votre pratique est-elle solitaire ou organisée dans un groupe avec des rendez-vous réguliers ? Quel élément vous parle le plus ? Êtes-vous de la mer ou de la forêt ? De la ville ou des champs ? » Je choisis l’option urbaine et solitaire, ascendant sorcière de la forêt (enfin, du parc Montsouris à Paris). La deuxième étape consiste à me procurer les principaux outils pour effectuer les rituels : athamé, baguette, bougies, calice, chaudron, mortier, porte-encens, robe de cérémonie… Je passe une semaine à rassembler tout ça, et je dois avouer que mon athamé est un couteau de cuisine, mon chaudron une casserole Cyril Lignac et ma robe de cérémonie un pyjama en pilou pilou. Mais ce n’est pas grave puisque l’autrice précise : « Vous n’avez pas besoin d’avoir du matériel sophistiqué pour être sorcière, l’intention fait le plus gros du travail ».
« Quelques jours plus tard, un type avec lequel je n’ai plus jamais eu de contact depuis notre rupture like l’un de mes posts sur Facebook. Pure coïncidence ? »
Dans un monde où le dating est de plus en plus sournois et cruel, je n’ai pas de mal à choisir mon premier sort, « Pour attirer l’amour ». J’ai tous les ingrédients nécessaires : une bougie rose, un couteau pour la graver, de l’huile essentielle de jasmin, des pétales de rose et un bol rempli d’eau. Le soir venu, je m’installe au sol, dans le noir, et j’allume ma bougie posée devant le bol d’eau. Je
« visualise mon attention » et me « laisse porter par mes rêves et mes fantasmes ». Une partie de moi ne peut pas s’empêcher de se moquer, mais l’autre partie lui dit que ce n’est pas plus con de croire en ça qu’en OkCupid. Je verse quelques gouttes d’huile essentielle de jasmin dans l’eau et j’ajoute les pétales de rose. Je fais tourner le tout avec mon doigt dans le sens des aiguilles d’une montre en répétant « Je suis prête, je suis ouverte » puis je dessine des cercles au niveau de mon cœur. J’éteins la bougie, je range et je vais me coucher. Quelques jours plus tard, un type avec lequel je n’ai plus jamais eu de contact depuis notre rupture like l’un de mes posts sur Facebook. Pure coïncidence ? En tout cas, je n’ai rien à signaler hormis ça.
Je me dis que j’ai peut-être visé trop haut pour une première et, cette fois-ci, je regarde du côté des Sortilèges pour révéler votre féminin puissant de Tifenn-Tiana Fournereau. Je tombe directement sur « Attirez l’argent ». Une bougie verte, un stylo vert, des allumettes, une feuille de papier, un chèque en blanc et une enveloppe timbrée : franchement rien de compliqué à trouver, et investir 0,97 centimes pour devenir blindée ne me pose pas de problème. J’allume la bougie et j’écris : « J’appelle de mes vœux la prospérité. Qu’elle vienne sous peu, cela est mon souhait ». Je lis l’incantation à haute voix, je plie la feuille, je remplis le chèque avec le montant convoité (1000 euros) et je mets le tout dans l’enveloppe. Le lendemain, je la poste. Dans le mois qui suit, je reçois un virement complètement inattendu de 306 euros. Des congés datant de 2016 qui ne m’avaient pas été payés. C’est moins que ce que j’espérais mais j’apprécie. Et je me plais à dire que c’est l’effet de ma magie.
Bien inspirée, j’enchaine sur « Attirez le succès » (je manque tristement de followers) et envisage « Débarrassez-vous du syndrome de l’imposteur ». À deux doigts de devenir accro, je décide d’en toucher un mot à ma psy. Elle se montre compréhensive : « C’est très naturel de chercher des moyens de reprendre le pouvoir sur les éléments et de contrôler ce qui se passe dans votre vie. En fait, cette mode de la magie est un indicateur du niveau d’anxiété dans lequel nous vivons. Tout au long de l’Histoire, à chaque fois que nos sociétés ont traversé des périodes angoissantes, on a vu l’émergence de mages et de sorcières, avec des solutions un peu bizarres pour tenter de nous rassurer. » Elle m’explique qu’elle considère ces rituels comme des exercices bénéfiques de visualisation et de pensées positives. « Pour le syndrome de l’imposteur, en revanche, je ne vois pas ce que ça vient faire dans un grimoire. Pourquoi ne pas ajouter le mode d’emploi de la machine à laver tant qu’on y est ? Non, ça c’est un concept psychanalytique important, une pathologie qui demande un vrai travail sur soi, en cabinet ! » Compris. Après avoir raccroché, je pars donc en quête d’un sort moins ambitieux… « Faites pousser plus vite vos cheveux ? »
Merci à Liliane Holstein, ma psychanalyste.
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