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Je suis allé dans un escape game socialiste pour me libérer du capitalisme

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« Quand vous entrez dans l’entreprise, c’est comme si vous faisiez partie de la famille ». Ça, ce sont les mots avec lesquels j’ai été accueilli lors de mon premier jour de taf dans une papeterie. J’avais 19 ans, et j’imagine que je ne suis pas la seule personne à avoir entendu des déclarations semblables au cours de son parcours professionnel. Mais cette phrase d’intro chaleureuse aura malheureusement été le climax de ce job, c’est pour dire. Chaque journée passée là-bas fut d’un ennui mortel. Je me suis poliment tiré à la première occasion, et c’est là que les métaphores familiales ont soudainement cessé.

Je pense qu’on a déjà tous été obligés de se farcir des jobs minables comme celui-là. Cependant, les choses pourraient bien changer. Depuis la pandémie, des études ont démontré que 69 % des travailleurs ne sont pas favorables à un retour au modèle du travail comme nous le connaissions auparavant, et qu’un nombre croissant de personnes dans le monde réclament de meilleures conditions de travail. Sur l’autre plateau de la balance, on retrouve bien évidemment le gouvernement, qui, pour faire face à la flambée du coût de la vie, a récemment recommandé à la population de « travailler plus » ou de « trouver un emploi mieux rémunéré ». Cette situation crée un sentiment inconfortable : celui de se sentir obligé d’avoir à choisir entre le fait de consacrer une plus grande partie de sa vie à des patrons aux yeux perçants, ou de continuer à profiter d’un équilibre plus sain entre vie professionnelle et vie privée.

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Pour essayer de donner un sens à tout ça, je me suis rendu auBristol Transformed Festival, un événement socialiste annuel d’un week-end qui propose en temps normal des conférences et des ateliers. Cette année, ils se sont laissés séduire par le jeu de rôle, avec une escape room socialiste appeléeThe Firing Line, soit la Ligne de Tir.

JUSTIN STATHERS, L’ORGANISATEUR DU FESTIVAL THE FIRING LINE, EN COSTUME.
JUSTIN STATHERS, L’ORGANISATEUR DU FESTIVAL THE FIRING LINE, EN COSTUME.

« Notre jeu met en évidence la dynamique de pouvoir déséquilibrée qui existe dans de nombreuses entreprises entre les travailleurs et leurs patrons », explique Beth Gormley, organisatrice du Bristol Transformed Festival. « Les travailleurs devraient disposer de plus d’autonomie concernant leurs conditions de travail. Nous espérons qu’ils pourront trouver les outils pour commencer à s’organiser et s’attaquer aux inégalités qui existent au sein même de leurs propres boîtes. »

Justin Stathers, l’organisateur du jeu d’aujourd’hui, est un créateur d’escape room chevronné. « Nous avons tous connu ces employeurs qui veulent être nos amis. Généralement, ils ne sont pas sincères. Il s’agit plutôt d’essayer d’obtenir davantage de leurs employés, de manière détournée. Une stratégie enveloppée dans des sourires mielleux et décorée d’émojis pouces en l’air », explique-t-il. « Le principe ici est que les employés d’une entreprise sont espionnés à leur insu par leur patron depuis un repaire secret. Comme l’intrusion des boss dans la vie privée de leurs employés pose de plus en plus question, nous voulions exploiter cette problématique. »

Le jeu se déroule dans l’arrière-salle d’une boîte de nuit remplie de divers déchets de bureau, notamment des bouteilles de fontaine à eau, du petit attirail en plastique et des notes plastifiées de manière passive-agressive. Un grand tableau blanc est posé contre l’un des murs, des chaînes et des cadenas y sont attachés pour le maintenir en place. Entouré de cinq inconnus, je nous sens tous un peu nerveux. Chacun est sans doute en train de se demander s’il est assez bien fringué pour son premier jour de taf.

« Hello, je suis Jack du département RH, bienvenue à bord, bonjour, bonjour, oui, c’est super de vous voir, nous nous sommes rencontrés lors de votre intégration, j’ai adoré votre profil LinkedIn, super, vraiment super », s’exclame Stathers avec une voix semblable à celle de Bob Mortimer dans Train Guy. Le mec est maintenant à fond dans son perso. Il me tend la main pour une poignée ferme et professionnelle : « Bienvenue dans notre nouvelle salle de repos ultramoderne. Pendant votre séjour, les portes seront fermées à clé pour vous empêcher de distraire, de vous associer ou de nouer des relations avec vos collègues et ainsi monter un syndicat ».

Stathers nous chuchote ensuite qu’un collègue a découvert des malversations de la part de la haute direction et que c’est à nous de trouver les indices qui nous permettront de connaître leurs méfaits. Avant le début du jeu, on nous rappelle que toutes nos pauses toilettes seront chronométrées et que nous ne disposons que de 30 minutes pour remplir la mission.

JE SECOUE UNE MALLETTE MYSTÉRIEUSE ET VERROUILLÉE.
JE SECOUE UNE MALLETTE MYSTÉRIEUSE ET VERROUILLÉE.

