Fruits pourris, bestiaire halluciné, orgies à peine suggérées, supplices et plaisirs qui s’entremêlent… Peintre des rêves et des cauchemars, Hieronymus dit Jérôme Bosch (1450 – 1516) a composé des toiles visionnaires.
Iconoclaste, humaniste, hérétique ou simple esprit libre ? La destinée du peintre flamand alimente aujourd’hui encore de nombreuses théories. Côté certitudes, on sait que l’homme s’est copieusement nourri d’enluminures, mais également des tentations ésotériques qui fleurissaient alors dans l’Europe – pas vraiment libre – des XV et des XVIème siècles.
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Considérées par certains comme sacrilèges, dangereuses ou piégées, les toiles de Bosch – dont de nombreux signes sont encore à l’étude aujourd’hui –, constituent des points de rencontres secrets, où le religieux fricote velu avec le péché et la damnation.
Exécutée entre 1503 et 1504, au crépuscule de la vie du peintre, Le Jardin des Délices est l’une des oeuvres les plus mystérieuses et riches du Maître. Rigoriste à de nombreux égards, ce Jardin sera un des trois triptyques que Jérôme Bosch n’aurait pas peint pour le compte de l’Église catholique — Engelbert II ou Henri III de Nassau seraient les mécènes les plus vraisemblables. Officieusement, on parle d’une secte libertaire. C’est par exemple la théorie de Jim Morrison. Passionné de Bosch, le frontman des Doors, écrivit en 1963 un ambitieux mémoire visant à prouver que le peintre avait fait partie des adamites, mouvement d’hommes libérés qui suivaient l’amour libre, rejetaient le mariage ou le labeur et vivaient nus. Pas vraiment une surprise tant le triptyque empeste le sacrilège. None à tête de porc, harpe avec humain empalé, crapaud noir tatoué sur Ève, palais en dards et en têtes de crustacés géants, le tout mis en scène au cœur de ce que l’on peut considérer comme le plus grand sitting naturiste du seizième siècle… Ce qui est étonnant, c’est que l’église n’ait pas fait de Bosch du bois d’allumage pour un bon vieux supplice par le feu.
Au contact du maître, le mal prend vie. Un héritage salvateur, qui a innervé les travaux de tous ses contemporains, de Goya, à Ernst en passant par Dali ou plus récemment Mœbius. Mais aussi et surtout, de la scène Metal. Cinq siècles après sa disparition, le mouvement, qui répond toujours présent lorsqu’il s’agit de passer l’humanité sur le grill, est encore complètement sous l’emprise du maître. Quels impacts les représentations boschiennes de supplices ou de plaisirs coupables ont-elles eu sur les Thrasheux et les fans de Death ? Pourquoi ses œuvres continuent-elles de faire d’incroyables pochettes d’albums. Jérôme Bosch est-il le premier métalleux de l’histoire ?
Nos réponses en cinq entrées. De l’enfer.
Jérôme Bosch a signé des pochettes pour Celtic Frost et Divine Eve
Des artworks signés post-mortem certes, mais tout de même. Initiée pour la première fois par Deep Purple en 1969 pour leur troisième album éponyme, l’utilisation des œuvres du maître en guise de covers est aujourd’hui complètement hégémonique et rayonne sur toutes les déclinaisons du genre, du Grind, au Doom en passant par le Black Metal. Un groupe russe de Death-prog se nomme d’ailleurs Hieronymus Bosch. “L’Enfer” a été utilisé par trois groupes différents – Nazarene Deceiver, Sheol et Vermiform – pour la même pochette. L’ensemble d’un des panneaux ou certains détails du Jardin des Délices – source intarissable d’influences – sont régulièrement utilisés pour des artworks : le groupe de Grindcore italien Male Misandria, les suisses de Celtic Frost pour Into The Pandemonium, les Singapouriens de Mutation pour Malignant existence ou les Texans de Divine Eve pour As the Angels Weep. Croyez-le ou non, la liste s’allonge chaque année.
Jérôme Bosch aurait pu signer la pochette de Reign in Blood
À droite, la pochette de Reign in Blood de Slayer, signée Larry Carrol et inspirée de “L’Enfer” de Bosch. Def Jam refusa la distribution de l’album, qui revint alors à Geffen. En 2006, cet artwork polémique fut classé dans le top 10 des meilleures covers de heavy metal de tous les temps par Blender Magazine.
Mais aussi celle de South of Heaven. En fait à l’époque, Slayer voulait “un bouc sur la pochette”. C’est du moins la consigne qu’auraient fait passer les membres du groupe à leur producteur Rick Rubin à l’illustrateur Larry Carroll. Inspiré, Carroll s’est alors délicieusement laissé corrompre par “L’Enfer”, le panneau droit du triptyque du Jardin des Délices, pour signer l’artwork de cet album culte. Toujours dans ce même esprit boschien – tendance inferno –, l’artiste a signé les covers de South of Heaven, Seasons in the Abyss ou le très cool Christ Illusion, censuré en Inde.
Promenez-vous dans le jardin des Délices… Avec Buckethead
Grâce à Bosch VR il est désormais de se promener en 3D dans le Jardin des Délices. L’application lancée et placée dans un casque de réalité virtuelle, permet une visite in situ du Jardin, à cheval sur un poisson géant. Pour la version Métal hurlant de la balade, suivez plutôt le guitariste Buckethead, dont ce clip est lui aussi, entièrement tournée dans le jardin de Délices. Mais interdit aux épileptiques.
Horreur et chimères se transmettent, tranquille, de maître à élève
L’élève le plus talentueux de l’école de Hieronymus est sans doute H.R. Giger. Le créateur d’Alien invoquait lui aussi le fantastique, à l’aide du même procédé très simple utilisé par son maître cinq siècles plus tôt : en créant des chimères. Des hybrides, composées en général de deux éléments biologiques basiques, mais très éloignés voire complètement antonymes. Ainsi Bosch fait parader dans ses œuvres – et notamment le jardin des délices –, un bestiaire ultra-décadent : un prête avec une tête d’échassier, un félin avec des yeux de chouettes, un chevalier avec une queue de poisson. Plus les entités associées sont paradoxales et improbables, plus la créature est flippante. Malin, le petit Giger avait très bien pigé le stratagème : pour créer sa créature du Xénomorphe, le suisse a substitué une tête humaine par un sexe en érection. Adulé par la scène Métal au même titre que Bosch, Giger a d’ailleurs réalisé de nombreuses pochettes d’albums, de Celtic Frost à Carcass, Triptykon et même le pied de micro de JDevil, le chanteur de Korn.
Du Chef-d’œuvre de l’humanité au cauchemar du branding
Voilà ce que Dr Martens à fait au maître il y a deux ans. Le vrai cauchemar, selon Jérôme Bosch.
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