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Un inventeur japonais tente de breveter un traitement contre son propre cancer

Le Dr. NakaMats en compagnie de l’une de ses premières inventions brevetées, la pompe Shoyu Churu Churu, qu’il a mise au point alors qu’il n’était qu’un enfant. Image: Emiko Jozuka

Yoshinari Nakamatsu, surnommé le Dr. NakaMats, sait que ses jours sont comptés. Deux ans auparavant, les médecins lui ont diagnostiqué un cancer en phase terminale, ce qui a ruiné ses espoirs de réaliser son grand projet : vivre 144 ans et déposer plus de 6000 brevets (il en est déjà à 3500). À l’époque, on lui avait prédit qu’il mourrait aux alentours de décembre 2015.

« Il ne me reste plus que 15 jours à vivre, » m’a annoncé le Dr. NakaMats avec gravité, au milieu de ses inventions. Nous étions alors le 17 décembre 2015, et je lui avais rendu une petite visite dans son bureau souterrain de Tokyo.

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L’inventeur n’était pourtant pas disposé à baisser les bras. Il avait bien l’intention de prolonger sa vie grâce au seul moyen efficace qui lui est venu à l’esprit : inventer son propre traitement.

De fait, en janvier 2016, il est toujours vivant.

Le Dr. NakaMats donnant des instructions à une employée dans son bureau souterrain à Tokyo. Image: Emiko Jozuka

Le Dr. NakaMats est un inventeur japonais tout ce qu’il y a de plus excentrique, et un polymathe autodidacte qui peut se vanter d’avoir mis au point le système de lecture par disquette utilisée par IBM dans les années 70 (la version d’IBM diffère quelque peu néanmoins). Diplômé de l’école d’ingénieur de la prestigieuse Université de Tokyo, il est l’inventeur le plus prolifique au monde. Parmi ses 3500 brevets déposés, on trouve les objets les plus bizarres : les bottes Pyon Pyon par exemple, qui contiennent des mini ressorts et donnent une démarche bondissante à leur propriétaire. Le Love Jet, quant à lui, est un produit possédant les mêmes propriétés que le viagra. Le Dr. NakaMats espère que ce dernier pourra « sauver la nation » en encourageant les japonais à avoir davantage de relations sexuelles.

Au Japon, l’inventeur est plus connu pour ses apparitions télévisées et ses nombreuses tentatives avortées pour obtenir un poste au gouvernement. Sa pompe Shoyu Churu Churu est également célèbre : en effet, il l’a inventée alors qu’il n’avait que 14 ans. Celle-ci était destinée à aider sa mère à extraire de la sauce soja de l’énorme baril que sa famille gardait dans le jardin. On l’appelle aussi « la pompe à kérosène. »

En dépit de son carcinome ductal, une tumeur maligne qui affecte sa prostate, le Dr. NakaMats semble en bonne santé, quoiqu’un peu grognon. Lorsque je l’ai interviewé, il avait le nez plongé dans ses projets de nouveaux brevets, aboyant des ordres à ses employés. Il m’a demandé de ne pas le complimenter sur son élégante tenue.

« Je profite des derniers jours qu’il me reste à vivre » me dit-il dans son costume noir et sa cravate jaune vif, contrastant avec les murs rougeâtres du bureau. « Mais j’invente toujours. »

Love Jet, le stimulateur de libido. Image: Emiko Jozuka

Depuis qu’on lui a diagnostiqué un cancer en 2013, il s’est concentré sur l’invention d’un traitement susceptible de le guérir. Pour autant, il n’a pas abandonné ce qu’il définit comme ses quatre objectifs de vie : trouver une alternative à l’énergie nucléaire, inventer un nouveau mode de transport en commun, améliorer la gestion des Big Data grâce à un nouveau support de stockage de données, et encourager la jeunesse à se tourner vers l’invention.

S’il est resté très secret sur lesdites inventions, il m’a en revanche parlé de sa lutte contre le cancer en détail.

« Je remercie Dieu de m’avoir donné cette forme de cancer, très spécifique et très dure à soigner. Cela m’aura donné l’occasion d’inventer un médicament audacieux qui me profitera à moi, mais aussi aux autres, » me confie-t-il. « Si ça avait été un cancer de l’estomac, j’aurais été très contrarié car on sait déjà le soigner. »

Le Dr. NakaMats présentant ses idées lors d’une conférence de presse à Noël. Image: Emiko Jozuka

Lors d’une conférence de presse au Club des Correspondants Étrangers de Tokyo, le 24 décembre 2015, le Dr. NakaMats a expliqué qu’il avait d’abord mis en doute le diagnostic de ses médecins et demandé d’autres opinions un peu partout au Japon. Après avoir accepté que la radiothérapie et la chirurgie étaient inenvisageables à son âge, il a résolu de concocter un traitement de son cru.

