– « Machin, il trouve que ça sonne Led Zeppelin.
– N’importe quoi…
– Ça doit être à cause de l’effet room sur la batterie…
– Moi, on m’a plutôt dit Foo Fighters.
– Ah non, là, ça va pas du tout… »
JC Satàn sort son cinquième album. Le cinquième album, c’est un peu comme le troisième enfant ou les vacances avec vos beaux-parents : si ça ne vous ravage pas intégralement la gueule, vous avez de grandes chances de tenir la corde jusqu’au bout. C’est l’épreuve dont seuls les meilleurs se relèvent. Parce que réussir un premier album, c’est à la portée de n’importe qui. On y met ce qu’on a, on y va tête baissée, sans réfléchir. On se présente. Sur le deuxième, on confirme. La même chose, en 40 fois mieux si possible. Avec le troisième, les choses se compliquent. Il faut innover. Montrer qu’on sait faire autre chose, qu’on est capable de prendre de la hauteur. Et généralement, arrivé au quatrième, on ne sait plus vraiment ce qu’on fait. Alors le cinquième, vous pensez bien…
Contre toute attente, JC Satàn ont réussi à passer le cap. Si, comme moi, vous les aviez vus sur leur première tournée -bordel ingérable, morceaux décousus, batteur totalement à côté- vous ne leur auriez pas donné 18 mois d’espérance de vie. 8 ans plus tard, ils sont pourtant toujours là et qui plus est avec un disque ( Centaur Desire, sortie le 3 mars sur Born Bad) dont une bande de moujingues de 18 ans rongés par la haine tous frais débarqués de Auxi Le Château ou La Valette Du Var auraient largement fait leur affaire. Bon, il y a une vraie batterie, la guitare est mixée au cordeau, le son fait un peu plus riche mais ça dérape toujours autant qu’une Trabant sur une patinoire et la pochette est, une fois de plus, complètement à chier. Mais surtout, il y a ce groupe, qui ne ressemble à rien, qui est totalement invincible sur scène et dont la présence, finalement, suffit presque à elle seule. JC Satàn aujourd’hui, au milieu des Thérapie Taxi et Eddy De Pretto, c’est comme une Newcastle Brown Ale après 4 heures de marche forcée sous le cagnard. On en a besoin, c’est comme ça.
Ils auraient pu se contenter de balancer une copie du précédent (JC Satàn qui, comme son nom ne l’indique pas forcément, était le quatrième) qu’on aurait été ravis. Ils ont eu l’élégance d’en faire un bien meilleur. Comme l’a récemment déclaré un de mes éminents collègues, « c’est le disque que Queens Of The Stone Age aurait du sortir au lieu de cette purge de Villains ». Ça doit faire quinze ans que je n’ai pas écouté un disque de Queens Of The Stone Age, mais je lui fais confiance, c’est un professionnel. Moi, ce que je peux vous dire, c’est que Centaur Desire mêle à la perfection le côté chaud, mélodique et luxuriant de Hell Death Samba (leur deuxième album, paru en 2011) et l’aspect noir, monolithique et incandescent de JC Satàn, qu’il ne sonne pas Led Zeppelin et encore moins Foo Fighters et que vous pouvez l’écouter en intégralité ci-dessous, pour la première fois dans l’Histoire des Trabant, d’Auxi Le Château et des marches forcées sous le cagnard, avant de lire l’interview plus bas.
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Noisey : Ça fait beaucoup, cinq albums, pour un projet qui était, à la base, censé être juste un truc comme ça, vite fait, pour déconner.
Paula (chant) : [ Rires] Attends, ça aurait pu être le huitième ! Au début on voulait en faire un par an, c’est ce qu’on a fait avec les deux premiers. Après, on a un peu merdé.
J’ai repensé aux premiers concerts que j’ai vu de vous, au tout début du groupe et clairement, à ce moment là, je ne m’imaginais pas écouter un jour le cinquième album de ce groupe. Ni même le deuxième en vérité.
Arthur (guitare/chant) : Le type qui est passé en interview avant toi n’avait pas vu ces tournées et on lui a dit mot pour mot ce que tu viens de nous dire. C’est assez incroyable d’être là après avoir démarré comme on l’a fait. Après, on ne s’est jamais trop posé de questions sur ce qu’on faisait, où on allait, donc finalement on est aussi surpris que toi. On a juste fini par trouver un truc dans lequel on se sentait bien.
