Santé

Je me suis fait greffer des gencives pour rajeunir mon sourire

Split image of a person's gums and a slice of flesh

Depuis toujours, je suis persuadé que mes deux incisives supérieurs sont légèrement trop longue. Bien que je ne leur reproche rien fonctionnellement parlant, elles m’avaient valu le surnom de « Bugs Bunny » durant mon enfance. À force de répétition, j’ai fini par le croire et meuler mes ciseaux à carotte est devenu une obsession. Au point où je me suis fait administré le même traitement du sourire que les meufs qui se marient à Végas par la dentiste esthétique Victoria Veystman.

Après l’intervention de la merveilleuse Dr Veystman, qui avait égalisé aussi bien mon sourire que mes ratiches pour que mes incisives paraissent moins protubérantes, j’ai réalisé que le problème venait d’ailleurs. L’imposante longueur de mes incisives qui me faisait tant horreur était en réalité due à l’inéluctable et triste rétractation de mes gencives. Pire encore, là où durant ma jeunesse, s’épanouissaient encore des gencives aussi roses que pulpeuses, il n’y avait plus qu’une trace jaunasse et terne. Quand bien même le Dr Veystman est une sorte d’esthéticienne buccale miracle, son travail ne s’attarde que sur l’aspect, et refoutre de la gencive là où il y en eut mais que c’est fini, n’était pas du tout dans ces compétences. Ce domaine relève de la chirurgie et son patron en est le parodontiste. Par chance, j’en comptais une parmi mes meilleurs amis.

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Mon amie Michelle s‘occupent de la périphérie de vos dents. Lors de conversations mondaines et légères où on la questionne sur son gagne pain, elle aime à se présenter comme une « jardinière de gencives ». Ce qui comprend, entre autre, les implants dentaires, le diagnostic, le traitement et la prévention des maux gingivaux. Bien entendu, les parodontistes s’adonnent à la chirurgie et aux greffes gingivale, ce qui consiste simplement à soigner vos gencives meurtries – par un excès de brosse à dent, ou son contraire et/ou par divers maladies – en prélevant des morceaux de tissus sur un donneur (qui peut être un cadavre philanthrope) et de les placer dans votre bouche.

J’ai envoyé une photo de ma bouche à Michelle qui m’a aussitôt confirmé que j’étais le candidat idéal pour une greffe gingivale. Elle m’a, de plus, fait miroiter une réduction dont la décence veut que j’en taise le montant. Pour vous donner un ordre d’idée, c’est 1000 euros par dents, et ça n’est pas beaucoup remboursé même si ça n’est pas toujours une opération esthétique comme dans mon cas.

Une semaine plus tard, j’étais dans un fauteuil, prêt à recevoir les conclusions du diagnostic de Michelle. Ce dernier était sans appel et allait confirmer mes inquiétudes. Mes gencives avaient reculé, laissant les racines innocentes de mes dents victimes des assauts répétés des horreurs tapies dans ma bouche (et dans la vôtre aussi).

« En gros, je vais prélever des tissus de ton palais, les poser sur la partie exposée de tes racines dentaires, prendre ta gencive décharnée, la décoller, tirer dessus et m’en servir pour border la greffe et m’assurer que le tout tienne en place avec une bonne vieille suture »

Je dois bien l’avouer, la motivation qui m’avait animé pour que je bouge mon cul à travers la moitié d’un continent, était un mélange de pure vanité et d’une peur profonde d’avoir l’air aussi décharné que mes pauvre gencives. Michelle allait m’informer qu’il y avait d’autres raisons, beaucoup plus louables, de prendre au sérieux la récession gingivale. « Le premier problème que pose une récession gingivale est la perte de support pour le devant de tes dents », m’expliquait-elle, et d’ajouter qu’une récession non traité pouvait, dans des cas extrêmes, mener à la perte pure et simple de mes dents.

La seconde raison est l’exposition du nerf directement à la racine de la dent, ce qui peut amplifier les sensations douloureuses et à minima augmenter la sensibilité de votre bouche d’une manière générale. Pour finir, le fait que la racine, recouverte de cément et non d’émail, comme la couronne dentaire, celle-là pouvait beaucoup plus facilement s’abîmer au contact de nourritures acides À force d’érosion et d’abrasion, elle deviendrait poreuse, et offrirait aux bactéries des HLM pour créer des caries dignes du manoir de Hugh Hefner.

