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Une interview avec Jay Chattaway, le compositeur de la bande-son mythique de « Maniac »

Maniac, Vigilante, Maniac Cop, … autant de films des années 80 qui ont fait de New York une véritable jungle urbaine. Ils symbolisent tout un pan de la série B américaine et derrière ces bouches d’égoûts qui fument et ces prostituées qui arpentent les trottoirs s’échappent des musiques captivantes composées à une époque charnière, celle où l’électro déferle sur les ondes. Sous la houlette de William Lustig, Jay Chattaway a travaillé sur les meilleures oeuvres du cinéaste. Il a aussi participé à l’évolution d’un cinéma d’exploitation qui s’employa à dépeindre la ville sous un angle plus fantasmagorique que la vision offerte par la décennie précédente. Ainsi aparaissent Les Guerriers de la Nuit de Walter Hill (1979), Epouvante sur New-York de Larry Cohen (1982), CHUD de Douglas Cheek (1984)… De la même manière que Martin Scorsese avec Taxi Driver en 1976 (et à nouveau en 1984 avec After Hours), ces réalisateurs s’emparent des bas-fonds de la Grosse Pomme dans ce qu’elle a de plus sombre et étrange. Les genres et sous-genres sont variés, du fantastique aux films d’auto-défense, mais se rejoignent souvent sur cette description d’un univers urbain sale, désespéré et violent.

Jay Chattaway a fait ses études en Virginie Occidentale puis est venu s’installer à New York où il traversa toute cette faste période. Il la débute dès 1980 avec Maniac de William Lustig et la cloture en 1990 avec Maniac Cop 2 du même homme. Mais son travail ne s’arrête pas là, des actionners avec Chuck Norris aux compositions pour Star Trek en passant par une adaptation de Stephen King à l’écran, le compositeur a bien baroudé et a accepté de nous en parler.

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Noisey : Maniac est votre premier film comme compositeur. Le film et sa bande-son sont devenus cultes. Quand on le regarde on se rend compte que la musique est indissociable des images, elle instaure cette ambiance si unique des bas-fonds de New York et fait ressurgir encore davantage les sentiments les plus névrosés du personnage totalement habité par Joe Spinell. De quelle manière avez-vous vous abordé la composition ?
Jay Chattaway : Maniac était le premier film que je composais moi-même. Avant ça, j’avais orchestré et dirigé la composition de Gato Barbieri sur L’Arme au Poing de Michael Winner. À l’époque où j’ai composé Maniac, je travaillais à New York en tant que producteur de disques et arrangeur sonore, je connaissais les quartiers de la ville et ses rues les plus sordides. Quand Bill Lustig m’a engagé pour travailler sur Maniac il m’a tout simplement laissé composer librement d’après l’idée que je me faisais du film et de ce dont il allait traiter.

Nous avons décidé que le personnage interprété par Joe Spinell devait être un peu pathétique, pour expliquer son comportement psychotique, d’où l’approche plutôt mélodique du thème musical. Bien que celui-ci soit mélodique, il est accompagné par des sons distordus, plus expérimentaux, afin de représenter la manière dont une âme innocente pouvait être affectée par son éducation et son environnement. La bande-son était principalement électronique, mais elle fut réalisée avant l’apparition du séquenceur musical et du MIDI, ainsi beaucoup des effets musicaux torsadés ont été obtenu en modifiant la vitesse des machines à bandes et les instruments acoustiques furent enregistrés ainsi.

Vous avez collaboré sur la majorité des films de William Lustig. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette relation ?
Bill Lustig et moi sommes devenus des amis et aussi des collaborateurs de confiance. À l’époque, il avait déjà une étonnante collection de films. Nous nous asseyions et en regardions beaucoup, en particulier certains des premiers films d’Ennio Morricone dont la musique est composée avec très peu d’instruments. Nous n’avons eu de gros budgets sur aucun des films que nous avons fait ensemble, ce qui nous a appris à travailler avec une certaine économie de moyens. Ce fut probablement plus efficace que si nous avions eu un grand orchestre.