Les solutions thérapeutiques envisagées sont loufoques, et plutôt discutables d’un point de vue scientifique. Le Dr. NakaMats a songé à consommer un super-aliment anti-cancer, à boire un thé stimulant l’immunité, et à chanter d’une manière suffisamment agressive pour activer une réponse immunitaire dans le cerveau. Il a également évoqué l’idée de détruire son cancer à l’aide d’un robot. À ce titre, il a d’ores et déjà essayé Gangan Oishii (le super-aliment) et TwenTea (le thé). Ses autres idées ne sont pour le moment que des concepts ou des prototypes.

Il faut préciser que la popularité du Dr. NakaMats est avant tout basée sur sa personnalité pittoresque, le nombre de brevets qu’il a déposés, et son statut de figure culte. L’un des chercheurs japonais avec lesquels je me suis entretenu m’a avoué que ses inventions n’étaient pas vraiment prises au sérieux dans le monde académique. Mais en discutant avec ses fans et ses employés, il m’est apparu clairement que le bonhomme inspirait une forme d’admiration et de profond respect au Japon et à l’étranger.

Les traitements du Dr. NakaMats. Image: Emiko Jozuka

Le Dr. NakaMats est très fier d’avoir remporté le Grand Prix du Salon International des Inventeurs à 41 reprises, et d’avoir déposé plus de brevets que Thomas Edison lui-même. En 2005, il a même gagné un Ig Nobel en nutrition humaine (les Ig Nobel sont décernés aux personnes qui font « rire d’abord, réfléchir ensuite ») ce qui lui a attiré l’attention d’un public scientifique. En l’occurrence, son prix a récompensé une habitude entretenue pendant 34 ans : photographier et analyser chacun de ses repas.

« À chaque fois que j’invente quelque chose, c’est par amour » explique Dr. NakaMats, qui possède une théorie selon laquelle l’invention est alimentée par l’émotion, et se construit par niveaux successifs, comme une pagode. D’abord, vient le concept (suji), qui soutient l’idée principale de l’inventeur. Là-dessus vient le flash (pika), qui permet d’évaluer la pertinence de l’idée, et enfin, sa réalisation pratique (iki).

Quand il ne travaille pas sur ses traitements alternatifs, le Dr. NakaMats publie. Son dernier livre raconte l’histoire de sa vie. Il donne également des conférences sur la philosophie de l’invention à des étudiants japonais et américains, et suit l’actualité de la vente et la distribution de ses anciennes inventions. Fidèle à sa réputation de businessman, il m’a même proposé de me fournir le Love Jet à prix réduit si j’acceptais de le distribuer à Londres.

Les locaux souterrains des employés du Dr. NakaMats. Image: Emiko Jozuka

Les « derniers jours terrestres » du Dr. NakaMats étant occupés par de nombreuses obligations sociales, il m’a confié à sa fidèle employée et directrice commerciale, Natsuyo Matsu. Cette dernière m’a emmené voir la bibliothèque du docteur, une sorte de cabinet de curiosités dans lequel sont stockées toutes ses inventions passées.

Lorsque Natsuyo Matsu a allumé la lumière de la bibliothèque, une véritable caverne d’Ali baba de la bizarrerie est apparue devant mes yeux émerveillés. Dans des boites de verre reposaient des inventions vieilles, pour certaines, de plusieurs dizaines d’années. Les murs de la pièce étaient quand à eux couverts de posters et de planches illustrées relatant les exploits et la vie de notre héros.

Surpris par le volume des objets exposés, j’ai demandé à Matsu si certains d’entre eux étaient toujours commercialisés. « Oui, les bottes Pyon Pyon et le Love Jet se vendent toujours. Le Love Jet est particulièrement populaire à l’étranger. Nous avons encore eu une commande française il y a quelques jours. Les magasins du quartier d’Akihabara nous adressent des commandes chaque semaine » m’explique-t-elle. « Apparemment, beaucoup de touristes chinois veulent ramener du Love Jet chez eux. »

Natsuyo Matsu m’expliquant le succès du Love Jet depuis la bibliothèque du Dr. NakaMats. Image: Emiko Jozuka

« Quand j’explique l’action du produit aux jeunes hommes, ils deviennent rouges de honte. C’est un produit érotique, » souffle-t-elle. « Ensuite je leur précise qu’ils doivent vaporiser le produit sur leurs parties génitales. »

Matsu m’a révélé que l’inventeur travaillait actuellement sur une sorte d’huile d’olive et un vin susceptibles de contenir des molécules anti-cancer.

« Plus on en apprend sur les inventions du Dr. NakaMats, mieux on réalise à quel point il est incroyable. J’ai mis longtemps à me rendre compte qu’il avait un fan club fidèle » explique Matsu. « Pour nous, le Dr. NakaMats est une sorte de Dieu. Je rêve de comprendre un jour comment son cerveau est fait. »