Culture

Je suis artiste depuis que j’ai arrêté le gluten

Cet article a été publié en premier lieu sur VICE.

Jusqu’à l’an dernier, je crois que je n’avais jamais entendu parler du gluten. À mes yeux, il devait s’agir d’une molécule étrange mais trouvable dans la plupart des aliments, et surtout inoffensive. Du coup, quand la folie du gluten-free a déferlé partout autour de moi, j’ai d’abord eu l’instinct de rire de cette nouvelle lubie bobo-vegan. Je ne mettais pas en doute le fait qu’il puisse exister une intolérance au gluten, mais je ne comprenais pas trop l’intérêt de bannir toute nourriture qui en contiendrait alors que je n’en avais jamais ressenti les effets. Cependant, il s’avère que mon scepticisme puisse trouver ses limites dans la réalité des faits entourant la fraction protéique inculpée.

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L’intolérance au gluten est un mal encore peu connu qui peut affecter les individus 10 ans avant qu’ils ne soient diagnostiqués. À l’origine, l’intolérance cause une inflammation intestinale chronique qui peut, en outre, causer des problèmes d’absorption des nutriments. Parmi les symptômes, on trouvera des diarrhées récurrentes ou des vomissements, mais aussi un affaiblissement général, une perte de poids, une anémie, de l’ostéoporose, des démangeaisons et des cloques, la stérilité ou encore une neuropathie périphérique (quand les nerfs sont atteints).

Si elle n’est pas diagnostiquée correctement – comme c’est le cas pour 80% des personnesqui seraient touchées, selon l’Association Française des Intolérants au Gluten –, l’intolérance au gluten peut causer des dommages physiques très importants C’est ce qu’il s’est passé pour Eugenia Loli, qui a souffert pendant 10 ans de symptômes divers qu’aucun examen ne parvenait à expliquer. Aujourd’hui, après moult reconversions professionnelles, Eugenia se dévoue à l’art surréaliste et expose son travail sur Internet. Mais son chemin pour enfin sortir de « l’affliction gluten » a été long, même s’il a débouché sur une nouvelle appréhension de la vie pour l’artiste. 

En quoi le fait d’arrêter le gluten a-t-il changé ta sensibilité par rapport à l’art en général ?
Eugenia Loli : Je ne faisais pas d’art statique avant de devenir gluten-free. Je ne faisais que des films, lesquels étaient assez insipides, sans grandes idées. Je me suis mise à faire des collages en avril 2012, après avoir vu les premiers collages de ce style sur Tumblr. Ce style spécifique de collage est devenu populaire l’année d’avant, après presque 90 années de collages « Dada » (qui sont abstraits et n’ont pas de véritable logique). Les collages pop ont connu un certain succès sur la toile, et c’est à ce moment-là que j’en suis tombée amoureuse. On en entend un peu moins parler en ce moment, mais c’est normal : les courants artistiques sont eux aussi victimes de la mode.

Tes collages sont assez psychédéliques, avec des titres souvent originaux. Qu’est-ce qui t’inspire, est-ce que tu essayes de faire passer un message en particulier ?
En termes d’art, pas vraiment. Réaliser des collages, des illustrations, faire davantage de paysages, ce sont ça mes motivations. Peut-être aussi sortir un livre, si l’occasion se présente dans le futur. La création occupe une part importante de mes journées, mais ça n’est pas mon univers. Je ne fais pas partie de ceux pour qui l’art est au centre de leur vie et qui ne peuvent pas vivre sans. Je suis plus intéressée par d’autres choses (qui se ressentent éventuellement dans mon art) : être en bonne santé, trouver une spiritualité, le temps de méditer, dormir plus, manger plus, regarder un bon film de science-fiction, etc.

L’art est quelque chose que j’aime et que je fais, mais ne constitue pas mon but ultime. Je suis assez connue pour changer de profession environ tous les cinq ans : avant, j’étais développeur, puis j’ai été éditeur en chef d’un grand magazine technologique, j’ai réalisé des films indépendants – et maintenant, eh bien, je suis une artiste populaire. Je pense que la spiritualité hors religion sera mon prochain grand truc. Après des années et des années d’athéisme, je me rends compte que je vois l’univers différemment, et ça me donne envie de m’orienter vers une direction plus métaphysique.

Peux-tu approfondir sur ta relation au gluten ? 
Ça m’a pratiquement tuée. J’ai été profondément malade pendant près de 10 ans, sans arriver à savoir ce qui clochait. Les analyses sanguines que j’ai faites en 2003 pour tenter de dépister une éventuelle maladie cœliaque n’ont rien donné, mais les médecins ne m’avaient jamais dit qu’une biopsie aurait été plus appropriée pour le dépistage. J’ai donc continué à vivre pendant des années, en pensant que la nourriture n’avait rien à voir là-dedans. En septembre 2011, j’ai décidé de suivre le régime Paleo (qui est strictement gluten-free) juste dans la perspective de perdre du poids. C’est en fait ma santé que j’ai retrouvée. Une année plus tard, un test génétique m’a révélé que j’avais 30 fois plus de chances qu’une personne moyenne d’être sujette à une intolérance au gluten.

À partir de là, tout a pris sens. Mon art était florissant depuis que j’avais recouvré la santé et que j’étais capable d’avoir des pensées concrètes. Avant, je n’étais même pas capable de lire un livre, j’étais trop fatiguée, et puis « pas vraiment là » à cause de tous ces problèmes physiques qui m’accablaient (cela allait de tous les symptômes d’intolérance que l’on peut connaître jusqu’à l’apnée du sommeil, des douleurs semblables à une fibromyalgie dans le dos et dans le cou, en passant par des dents presque transparentes et la perte de presque tous mes cheveux). Maintenant, je me sens de nouveau comme une personne normale. Tant que je mange de façon adaptée (aucune céréale sauf le riz, pas de sucre, et pas d’huile industrielle), je ne ressens plus aucun symptôme.

Tu sais si d’autres personnes ont eu une histoire similaire ?
Il y a un nombre pas possible d’histoires de gens qui ont vu leur vie changer en se mettant au régime Paléo (et pas seulement à un régime gluten-free). Mais je n’ai pas entendu parler d’expériences proches de la mienne d’un point de vue artistique ou professionnel. Ce qu’il faut savoir, c’est que parfois arrêter le gluten ne suffit pas, il faut mettre en place un régime de type Paléo qui s’attaque aux différentes graines, au sucre et huiles industrielles.

Est-ce que tu vois vraiment de l’art abstrait partout maintenant ?
Non, c’est seulement arrivé en novembre 2011, seulement deux mois après que j’aie guéri. Je me retrouvais à faire de l’art surréaliste. Il suffisait je ressente l’eau de la douche couler sur mon corps pour avoir des visions surréalistes dès que je fermais les yeux. Les émotions fortes, également, donnaient lieu à ce genre de visions. Ce que je voyais changeait à chaque fois, ça n’était jamais pareil. Je considère cette expérience avec l’art abstrait comme une période de « programmation » pour moi. Comme si une entité extérieure à moi-même cherchait à reprogrammer mon cerveau et me permettait de faire de l’art (abstrait ou pas). Pour moi, mes créations et le succès rencontré sont comme un juste retour des choses après m’être enfin rétablie. Je pense que la vie est faite comme un jeu d’ordinateur : quand tu passes un niveau, tu gagnes des points (ou des vies supplémentaires). Moi, j’ai gagné la capacité à faire de l’art. 

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