Je suis né d’une insémination artificielle

L’auteur de l’article, enfant. Photo publiée avec son aimable autorisation.

Un matin quand j’étais au lycée, un ami m’a dit que celui qu’il avait toujours cru être son père ne l’était pas. Il venait de l’apprendre, la veille, de sa bouche même. C’était une révélation pour lui, et cela expliquait beaucoup de choses sur l’attitude de son supposé père, lequel s’absentait pour un rien, le plus souvent possible, du domicile familial. Devant cette divulgation intempestive, je ne pouvais pas rester sans réponse. Alors je lui ai dit : « moi non plus, je ne connais pas mon géniteur. »

Tout remonte à mes 7 ans, exactement. J’avais alors un père, une mère et une sœur cadette. J’étais objectivement heureux. Mes parents traversaient une période de transition, ils avaient quitté Paris pour aménager dans le sud de la France, si bien qu’on avait quelques difficultés financières, mais je m’en foutais. Nous avions un toit, des habits, de quoi manger, et vivions tous ensemble avec tout l’amour qu’il faut pour rester en enfance. C’est sans compter le squelette familial qui voulait sortir du placard.

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À cet âge-là, on commence à lire et à écrire. On commence aussi à se questionner sur le monde qui nous entoure, et on fait de grandes trouvailles dont on ne se remet jamais vraiment comme comprendre que le Père Noël n’existe pas. C’est le premier moment où tout bascule. En conséquence, c’est à peu près au même moment que je me suis mis à douter de tout. Jusqu’au jour où, sans que je sache trop pourquoi, ni comment, la psy de ma mère – chez qui elle se rendait afin, principalement, d’analyser ses rêves – lui dise, en parlant de moi : « il sait. »

Ce que je savais, ce n’était en réalité qu’un vague, léger doute : que mon père n’était pas vraiment mon père, c’est-à-dire qu’on partageait plein de trucs affectifs, culturels et relationnels, mais pas le moindre gène. Et pour cause, comme je l’apprendrais bientôt : je suis en effet né d’une insémination artificielle.

J’imagine que ma mère devait déjà être travaillée par la question. « Faut-il lui dire ou pas ? » J’imagine aussi qu’elle avait dû en parler avec mon père, lequel avait vraisemblablement répondu par la négative. Socialement difficile à vivre (on associe facilement infertilité et impuissance) et surtout, crainte de ne plus être aimé de ses enfants. C’est pourquoi, je ne me souviens plus comment tout ça s’est déroulé, mais ma mère m’a révélé comment j’avais été fait. « Tu es le fils de Papa, mais comme il a un problème, un médecin nous a aidés à mettre une graine dans Maman. » Ou un truc du genre.

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De cette époque, je me rappelle du rituel du bain. On prenait le bain à deux avec ma sœur ; on jouait et on mettait de l’eau partout dans la salle de bains. La maison où nous vivions était vieille et j’imagine que le chauffe-eau devait tomber en panne car parfois, mes parents remplissaient la baignoire avec des marmites d’eau bouillante. Lorsqu’on avait fini, ils nous attrapaient et nous enroulaient dans des serviettes géantes, pour ensuite nous amener dans le séjour. Là, mon père ou ma mère nous séchait et nous peignait les cheveux en veillant à ce que l’on se tienne tranquille devant la télé.

Je me suis peu à peu aperçu que la découverte à propos du Père Noël n’était rien à côté de la confidence que venait de me faire ma mère. Elle m’avait bien dit de ne pas en parler à ma sœur qui de toute façon était trop jeune. Et puis je me suis dit « En fait, c’est normal, C’est différent des autres, mais c’est comme ça. » Cette technique a bien marché pendant un temps, jusqu’à ce que je réalise que mon père ne savait pas que ma mère m’avait mise au parfum. Il ne savait pas que je savais. Ça, je me suis dit, c’est moins normal.

Malgré l’injonction au silence de ma mère, j’ai profité de l’un des moments avec mon père pour prendre la température et tenter – avec la finesse d’un enfant de 7 ans – d’aborder la question. On était dans la salle de bains : je me souviens des carreaux bordeaux. En fait, c’est lui qui a lancé le débat. Il m’a dit que c’est lui et ma mère qui m’avaient conçu, en lui donnant une graine, etc. Vingt ans après, je me souviens précisément de cette phrase pour le moins explicite : « je t’ai fait avec mon zizi. » Ma réaction d’enfant fut tout aussi directe : « non, c’est pas vrai. »

Là, mon père s’est lancé. Il nous a tout dit. Qu’ils « avaient essayé de faire des enfants, mais sans succès ». Et donc, que notre médecin leur avait proposé d’inséminer ma mère avec le sperme d’un autre.

Mon père s’est décomposé. « Comment ça non ? ». J’ai insisté : « c’est pas toi et je le sais, Maman me l’a dit. » Il n’était pas prêt à l’entendre, encore moins de la bouche d’un enfant, qui comme tous les enfants, manque ostensiblement de tact. Ce soir-là depuis mon lit, je l’ai entendu hurler.