Je n’ai jamais fait d’escape room. Ironiquement, j’ai toujours pensé qu’il s’agissait du type d’activités de groupe créées pour les journées team building. Un truc avec du lancer de hache, la construction de radeaux et tout ce qui pourrait passer pour une activité à faire sur une île déserte. Cependant, malgré cette aversion préexistante, mon équipe a besoin de moi et je ne compte pas la laisser tomber.

Le top départ est donné et nous commençons à errer sans but, ne démontrant clairement pas les capacités de travail d’équipe dont nous nous étions vantés lors de l’entretien d’embauche. Une musique d’ambiance sans droits d’auteur retentit, ce qui ne fait qu’ajouter à notre confusion.

Rien ne nous saute aux yeux ; on a de toute évidence besoin d’« une stratégie sur mesure répondant à notre ensemble unique d’objectifs commerciaux », comme on dirait en entreprise. Les choses se mettent finalement peu à peu en place : un de mes collègues examine un ventilateur de bureau avec des boutons à codes couleur. Pris d’un éclair de génie, il en déduit une suite de chiffres et l’essaie sur une mallette verrouillée. Elle s’ouvre, comme prévu. Le business peut commencer.

Certains de mes coéquipiers regardent maintenant sous les tables et derrière les chaises, attrapant les morceaux de pizza en plastique qu’ils rassemblent ensuite dans une boîte à emporter posée sur une table latérale. D’autres examinent les affiches sur le mur et lisent les notes manuscrites qui ont été disséminées un peu partout.

UN MESSAGE D’UN CAMARADE QUI S’EN EST ALLÉ.
UN MESSAGE D’UN CAMARADE QUI S’EN EST ALLÉ.

C’est peut-être dû à mon manque d’expérience, mais je ne suis d’aucune aide. Au fond de moi, je sais qu’il me faut prendre du recul et trouver le set de compétences uniques que je pourrais apporter à la team. C’est alors que je remarque qu’il manque un truc essentiel à cette salle de repos : un poster motivationnel.

J’ai maintenant compris ce qu’il fallait que je fasse. Mettre de la musique, canaliser mon Alan Sugar intérieur, utiliser autant que possible des expressions telles que « leadership », « avalanche d’idées » et « esprit stratégique » — bref, je dois rallier les troupes. Mon discours provoque un nuage d’adrénaline. Je suis sûr d’avoir prononcé les mots « île » et « synergie », tout en entrecroisant mes doigts en forme de treillis — le terme international pour désigner le travail d’équipe en langage des signes. Pour le reste, je ne sais plus trop.

ASSEMBLAGE DES MESSAGES.
ASSEMBLAGE DES MESSAGES.

Quoi qu’il en soit, ça semble fonctionner. Un collègue trouve un autre code dans un calendrier, déverrouillant une seconde mallette contenant un aimant. Nous l’utilisons pour pêcher une clé dans une fontaine à eau, qui ouvre ensuite un autre cadenas sur le tableau blanc. Les tranches de pizza — qui ne nous ont pas été offertes si gracieusement que ça par la direction — sont réassemblées pour à leur tour révéler un autre code énigmatique. Et puis encore un code caché sous un téléphone de bureau. Je peux très bien imaginer un membre du middle management décrire cela comme tenant de la sphère des idées. Finalement, tous les cadenas sont déverrouillés et le tableau blanc s’effondre pour dévoiler un passage.

Nous rampons prudemment, en file indienne, jusqu’à un repaire secret, la musique montant d’un cran alors que nous nous entassons dans le minuscule espace. Un grand ordinateur qui rame encore sous Windows 7 est posé sur un bureau, un clavier brinquebalant devant lui. L’ordinateur nous demande un mot de passe. Je sens arriver le crescendo final ; la solution doit être proche.

A group of people playing a socialist escape room game at The World Transformed in Bristol
La pièce finale.

Parfois, la meilleure façon de s’attaquer à un problème est d’essayer de ne pas se mettre en travers du chemin. C’est exactement ce que je fais pendant que mon équipe, désormais experte, s’emploie à déchiffrer les derniers codes et à les entrer sur le clavier un par un. L’ordinateur se déverrouille enfin, révélant le sombre secret de la direction.

Il s’avère que nos méchants patrons, manifestement inspirés par les récentes actions chez Amazon et Starbucks, tentent de licencier un courageux membre du personnel pour avoir monté un syndicat.

Nous avons réussi, seulement 23 secondes avant la fin de la partie. Tout le monde se fait des gros high-five bien corporate. Justin fait irruption dans la pièce pour nous féliciter. « Juste à temps », dit-il, rayonnant. « Mais maintenant, il va falloir faire un choix : allez-vous soutenir vos camarades et exposer les méfaits de vos patrons aux yeux de tous ? Allez-vous lécher les bottes de ces clowns d’entreprise et les aidez à couvrir leurs traces ? Ou bien allez-vous rester les bras croisés sans rien faire ? La décision vous appartient. »

Pendant une seconde, tout le monde semble hésiter. Puis, dans un esprit de cohésions sociale, nous décidons démocratiquement et à l’unanimité d’abattre ces bestiaux capitalistes. Certes, je n’étais pas le membre le plus impliqué de notre cohorte, mais je dirais que je suis au moins le cousin chelou de cette magnifique famille du travail. Voilà enfin un job qui m’aura permis de libérer tout mon potentiel.

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