Quand on observe votre carrière et les films auxquels vous avez participé on a l’impression de voir une bande de potes qui se retrouvaient pour faire du cinéma. Les films de William Lustig évidemment, mais aussi la présence récurrente de Joe Spinell, de Sam Raimi en cameeo, votre travail avec Fred Williamson (qui joue aussi dans Vigilante) sur deux de ses réalisations, Larry Cohen qui a travaillé comme scénariste sur les deux premiers Maniac Cop et pour qui vous avez composé la musique de son film L’Ambulance … Une période agréable, non ?
Cette période fut très créative. Cette manière dont les compositeurs pouvaient travailler sur des films indépendants, et qui vous permettait de rencontrer tout un tas de cinéastes accomplis et très créatifs. Ils ont tous dû s’atteler à d’autres types de films par la suite, et quand ils se remémorent leurs relations de travail ils vous recommandent à de nouvelles personnes. Ainsi, une « société » a été créée. Je suis très heureux de faire partie de cette bande et je suis encore en contact avec beaucoup d’amis de cette période.

Un an après Maniac vous enchaînez avec le score de Vigilante. Souvent mal perçu à cause du thème abordé de l’auto-défense, le réalisateur explique pourtant que Vigilante n’est en aucun cas un film avec une portée sociale et qu’il serait plus juste d’y voir un pur polar urbain bourré d’influences, dont le western. Justement, aviez-vous des influences particulières au moment de la composition de cette bande originale ?
J’ai aussi perçu Vigilante comme un western urbain. J’ai ainsi utilisé de la guitare et une musique aux influences plutôt occidentales, en particulier dans la partition « Ed Leaves Jail ». Il y avait aussi une petite influence du jazz qui était le genre musical dans lequel je travaillais au sein de l’industrie du disque. A cette période, l’électro-pop devint populaire et l’utilisation du séquenceur était à la mode. Nous l’avons un peu expérimenté sur Vigilante. Nous avons également eu quelques sections de cordes, la séquence de poursuite fut principalement composée avec des cordes acoustiques, un peu à la manière de French Connection.

Vous avez travaillé sur Maniac Cop 1 et 2. On y retrouve l’ambiance de Maniac et de Vigilante mais c’est cette fois-ci nous sommes clairement dans la série B fantastique. J’imagine que le travail de composition fut différent, plus libre ?
Maniac Cop avait en effet une approche plus « fantastique », mais encore une fois, j’ai employé une mélodie assez simple, un thème identifiable au personnage du Maniac Cop, cette fois-ci en utilisant un sifflement harmonisé de manière étrange. Notre palette orchestrale était limitée sur ces films. Sur Maniac Cop 3 le compositeur est Joel Goldsmith.

Pourquoi n’avez-vous pas travaillé sur ce troisième et dernier opus toujours signé William Lustig ?
J’étais assez occupé à l’époque et on ne m’a pas vraiment sollicité pour Maniac Cop 3. J’aurais probablement trouvé le temps de le faire. Je ne l’ai jamais vu et je ne sais pas si ma musique a été a reprise ou non.

Toujours dans les années 80, on vous retrouve sur trois films pour la société de production Cannon, uniquement avec Chuck Norris en vedette : Invasion USA, Portés Disparus 1 et 3. Menahem Golan et Yoram Globus, les patrons de la Cannon, sont connus pour avoir sorti à un rythme effréné bon nombre de films dans les années 80, de sorte qu’il était souvent très difficile de peaufiner la post-production. Avez-vous ressenti cela ou rencontré des difficultés sur ces films ?
Les années Cannon furent plutôt intéressantes. Il arrivait que la bande-annonce du film soit jouée dans les cinémas pendant que j’étais encore en train de composer la musique. Les bandes-son devaient être composées rapidement mais elles touchaient une large audience. Portés Disparus avait énormément de fans. Cannon a d’ailleurs utilisé ma musique dans de nombreux films au cours de cette période, y compris dans quelques-uns avec Charles Bronson

Il y a un autre film un peu oublié sur lequel vous avez travaillé, Peur Bleue de Daniel Attias, adaptation d’un roman de Stephen King. On quitte l’univers adulte pour une évocation de l’enfance, souvent traitée par King dans ses œuvres. Votre thème principal est d’ailleurs dans cette optique-là avec ces hurlements de loups en arrière-plan et une partition mêlant mélancolie et aventure.
Peur Bleue est l’un de mes films favoris. J’ai samplé numériquement des hurlements de loups que j’ai ensuite incorporé à la musique comme un instrument à part entière. Ce film aurait été plus réussi si les producteurs n’avaient pas insisté pour qu’il contienne plus de violence graphique, car il n’a pas été conçu pour être un film violent, mais comme un film de loup garou destiné aux enfants.