Paula : Il y avait une chronique de notre premier album, Sick Of Love, dans un fanzine américain qui disait qu’on était de toute évidence un groupe éphémère et qu’on allait disparaître aussi vite qu’on était apparus. Il faudrait que je la retrouve.
Dorian (claviers) : Cela dit, il doit y avoir pas mal de journalistes dans ce cas-là, qui misent sur un truc qui ne marche jamais et vice-versa.
Arthur : J’espère qu’on aura appauvri beaucoup de journaliste avec ce genre de paris en tout cas. [ Rires]
J’imagine qu’il y a quand même eu un moment où vous vous êtes dits : « Ok, il y a peut-être moyen de faire quelque chose de ce groupe ».
Arthur : Dès que Romain est arrivé à la batterie, en gros. Ça a tout changé sur scène.
Dorian : Pas tout de suite-tout de suite non plus, mais on sentait que quelque chose venait, quoi.
Arthur : Les gens venaient nous voir, nous proposaient des concerts dans de plus grosses salles, on se sentait plus à l’aise…
De l’extérieur, on a ressenti un écart énorme entre Sick Of Love et Hell Death Samba. Aussi bien dans la qualité des morceaux que dans leur accessibilité. Hell Death Samba, c’est le premier disque qui a touché des gens hors du cadre strictement indé/underground.
Arthur : Sick Of Love était une compilation de morceaux enregistrés chez moi à l’arrache à différentes périodes qu’un véritable album. A la base, on voulait juste faire de la musique avec Paula, on n’envisageait même pas de faire de disque.
Paula : A l’arrivée, on avait six titres avec le mot « Love » dedans, ça ne ressemblait à rien…
Dorian : Bah après, sur les disques de soul c’est pareil.
Paula : C’est justement ce qui m’inspirait ! Les trucs de la Motown, tout ça. Ça restait des chansons d’amour de toute façon.
Arthur : C’est après qu’on s’est mis à parler de démons. [ Rires] Mais effectivement, il y a eu un changement avec le deuxième album. C’est là qu’on s’est dit : « Ok, si maintenant on est un vrai groupe, voyons ce qu’on peut faire ».
Un vrai groupe sur scène, mais pas sur disque, où c’est vous deux, Arthur et Dorian, qui enregistriez tout, en gros. C’est toujours le cas sur Centaur Desire ?
Arthur : Oui, il y a un malentendu sur la bio, où il est précisé qu’on a enregistré avec tout le groupe.
Je me demandais parce que niveau son, je n’ai pas entendu de différence flagrante avec le précédent.
Arthur : Ah si, quand même ! Au moins la batterie.
Oui, la batterie, c’est vrai.
Arthur : Pour moi c’est le truc qui change tout. Ça et la couleur de Dorian [ qui s’est teint en blond]. Il ressemble à un méchant dans un film de Luc Besson, comme ça. J’ai vraiment du mal à le regarder depuis. Il faut dire que j’ai du mal à regarder les films de Luc Besson à la base. Mais pour en revenir à la question, non, on n’a toujours pas enregistré en groupe sur Centaur Desire, mais on a, pour la première fois, utilisé une vraie batterie. En gros, sur les trois premiers albums, tout est fait en numérique, sans amplis ni rien. Sur le quatrième, on a utilisé des amplis pour les prises de son avant de tout rentrer dans l’ordinateur. Et sur celui-ci, amplis et batterie. On a donc le jeu de Romain et donc des idées, des plans, que Dorian ou moi n’aurions jamais eu.
Paula : Après, on pourrait enregistrer ensemble, c’est juste qu’on a cette façon de fonctionner avec Arthur en chef d’orchestre et que ça marche plutôt bien pour le moment.
