Culture

Cette jeune fille est peintre, et elle peint avec son sang menstruel

John Anna a 23 ans. C’est une fille. Elle vient de Nantes, habite Bordeaux en Gironde, et elle dessine depuis qu’elle est enfant. Il y a deux ans et demi, elle a échangé son acrylique et sa peinture à l’huile pour une matière moins coûteuse et autrement plus organique : le sang qui s’écoule de son vagin tous les 28 jours. Cette découverte lui a permis, en plus de multiplier les toiles de couleur rouge, de lancer un nouveau mouvement à la croisée des arts plastiques et du féminisme contemporain qu’elle a nommé la « Womanstruation ».

Sur son Tumblr, elle poste régulièrement les photos de ses créations. Récemment son art s’est, selon elle, « radicalisé », puisque la jeune artiste peint essentiellement avec le seul sang de ses règles. Elle le considère par ailleurs comme un « médium assez puissant » doté d’une « belle symbolique ». Je l’ai contactée pour qu’elle m’explique pourquoi et comment elle arrivait à peindre avec un truc qui dégoûte à peu près tous les hommes et emmerde à peu près toutes les femmes.

Videos by VICE

VICE : Salut John Anna. D’où a germé l’idée de ton projet artistique Womanstruation ?
John Anna :
J’ai beaucoup appris des techniques traditionnelles lorsque j’étais en CAP Dessinateur d’exécution en communication graphique à Châtellerault, entre 2006 et 2008. Lorsque je terminais mon BTS de communication visuelle à Bordeaux, en 2013, j’ai choisi de faire mon mémoire de fin d’études sur le sang. C’est comme cela que j’ai découvert que plusieurs artistes peignaient avec leur sang. Ça m’a donné l’envie de monter un projet artistique autour de cela. J’ai fait mes petites recherches dans mon coin et il m’est apparu que le sang était un médium assez puissant pour en faire un projet à part entière. Voilà comment Womanstruation est né.

D’où viens-tu ?
J’ai 23 ans, je suis née à Nantes, et j’habite Bordeaux. Fille de militaire, j’ai beaucoup déménagé. J’ai vécu à Dijon, en Normandie, puis en Guadeloupe. Je dessine depuis que je suis toute petite aussi j’ai choisi, dès le collège, de m’orienter vers le graphisme. J’ai choisi fait des études de communication visuelle à Châtellerault, puis à Bordeaux, où je viens d’obtenir ma licence en Design et arts appliqués. À la rentrée, je m’installe à Rennes pour y suivre le master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF). Je voudrais devenir professeur d’arts plastiques.

Pourquoi avoir choisi de travailler sur le sang menstruel ?
Eh bien, parce qu’il est assez tabou. On le met à la poubelle, on cherche à le cacher. Moi, je veux le rendre beau. Il évoque une belle symbolique. Je veux le remettre dans un cycle afin de lui donner son rôle de créateur.

Les femmes sont spontanément plus dégoûtées que les hommes. C’est comme si elles se voyaient dans un miroir, comme si elles se trouvaient en face de quelque chose qu’elles détestent, face à leur intimité exposée.

Quel est le message ? S’agit-il d’une ode à la féminité, à la maternité ?
À la base, je ne pensais pas revendiquer cela. Je crois que je voulais juste utiliser le sang pour ce qu’il est, mais a posteriori, je pense me situer dans une démarche plutôt féministe. Je voudrais montrer que les hommes et les femmes sont identiques, que nous sommes des personnes avant d’être des êtres sexués.

Je vois. Utilises-tu d’autres types de sécrétions pour ton travail ?
Dans mes tableaux « Le Graal » ou « Cocktail », j’ai utilisé un mélange de sperme et de sang menstruel. J’avais demandé à mon petit ami de l’époque de me fournir en liquide séminal. Mais je suis assez déçue du résultat. On ne voit pas bien le sperme.

Comment ton travail est-il perçu par ton entourage ? Les réactions varient-elles en fonction du genre de l’interlocuteur ?
Il y a des personnes qui trouvent que c’est « dégueulasse » ou encore que je suis « tarée ». Mais je dirais que les gens sont assez intéressés. D’une manière générale, j’ai constaté que les femmes étaient spontanément plus dégoûtées que les hommes. Je montre quelque chose qu’elles doivent cacher tout le temps. C’est comme si elles se voyaient dans un miroir, comme si elles se trouvaient en face de quelque chose qu’elles détestent, face à leur intimité exposée.

D’un point de vue pratique, comment fais-tu pour récupérer et stocker ton sang menstruel ? Combien de temps peut-on le conserver ?
Une fois retiré, je place mon tampax usagé dans un petit papier et je presse dessus pour récupérer le liquide que je verse ensuite dans différents petits pots, dans mon réfrigérateur. Il est très important d’éviter le contact avec l’air. Une fois stocké au frais, le sang se conserve jusqu’à trois semaines. Depuis un an, j’utilise une coupe menstruelle, ce qui me facilite grandement la vie.

Peux-tu parler des sujets de ta peinture ?
Il s’agit souvent de représentations de femmes. J’aime beaucoup dessiner des femmes. J’aime beaucoup les thèmes mélancoliques. Le cycle menstruel, pour moi, c’est une métaphore du temps qui passe. Je peins avec mon sang quand j’ai un message important à faire passer, c’est une façon de m’impliquer complètement. À part cela, je fais une BD. J’aimerais bien aussi passer à la 3-D et essayer de réaliser des sculptures que je peindrais avec mon sang.

Quel rapport entretiens-tu avec tes règles ? Comment as-tu vécu ta puberté ?
J’ai été très perturbée à l’arrivée de mes premières règles. Ça me dégoûtait, je me sentais gênée. Mais grâce à mon travail artistique, j’ai appris à les apprivoiser. Maintenant, c’est quelque chose de ludique pour moi. J’attends mes règles, chaque mois, avec impatience, de manière totalement décomplexée. Je suis convaincue que l’art peut permettre d’être à en harmonie avec son corps.

Sandrine est sur Twitter. Les travaux de John Anna sont visibles sur son Tumblr.