Il a répété des dizaines de fois : « Mais qui je suis moi, maintenant ? » Je m’en voulais. Ils se disputaient à cause de moi. Toutes les fois suivantes où ils se disputeraient, je me sentirai coupable. Je me suis donc juré de ne plus en parler, et de ne jamais le révéler à ma sœur. Je suis même interdit d’y penser. Je faisais comme si rien ne s’était jamais passé. Et les années se sont ainsi écoulées.

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Mon père a vraiment dû penser que j’avais oublié. Je ne suis pas quelqu’un qui converse beaucoup, et de fait, nous n’en avons jamais reparlé. Pendant ce temps, j’ai appris cette histoire vraie et qui m’a aidé à accepter la situation. Après ma naissance, le jour où mon père a pu me sortir de la clinique, il m’a enveloppé dans un drap, est entré dans un café où il avait ses habitudes, m’a posé sur le comptoir et a crié en me désignant : « voilà mon fils ! »

Pendant mon adolescence, je ne pense pas avoir été plus en conflit avec mon père que la moyenne. Mais je crois que je lui en voulais un peu. Je lui reprochais le mensonge, lui qui avait tendance à reprocher aux autres ce qu’il appelait les « non-dits ». C’était un comble. Je sentais quand il mentait, et surtout lorsqu’il s’agissait de choses anodines.

Puis un jour, alors que nous avions autour des 20 ans, mes parents nous ont réunis dans la cuisine ma sœur et moi, car selon leurs dires, ils avaient « une chose importante à nous dire ». Moment solennel. Là, mon père s’est lancé. Il nous a tout dit. Qu’ils « avaient essayé de faire des enfants normalement mais sans succès ». Qu’ils « s’étaient rendu compte qu’il [mon père] était infécond ». Et donc, que notre médecin leur avait proposé d’inséminer ma mère avec le sperme d’un autre. C’est ce qu’ils ont fait. Je crois qu’aujourd’hui, il y aurait eu d’autres solutions. Le médecin avait fait au mieux pour prendre une « personne ayant à peu près les mêmes caractéristiques » que mon père. Et ma mère est tombée enceinte. Du premier coup, les deux fois – pour moi, comme pour ma sœur.

Je crois que ça a été un peu dur pour elle de l’apprendre. Moi j’étais préparé, je le savais. Mais pour ma sœur, ça a dû rajouter au sentiment d’étrangeté familiale qu’elle avait pu ressentir ici et là. Ma mère a ouvert le champagne et on a trinqué à cette nouvelle vie qui commençait. Elle paraissait heureuse, soulagée. Je suis allé avec mon père sur le balcon. On a fumé et discuté. Il n’était pas sûr d’avoir fait une bonne chose en nous le disant : « c’est ta mère qui m’a poussé », m’a-t-il dit. Je l’ai rassuré : selon moi, il s’agissait de la meilleure chose à faire.

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Je possède donc les gênes d’un parfait inconnu. Un homme que je ne connais pas et que je ne connaîtrai jamais. Bizarre. En même temps, c’est arrivé avant moi et avant la médicalisation de l’enfantement. Combien d’enfants ont été adoptés, abandonnés, nés sous X, de père inconnu ou d’une relation extraconjugale cachée ? De fait, si l’on faisait des tests de paternité, beaucoup pourraient être surpris.

Il y a ce psychologue, Arthur Kermalvezen, qui est passé à la télé et a fait parler de lui partout dans les médias l’année dernière, en 2014. Il a été fait comme moi. À la différence que ses parents le lui ont dit quand il était jeune et qu’à présent, il est un peu énervé car il avait toujours pensé qu’il connaîtrait un jour ou l’autre son géniteur. Alors, il insulte les donneurs anonymes. On peut le comprendre : selon lui, il voit son père partout dans le métro et angoisse à l’idée d’avoir des relations incestueuses avec l’une de ses sœurs inconnues.

Certes, les donneurs de sperme doivent avoir des enfants un peu partout dans la nature. Bien sûr qu’on a envie de voir son géniteur, de savoir à quoi il ressemble et à quoi ressemblent 50 % de nos gênes. Mais après, parler avec lui – est-ce vraiment nécessaire ? Ai-je vraiment envie de savoir à quoi il a pensé au moment où il a éjaculé dans l’éprouvette ? J’ai un père et ça me suffit. L’autre n’est qu’un donneur de semence. Le Parisien estime d’ailleurs qu’il y en a quelque 350 en France tous les ans, et qu’ils participent à plus de 1 300 naissances.

Le premier souvenir que j’ai de ma vie remonte à mes 3 ans. Je me vois à la maternelle, à Paris. Je m’apprête à chercher mon pardessus quelque part sur les portemanteaux. Il y a des images pour reconnaître lequel est le sien. Moi, c’est un nounours. Je lève les yeux et il y a des fenêtres par lesquelles pénètre une douce lumière blanche. Mon père est au bout du couloir. Je cours joyeux sur le parquet brillant en me disant : « c’est mon Papa. » Cette image reste en moi.

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