J’étais maintenant parfaitement au fait des horreurs qui menaçaient l’intégrité de ma bouche si je ne la laissais pas pratiquer son art. En bonne hôte, Michelle me tient aussi au jus des conséquences de l’interventions. Que ce soit une minute après que les suture soient achevées, un jours après ou dans les mois à venir.

« En gros, je vais prélever des tissus de ton palais, les poser sur la partie exposée de tes racines dentaires, prendre ta gencive décharnée, la décoller, tirer dessus et m’en servir pour border la greffe et m’assurer que le tout tienne en place avec une bonne vieille suture. » Elle m’avait servit ça d’une traite, comme si de rien n’était. L’expression même de l’ordinaire par un praticien corrompu. « Dans les semaines et les mois à venir, il faut que les tissus conjonctifs greffés prennent sur les racines de tes dents pour qu’elles soient bien arrimées. » J’avais en têtes d’étranges images de bateaux solidement attachés à quai. Ceci-dit, et pour fuir ces visions douteuses, il faut savoir que depuis sa découverte en 1985, la greffe de tissus conjonctifs s’est développé exponentiellement jusqu’à devenir une intervention très commune, en particulier pour la greffe de gencive.

« Souvent, les donneurs (de tissu conjonctif) décrivent une sorte d’intense brûlure, comme après une bouchée dans une pizza trop chaude. Cette sensation peut durer assez longtemps », me dit Michelle. Elle m’informait ensuite que durant les semaines à venir, je devrais m’en tenir strictement à de la nourriture liquide, ou à la limite pâteuse. Je devrais aussi porter scrupuleusement une protection de plastique pour éviter que ma langue ou que des restes de bouffe ne viennent foutre le bordel là où elle aurait prélevé les tissus à greffer. En gros, ma bouche allait être l’équivalent d’un charnier ou d’un champ de bataille pendant quelques semaines.

« Tu dois aussi savoir que tes nouvelles gencives vont passer par toutes les couleurs, du rouge, au bleu, en passant par la pourpre, et finir par virer au gris jaune. Ah, et tu vas certainement avoir des caillots de sang plein la bouche. » Michelle a ajouté qu’il était hors de question qu’un brossage de dent trop zélé ne vienne ruiner son boulot.

Une fois toutes ces infos traitées par mon cerveaux, il en est sorti que j’allais tirer un trait sur toutes mes envies sociales pendant mon séjour à Vancouver. J’allais faire le voeux presque solennel de rester dans mes quartiers chez Michelle et son mari et m’alimenter de yaourt et de la glace.

Le moment de l’injection de lidocaïne était venu. Une dose pour la zone de don (mon palais) et une pour la récipiendaire (mes gencives de devant). À ma grande surprise, ça a été la seule partie désagréable de l’intervention. Michelle a ensuite nettoyé les racines de mes deux incisives des polluants qu’elle m’a décrit comme étant ma propre salive chargée des restes de mon dernier repas. Elle a ensuite appliqué une protéine dérivée de matrice amélaire (une dent en développement, en l’occurrence d’un porcelet), l’Emdogain. Alors, qu’armée de son coton-tige, elle me badigeonnait les racines, elle m’a expliqué que la protéine allait stimuler la formation de cément dentaire ce qui allait aider à la prise de la greffe.

Elle a ensuite décollé ma gencive décharnée, puis elle a pratiqué une petite incision dans l’épiderme de mon palais pour en prélever un rectangle de tissus conjonctifs précisément débité pour correspondre à la zone à réparer. Elle a recousu le tout d’une main agile et sûre et pour finir, elle a bordé le tissus conjonctif fraîchement greffé avec ma vieille gencive. Une autre rafale de points de suture s’en est suivi. C’était déjà terminé.

Aussi compliqué que l’intervention puisse paraître, elle n’a duré en tout et pour tout que 45 minutes au bout desquelles, Michelle était déjà en train de documenter son travail avec des clichés post-opératoires. Un temps qu’elle a bien mis à profit pour me seriner que le succès de l’intervention tenait dans mon scrupuleux respect des instructions que j’avais à tenir pour les prochaines semaines. « J’ai fait mon boulot en mettant la greffe en place, à toi de faire qu’elle y reste. » m’assenait-elle d’un ton sévère. Je lui assurais de mon engagement total et inconditionnel.