Arthur : Ce n’est pas non plus un principe, c’est juste que j’ai besoin de jouer de différents instruments pour concrétiser ce que j’ai dans la tête. Par exemple, j’adore jouer de la basse et je sais très précisément ce que je veux sur chaque morceau, quel type de son, donc je le fais moi-même, inutile de perdre du temps à l’apprendre à quelqu’un. C’est le seul groupe dans lequel je fais ça. Après, on s’échange des idées et pour ce disque là, on a passé un mois tous ensemble pour préparer les morceaux. Nous on sent une différence, mais je ne sais pas si les gens le noteront. En tout cas, le son de la batterie est sans comparaison possible !
Il y a aussi « No Brain No Shame » qui est un peu l’archétype du son JC Satàn, celui qu’on retrouvera sur les compilations horribles dans 25 ans, « Le son rock des années 2010 ». [ Rires] Je trouve que c’est la synthèse de tous vos disques.
Dorian : Je vois ce que tu veux dire. Je suis assez d’accord.
Ce son-là, justement, vous aimeriez le dépasser, pousser le truc à un niveau différent ?
Arthur : Possible. Mais on a pas envie de se poser trop de questions. Si on avait réfléchi, on n’aurait jamais formé le groupe. Le truc ne tenait pas debout, on n’avait pas de matos… On ne s’est pas dit, comme certains « ouais, faisons un truc lo-fi et bancal parce qu’on aime trop ça ». On a fait un truc lo-fi et bancal parce qu’on n’avait pas d’autre option. Si demain on peut avoir 10 millions d’euros de matos, on s’en servira et on sortira un disque qui sera sans doute trop mainstream pour certains mais qui, pour nous, sera juste une étape de plus sur notre parcours. On n’est pas en demande, on fait avec ce qu’on a.
On a toujours l’impression avec vos disques qu’ils sont surtout là pour inciter les gens à venir vous voir sur scène. Sur les trois premiers, il y a clairement un côté « ok, c’est pas vraiment parfait mais venez nous voir sur scène, c’est là que ça se passe ».
Arthur : Complètement. Et pour moi, c’est toujours le cas.
Paula : C’est limite plus important pour nous de faire un bon concert que de sortir un bon disque. Un bon concert te marquera davantage, je pense. Et il va te permettre d’avoir un rapport différent avec le disque.
Arthur : Un artiste doit toujours être meilleur en concert que sur disque. Sinon ça veut dire qu’il se fout de ta gueule. Si en live les gens ont l’impression d’être dans leur salon, à écouter l’album, c’est qu’il y a un problème.
En concert aussi vous avez pas mal évolué au fil des années. Il y a eu un gros saut niveau qualité à partir de Faraway Land, le troisième album, puis avec le quatrième, J.C. Satan, où vous êtes passé d’une espèce de tornade garage à un truc plus lourd, à la Black Sabbath.
Paula : Les prochains vont plutôt sonner rock à papa, je crois.
Ok, donc Led Zeppelin, Foo Fighters…
Arthur : On voulait appeler l’album Rock Pantoufle mais Emile de Forever Pavot nous a piqué l’idée. [ Rires] Non, mais on a un peu écrémé, notamment au niveau des solos de guitare, j’en avais un peu marre de ça. Au début tu trouves ça hyper transcendental, mais au bout d’un moment c’est juste casse-couilles. Là, on a plus bossé les enchaînements, le rythme.
Il y a deux ans, vous aviez complètement mis ça de côté avec les « Love Sessions », votre série de concerts consacrée à vos morceaux plus pop.
Arthur : Oui, mais on a pas fait le truc aussi bien qu’on l’aurait voulu. On aurait du le bosser un peu plus. Je sais que beaucoup de gens ont adoré le concert qu’on a donné à Paris, à la Maroquinerie. On a eu énormément de retours dessus. Mais nous, on était pas vraiment satisfaits… Ça aurait pu être bien meilleur. On était pas prêts.
Paula : On est allés trop vite, on était pas à l’aise… Au départ, on voulait faire toute une tournée comme ça, mais on a réduit à 5 ou 6 dates.
Arthur : Surtout qu’on nous proposait parfois des plans dans des très grosses salles, alors qu’on cherchait à faire justement tout l’inverse, des petits endroits, un peu plus intimes.
Paula : C’était confus dans l’esprit des gens.
