Les entreprises de stock photos sont la risée d’internet depuis de nombreuses années, souvent pour de très bonnes raisons – l’aspect artificiel des images étant la première. Le site humoristique The Hairpin constitue l’un des fers de lance de cette lutte. Dès 2011, on pouvait y lire un article tournant en dérision des photos représentant des femmes hilares en train de dévorer une salade. Quelques années plus tard, ce même site a donné naissance à un compte Tumblr, avant que la section Women in Leadership du quotidien The Guardian ne s’y mette avec une réflexion sérieuse sur la question de la représentation des femmes.
Malgré cette haine primaire qui se déverse souvent à l’encontre des photographes alimentant les banques d’images, ces derniers ne sont pas tous des amoureux d’images de gratte-ciels et de couchers de soleil. Caran Caravan, qui a fait ses débuts dans les années 1980 en réalisant des clips pour Marc Almond et Hawkwind, est devenue photographe une décennie plus tard. Elle a fini par vendre ses clichés de famille à Getty Images, insufflant une touche d’authenticité et d’intimité absente jusqu’alors des banques d’images.
Videos by VICE
Née Karen Bentham, Caran Caravan utilise exclusivement son appareil argentique – ce qui n’en fait pas une idiote prétentieuse pour autant. Avant l’ouverture d’une exposition rassemblant ses photos à la White Cloth Gallery de Leeds le 1er mars, elle nous a expliqué pourquoi elle avait vendu les portraits de ses propres enfants à l’une des plus grandes agences de stock photos du monde.
VICE : Comment êtes-vous devenue photographe ?
Caran Caravan : En fait, je n’ai jamais étudié la photographie. Ma passion, c’était la peinture. Les photomatons étaient ma seule « expérience » de la photographie – je n’avais même pas d’appareil. Je m’y suis mise sérieusement quand j’ai eu mon premier enfant. J’ai donné naissance à trois garçons en trois ans, et la photographie est devenue mon exutoire. Deux ans plus tard, en 1998, j’ai décroché une bourse délivrée par la Royal Photographic Society grâce à des autoportraits en noir et blanc créés en utilisant plusieurs négatifs.
Dans les années 1980, vous travailliez dans la vidéo. Pourquoi avoir évolué vers l’image fixe ?
Mon histoire d’amour avec la photo est liée aux contraintes imposées par mes obligations familiales. La vidéo prend beaucoup de temps, mais elle m’a permis d’acquérir les compétences nécessaires en matière d’éclairage par exemple. La transition a été naturelle et s’est faite au bon moment.
À partir de quel moment avez-vous réalisé qu’il était possible de vivre de la photographie ?
Seulement l’année dernière, en juin, quand j’ai organisé ma première exposition au Galleon Coffee Bar de Blackpool. Claire Griffiths du Alt Blackpool a écrit une critique et j’ai pris conscience que je n’étais pas trop mauvaise.
Comment en êtes-vous venue à vendre vos photos à une banque d’images ?
Mes trois enfants, très jeunes à l’époque, prenaient la pose sans sourciller. J’ai d’abord envoyé mes clichés à une entreprise appelée Photonica – qui a accepté de me les acheter. Quelques années plus tard, Photonica a été rachetée par Getty Images. Au final, c’est Getty Images qui m’a contactée pour me commander de nouvelles photos.
Possédez-vous toujours les droits d’auteur pour ces images?
Je n’en ai aucune idée. Je ne suis pas très douée en ce qui concerne les procédures administratives. Parfois, je reçois un chèque, et ça s’arrête là.
Vos photos sur Getty Images proviennent-elles de votre appareil argentique ?
Oui, tout à fait. Je n’utiliserai jamais un appareil numérique. J’envoyais des impressions en 10×8, Getty les scannait et me les renvoyait. J’ai arrêté de travailleur pour eux quand ils sont passés au tout numérique.
Quelle liberté aviez-vous par rapport à leurs consignes ?
Je n’hésitais pas à m’affranchir de certaines règles, et ça leur allait parfaitement. Je ne dénigrerai jamais les banques d’images – il y a toujours quelque chose d’intéressant à apprendre partout.
Qu’en est-il de la mise en scène ?
Rien n’était mis en scène, vraiment. Je prenais des photos, c’est tout. C’est ce qu’il y a de marrant – je ne suis pas vraiment une metteuse en scène.
Comment jugez-vous l’équilibre entre business et art ?
Respecter cet équilibre est impératif, vous savez. Je n’ai aucune honte à vendre mes photos à Getty Images tout en exposant mes œuvres dans une galerie. Ma collaboration avec une banque d’images nécessite tout autant de travail.
Suivez Tshepo sur Twitter.