Je suis celui qu’on surnommait le « gentleman voleur »

Le gentleman voleur de bijoux

En 2014, Stéphane* a donné du fil à retordre aux policiers et mis en alerte un bon nombre de joailliers français. Jusqu’alors inconnu de la justice, ce trentenaire passionné de pierres précieuses depuis l’enfance est devenu du jour au lendemain un pro du vol de bijoux. Sa technique bien rodée lui a permis de vivre de ses larcins pendant près d’un an. Rangé des voitures depuis sa condamnation à six mois de prison avec sursis en 2017, celui que la presse surnommait le « gentleman cambrioleur » a accepté de revenir sur cette folle année. En se gardant de préciser le nombre exact de vols et le montant de son butin.

VICE : Comment en es-tu arrivé à commettre tous ces vols ?
Stéphane : Ça a démarré quand je vivais en Espagne à une période où je manquais un peu d’argent. Pour les 90 ans de ma grand-mère j’ai eu envie de lui offrir une bague. Je me suis rendu dans une grande enseigne qui faisait moins 50%. Sauf qu’on m’a présenté un panel de pierres à
3 000 euros alors que j’avais une enveloppe de 500. La vendeuse était sympa et peu méfiante. Un client est entré, son attention a été détournée et je me suis alors retrouvé face à une dizaine de bijoux vendus entre 5 et 10 000 euros. L’adrénaline est montée d’un coup et j’ai pris une pièce. Puis j’ai attendu et je lui ai dit au revoir, assez serein, en me disant qu’elle n’avait pas compté tous les produits présentés. En sortant j’ai couru à une station de métro sans être poursuivi. J’ai retenté le coup par la suite mais les autres commerçants étaient plus attentifs.

Videos by VICE

Après ça tu es rentré en France ?
Oui, je suis rentré en 2013, mais je n’ai pas trouvé de travail et mes économies ont rapidement fondu. Je savais où trouver à Paris les grossistes de petites pierres en zirconium. Les mecs achètent ça cinq centimes et le revendent 30 balles aux touristes. Je me suis présenté à eux comme un grossiste et j’ai acheté des échantillons pour trois fois rien. Visuellement, le zirconium a les mêmes caractéristiques qu’un diamant. Ensuite, je suis allé dans une boutique en région parisienne. J’ai raconté à la vendeuse que ma mère s’était fait voler ses puces d’oreilles pendant son hospitalisation. Elle m’a ramené un premier échantillon puis est repartie à ma demande en chercher de plus grosses. J’en ai profité pour échanger le zircon contre un vrai diamant. En sortant, j’ai compris que c’était un bon filon et la machine s’est emballée.

À quel point s’est-elle emballée ?
C’est devenu ma seule source de revenu et ma vie était organisée autour de ça. J’ai dû visiter pas loin de 150 boutiques à travers le pays. En province, à cause du bouche-à-oreille, tu ne peux pas taper deux boutiques dans une même ville, il faut donc bouger en permanence. Ça m’a permis de découvrir des bleds improbables. Mais mon temps était compté. J’arrivais dans la ville en fin de matinée et je repartais directement après le vol. C’était un peu 60 secondes chrono mais en 5-6 heures. Il fallait d’abord trouver la boutique. Je m’étais au préalable constitué une liste à partir du site des pages jaunes. Sauf que je n’avais pas accès à des photos comme sur Google Street View. Je notais donc juste le trajet à effectuer depuis la gare. Souvent je me perdais en route ou j’arrivais devant une boutique où il n’y avait rien à voler. Si je parvenais à embarquer le caillou, je revenais direct à la gare pour sauter dans le premier TGV, peu importe la direction du moment que j’étais loin.

« Pendant des mois tu passes ton temps à mentir à ton entourage pour expliquer la rentrée d’argent. Je n’en ai parlé à personne, sauf à la seconde voix dans ma tête »

Tu payais ton billet ?
Rarement. Je n’allais pas faire la queue pour acheter un billet alors que l’alerte avec mon signalement avait peut-être été donnée. Quand j’avais du cash je payais dans le train directement au contrôleur. Sinon c’était l’amende. Ce n’était pas un problème puisque j’étais en mode fantôme, non traçable par la SNCF. À mon retour d’Espagne, je n’avais pas ouvert de compte bancaire en France et je n’habitais plus à l’adresse indiquée sur mon passeport. Je ne comptais pas me réinsérer, ni rouvrir de compte ici, donc j’étais plutôt serein.