Arthur : Faut dire qu’on est des pipes en communication. Mais c’était cool de le faire. D’ailleurs on a incorporé certains de ces titres au nouveau set, dans des versions un peu arrangées pour l’occasion. J’ai envie que ça reste compact et cohérent. Je déteste les concerts de rock avec le moment où ça retombe, les morceaux plus calmes, avant de repartir… Je préfère tout balancer d’un bloc. De toute façon on ne peut pas se permettre de jouer de balades, ça nous obligerait à modifier tous nos réglages en cours de set et on peut pas se le permettre.
Paula : On a pas encore de roadie qui vient nous aider à changer de guitare à chaque morceau.
Votre premier 45, Satan est sorti il y a 9 ans. En 9 ans, beaucoup de choses ont changé dans la façon de vendre et d’écouter de la musique, ou même d’en parler.
Arthur : Moi ce qui me saoule, c’est le mot « garage », on nous l’a servi à toutes les sauces et maintenant c’est comme si ça devenait un truc tabou, qui gênait tout le monde. Nous, c’est un truc dont on s’est affranchis très tôt parce que dès Hell Death Samba, on a montré que nos influences étaient ailleurs, dans la pop, dans certains groupes des années 90, bref, qu’on n’écoutait pas que les Gories ou les Reatards. Ça ne me dérange absolument pas d’appartenir à cette scène mais il faut que les mots aient un sens. A un moment, on voyait des groupes rock tout ce qu’il y a de plus classique se décréter garage parce que c’était cool et maintenant, c’est l’inverse.
On en est carrément au point où des groupes garage ne veulent surtout pas qu’on dise qu’ils sonnent garage.
J’ai enregistré des groupes plus jeunes et la plupart ont hyper peur du mot garage, parce que ça te colle direct dans un ghetto… Mais bon, quand tu es dans ce type de musique, très typée, assez radicale, tu atteins vite un plafond, il y a un moment où tu ne peux pas toucher plus de gens, ou tu dois passer la seconde et changer ou rester dans ton truc toute ta vie.
Où est-ce que vous vous trouvez, vous, là, maintenant ?
Arthur : Dans une position assez confortable, finalement. Ça se passe bien, ça marche, ça nous convient. J’aimerais juste jouer plus souvent à l’étranger, en Europe. A la limite, ça me suffirait. De toute façon, le seul moyen d’accéder à une étape supérieure, de toucher d’autres gens, d’avoir un autre type de succès, ça impliquerait de signer sur une major. Et moi, perso, ça ne m’intéresse pas.
Paula : Où alors sur un label indépendant plus gros, donc anglais ou américain. Parce qu’en France, en indépendant, t’as pas plus gros que Born Bad.
Dorian : Le dernier très gros changement, on l’a senti avec le troisième album, Faraway Land. Là, on a eu plus de public, on a senti plus d’enthousiasme.
Arthur : Aujourd’hui, on ne joue plus dans des salles vides, ça c’est cool. C’est pas forcément plein tout le temps mais ça n’est jamais vide et ça, quand tu l’as connu, ça fait une grosse différence.
Et surtout, ce n’est pas donné à tout le monde. Il y a des tas de groupes mis hyper en avant, qui ont énormément de presse, qui font une grosse release party à Paris et qui, une fois qu’ils se retrouvent à Nantes ou Rouen en tête d’affiche, jouent devant 10 personnes.
Arthur : Le problème c’est que ces groupes zappent généralement la phase des concerts pourris dans les bars, où se constitues le noyau dur de ton public. Ils se retrouvent directement à jouer en Smac. Du coup, personne ne va les voir et ils n’intéressent personne. Pour moi la patience c’est hyper important en musique. Il faut apprendre, expérimenter, ne pas précipiter les choses. Les jeunes groupes savent souvent exactement ce qu’il faut faire pour que ça marche très vite mais ils ratent plein d’étapes hyper importantes et finissent par se vautrer. Ils ont leur intermittence en deux mois mais ils jouent dans des salles vides dès qu’ils sortent de Paris, parce qu’ils ne se sont pas fait connaître dans ces villes-là au préalable. Quand tu vas voir un groupe indé, punk ou garage dans une Smac, c’est généralement parce que tu l’as vu ailleurs avant.
Centaur Desire, disponible le 3 mars sur Born Bad.
Lelo Jimmy Batista, disponible jusqu’au 16 mars sur Noisey.