Durant ma convalescence, je suis allé trouver un autre parodontiste, le Dr Caroline Herron. Je voulais entendre un son de cloche potentiellement différent, qui plus est de la bouche de quelqu’un qui ne l’hébergeait pas gratuitement et qui n’était pas une amie proche. Le Dr Herron m’a confirmé que, chez un petit nombre de patient, la greffe ne prenait pas. J’en avais déjà été témoin lorsqu’un de mes amis avait eu cette exacte déconvenue pendant ses vertes années. Caroline m’a aussi confirmé que les effets secondaires d’une greffe gingivale étaient globalement les même que pour n’importe quelle intervention chirurgicale dentaire ou parodontale. « Ces effets incluent des infections post-opératoires, des saignements, des douleurs, des hématomes de la face, des oedèmes, des douleurs articulaires au processus condylaire, des spasmes musculaires, un gercement des commissures labiales, des difficultés à ouvrir la bouche et d’élocutions, des chocs anaphylactiques, une sensibilité accrue des dents au froid, au chaud, aux aliments acides ou sucrés et pour finir des cas encore plus rares de débilité buccales généralisé », énuméra-t-elle.

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Pour ma part, et par chance, je n’ai subi absolument aucun de ces effets secondaires aussi indésirables que handicapants durant mon rétablissement canadien. Franchement, j’avais connu des brûlures de pizza bien plus chiantes que celle dont Michelle m’avait fait le cadeau. Je n’ai eu qu’à cacher mon « sourire à la Walking Dead » dans l’alcôve de mon hôte tout en étant bien conscient que des petits grumeaux de sang coagulé qui peuplaient gaiement la ligne de mes gencives et devaient me donner un haleine déplorable. Pour ne pas indisposer mes amis, tant pas l’odeur que par le look, j’usais abondamment d’un bain de bouche spécialement adapté et j’ai fait profil bas au propre comme au figuré. Encore une fois, j’étais victime de ma vanité.

Deux semaines après mon opération, Michelle m’a ôté les points et m’a renvoyé à New York avec mon accord pour que je revienne d’ici quelques mois pour une visite de contrôle. Je suis reparti avec une liste de conseils qui comportait entre autre d’utiliser du fil dentaire, d’utiliser une brosse à dent électrique à poils souples et à puissance minimale. « À l’invention de la brosse à dent, on utilisait des soies d’animaux qui sont bien plus rêches, ce qui est aussi destructeur pour les gencives que lucratif pour les parodontistes. » Elle m’a aussi recommandé de ne pas abuser de soins dentaires du type détartrage pour la simple et bonne raison qu’il fallait que le tissu conjonctif soit suffisamment accroché à mes racines pour y laisser quelqu’un s’ébattre avec les outils de tortures communs aux dentistes.

Le temps de mon voyage retour, tout le gore de la situation avait disparu. J’avais toujours la gencives supérieur un peu gonflée et légèrement décolorée mais ça n’avait rien d’étonnant puisqu’on l‘avait décollé pour y glisser des tissus qui n’y était pas quelques jours avant.

Mes proches ont, quant à eux, noté que mon sourire semblait plus jeune, à minima, moins décrépit et que mes incisives semblaient plus courtes. En un sens Michelle avait fait remonté le temps à mes gencives et de fait, prévenu les inévitables les ravages de l’âge sur ma bouche.

Voici deux photos, avant / après, pour le ravissement de vos rétines.

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Au printemps, je suis retourné à Vancouver faire ma visite de contrôle. Michelle m’a confirmé que l’intervention était un succès. « Les tissus mous ont maturé de belle manière et il se sont suffisamment affermi, la couleur est rose et fraîche, la profondeur de sondage est parfaitement normal, ce qui indique que le tissu conjonctif s’est bien attaché au cément de tes racines. » Pour la faire courte, j’avais coupé l’herbe sous le pied à la décrépitude de mon sourire et je m’épargnais sans doute de futures problèmes coûteux. Qui a dit que la vanité le payait pas ?

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