Savais-tu comment tu allais écouler la marchandise ?
En France, les ventes sur des gros montants se règlent uniquement par chèque, c’est la loi. Mais je connaissais le circuit belge pour avoir revendu des bijoux dont j’avais hérités. Je savais que je trouverais des gars spécialisés dans le rachat de pierres rue de la Bourse à Bruxelles. Ils ne sont pas très regardants sur ton identité. Du moment que tu n’as pas la tête d’un flic ça passe. Au départ je vendais au plus offrant. Du coup je me faisais arnaquer, l’acheteur me filant 900 euros pour une pierre affichée à 15 000 en boutique. Sur la fin j’arrivais à revendre 2 000 euros les pièces qui en valaient 5 000.

Étais-tu stressé avant le passage à l’acte ?
Je n’ai jamais vraiment eu peur. Avant ça, ma seule expérience du vol c’était des petits trucs à la FNAC au lycée. Il faut se dire que le geste est le même que tu voles un CD ou un bijou à 10 000 euros. J’étais pleinement dans cet état d’esprit, donc ma sensibilité n’était pas heurtée. Je ne transpirais pas par exemple. Le plus dur finalement, et ce qui te ronge, c’est de devoir tout garder pour toi. Pendant des mois tu passes ton temps à mentir à ton entourage pour expliquer la rentrée d’argent. Je n’en ai parlé à personne, sauf à la seconde voix dans ma tête. Il y a un petit côté schizo qui apparaît au bout d’un moment.

C’était quoi ton secret pour réussir à flouer les joailliers ?
La clé c’est de gagner leur confiance en leur faisant entendre ce qu’ils ont envie d’entendre. Faire croire que tu as de l’argent et raconter une histoire un peu touchante. Moi j’utilisais souvent le levier de la famille tout en insistant sur la qualité des produits en vitrine. Il faut appuyer sur leur talon d’Achille qui reste l’appât du gain. Attention, cependant, à ne pas trop surjouer les signes extérieurs de richesse. Ça met une pression, supplémentaire, qui se ressent dans le comportement. Moi je veillais juste à ce que la manche de ma chemise couvre en partie le cadran de ma montre. Histoire que le vendeur s’imagine une Rolex en voyant un aperçu d’or alors que je portais une Casio dorée qu’on trouve partout. Et pour la tenue je la jouais en jeans-basket. C’était surtout ça ma force.

Peux-tu revenir sur ton interpellation ?
C’était dans une boutique où j’étais venu le matin même et on m’avait demandé de repasser l’après-midi. Le bijoutier me fait rentrer directement dans une pièce à l’écart. Je trouve ça un peu bizarre qu’il casse les barrières directement. Au bout de dix minutes, l’interphone sonne et 15 flics entrent. Je comprends illico mais je joue le mec stupéfait. Ils me disent en m’embarquant que je ressemble au signalement donné par un autre joaillier volé quelques semaines plus tôt. Au commissariat, en passant devant un bureau, un des flics lance à sa collègue : « Regarde qui on a trouvé ! » Je réalise direct dans son regard qu’elle me connaît bien. Placé en cellule, je gamberge en essayant de deviner combien de bandes-vidéo avec mon visage ils possèdent. L’audition dure 48 heures et je lâche le morceau au fur et à mesure.

Et ensuite direction la prison.
Quand le juge de l’application des peines t’annonce que tu pars en détention provisoire c’est le choc. Sur le moment, les vols ne te paraissent pas répréhensibles au point de t’envoyer au trou alors que tu n’as pas de casier judiciaire. J’ai fait quatre mois en tout et ça s’est plutôt bien passé. Franchement, ça craint pas plus que traîner à Saint-Denis à 2 heures du matin. Le plus difficile à vivre c’est l’absence de liberté, d’autant plus que je sortais d’une année de voyages.

Quels ont été tes rapports avec les autres détenus ?
Ceux qui lisent le journal étaient au courant que l’auteur des vols allait rentrer au quartier arrivant. Ils s’attendaient à un mec en costard vu que la presse avait parlé de « gentleman voleur ». J’ai clairement fait profil bas pour pas être démasqué. L’étau s’est resserré à un moment avec des mecs en promenade qui m’abordaient en mode « Faut qu’on parle ». À ma sortie, je suis resté trois semaines sur place et j’ai eu le temps de recroiser quelques têtes connues. Depuis je ne suis jamais revenu dans cette ville. Au final j’ai été peut-être grillé par un seul mec, sans que je sache s’il a pu faire le lien avec l’affaire. Vu que j’étais arrivé en détention avec une seule tenue et que j’avais refusé que l’administration me prête des fringues, je passais mon temps à laver mon linge. C’est comme ça que j’ai découvert un zirconium resté coincé dans la petite poche avant de mon jean. Mon codétenu a vu ça et a tout de suite cru que c’était un diamant à 10 000 balles. Après lui avoir expliqué qu’il se faisait des films, je lui ai filé le truc en lui disant qu’il pouvait toujours essayer de le revendre à l’extérieur. Ça m’a sans doute évité des emmerdes par la suite.

*Le prénom a été modifié.

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.