Dans les années 90, vous avez surtout travaillé pour la télévision, majoritairement sur la série Star Trek. Etait-ce différent de votre travail pour le cinéma ?
Star Trek a représenté une grande part de ma production musicale. Pendant environ dix-huit ans, j’ai contribué à cette série et à ses spin-offs. Il était exigé que chaque épisode ne contienne que des musiques originales, avec peu de temps pour les composer. L’avantage était de disposer chaque semaine d’un grand orchestre. À ce propos, je serai à Londres le 1er novembre prochain pour diriger le London Philharmonic Orchestra à l’occasion du 50ème anniversaire de Star Trek.

Y a-t-il une certaine pression quand on compose pour Star Trek et que l’on connaît l’importante communauté des fans de la franchise ?
Oui, la pression était intense. Il y avait en effet énormément de fans et les épisodes étaient tournés très rapidement. Seulement quelques jours après avoir terminé mes enregistrements, des millions de personnes, partout dans le monde, regardaient l’épisode à la television.

William Lustig explique que les années 90 ont marqué un tournant dans sa carrière. Les années 80 furent une période faste pour les films d’exploitation qui étaient diffusés dans un certain nombre de salles. Puis les années 90 ont changé la donne, il reçut peu de propositions pour le grand écran et se dirigea vers la TV et la vidéo. Avez-vous ressenti la même chose en tant que compositeur ?
Cette période a apportée de nombreux changements, y compris pour la musique de film. La perte des producteurs de films indépendants eu un impact énorme. Les films étaient soit réalisés avec un très faible budget ou à l’inverse avec un budget faramineux. Je travaillais plus ou moins sur des budgets moyens en passe de disparaitrent, je me suis donc tourné vers la télévision où je pouvais travailler de manière plus satisfaisante. Au cours de cette période, et encore maintenant, sont apparues les temp tracks, employées pour aider à la commercialisation du film ou pour indiquer au compositeur l’approche sonore souhaitée par le réalisateur. En conséquence, beaucoup de compositions ont commencées à avoir les mêmes sonorités car il était demandé au compositeur d’écrire quelque chose autour des indices qu’il pouvait relever dans ces temp tracks.

Dans les années 80 vous sembliez privilégier une musique efficace et atmosphérique à de grandes orchestrations.
Souvent, ce choix était budgétaire. Je préfère parler de composition « hybride », qui combine la musique électronique et acoustique. Un grand orchestre est parfois plus intéressant sur un film pourtant plus intimiste.

En 2005, quinze ans après L’Ambulance, vous retrouvez Larry Cohen pour le segment Serial Auto-Stoppeur de la série Masters of Horror créée par Mick Garris. Entre temps, lui comme vous, n’aviez plus vraiment œuvrés dans le genre horrifique.
Larry Cohen est un réalisateur incroyablement brillant. Je suis ravi qu’il m’ait demandé de composer son episode pour la série Masters of Horror. Son scénario, deux tueurs en série qui se rencontrent et se confrontent est une idée très originale et étrange. J’ai utilisé une guitare Dobro, jouée d’une manière étrange pour l’un des personnages et un harmonica basse pour représenter l’autre personage. Je pense que Larry aurait préféré un grand orchestre pour cet épisode, mais ça ne rentrait pas dans le budget.

Depuis cet épisode pour la série Masters of Horror vous n’avez plus composé. Avez-vous des projets à venir ?
Vous omettez les œuvres du réalisateur Joseph Zito, avec qui j’ai travaillé sur Le Scorpion Rouge, Delta Force 1… Lui et moi avons collaboré de nombreuses années sur une série télévisée qu’il a produit au Moyen-Orient, intitulée The Critical Moments. Aujourd’hui, je continue la musique à travers des concerts et je me consacre à mon vrai hobby : la voile. Je vis la moitié de l’année sur mon voilier à naviguer sur l’océan pacifique et l’autre moitié sur l’île de Martha’s Vineyard, dans le Massachussetts. Et comme je l’ai déjà mentionné, je dirigerai le London Philharmonic Orchestra le 1er novembre au Royal Albert Hall.