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Jérôme Champagne nous présente son programme pour rendre la FIFA de nouveau crédible

Jérôme Champagne a longtemps bourlingué sur les routes de ce monde. Un temps journaliste à France Football, il a ensuite endossé le costume de diplomate pendant 15 ans, avant d’intégrer les rangs de la FIFA où il a été viré par les pontes actuellement tourmentés par les scandales. Las de sa vie sur le « vieux continent », il est depuis 6 ans le conseiller de clubs (TP Mazembe) et de fédérations nationales (Palestine, Kosovo, Chypre).

En somme, Jérôme Champagne est un « citoyen du monde » comme il aime tant se décrire. Un baroudeur, certes, mais au service de la politique du football dont il cerne dans cette interview les enjeux diplomatiques cruciaux. A charge de revanche, le Français espère pouvoir déboucher sa bouteille de champagne le 26 février 2015, en raflant la présidence de la FIFA.

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VICE Sports : Être candidat à la présidence de la FIFA, ça veut dire quoi pour vous ?
Jérôme Champagne : Être candidat, c’est prendre une décision personnelle et familiale difficile, parce que c’est accepter de devenir un personnage public. C’est prendre des responsabilités très lourdes. C’est aussi, accepter, dans la situation actuelle, de beaucoup travailler pour reconstruire la crédibilité de la FIFA.

C’est aussi, avoir des convictions fortes sur ce que doit être le football, sur ce qu’il est capable de jouer. Quand on voit le monde d’aujourd’hui, aussi divisé, aussi injuste, aussi violent, où nous sommes tous séparés dans nos différentes cases, en fonction des passeports, des religions, nous n’avons pas beaucoup d’autres véhicules que le football pour nous permettre de communier comme à l’occasion de la Coupe du Monde.

Être candidat, ce n’est pas tout simplement être un homme politique ?
Il y a deux acceptions du mot politique. La première c’est : que souhaitons-nous faire de la FIFA ? Voulons-nous un football qui peut devenir comme le basketball, centré sur un seul pays, où il n’y a qu’une seule compétition qui soit réellement importante ? Ou alors, souhaitons-nous que le football soit dans le respect des différences, donnant sa chance aux « David » contre les « Goliath ». La FIFA est-elle simplement organisatrice de la Coupe du Monde, ou le véritable gouvernement du football ? Voici la définition du mot « politique ».

Mais votre question, elle, est plus dans l’acception du mot politique comme politicien. Bien évidemment, je ne vis pas dans le monde des bisounours. Il y a évidemment un réseau et des connexions à avoir. Mais, il faut toujours faire attention à ce que seule la politique prime et non le « politicien ».

Le monde du football est pourtant agité par la politique politicienne. Quelle est votre réaction au regard des récents scandales que le monde du football a vécu, avec notamment la suspension de Michel Platini et de Sepp Blatter le 21 décembre 2015 ?
D’abord, il faut voir que ce n’est pas la première crise que la FIFA a vécue pendant ses 112 années d’existence (la FIFA a été créée en 1904, ndlr). Pendant trois ans – de 1918 à 1921 – elle n’a pas eu de Président. Elle était au bord de la faillite en 1929 après le krach boursier. Elle a été énormément tiraillée du fait de la Seconde Guerre mondiale.

De plus, sous l’autorité de grands leaders africains, comme Sekou Touré de République de Guinée, Kwame Nkrumah du Ghana, ou Julius Nyerere de la Tanzanie, les fédérations africaines ont boycotté la Coupe du Monde 1966 en Angleterre, parce qu’elles ont estimé ne pas avoir été correctement traitées.

La FIFA a également vécu une grave crise en 2001, pendant 6 mois, lorsque les deux partenaires économiques – ISL et Kirsch – ont été en faillite. Elle aurait pu déjà mourir à cette époque-là.

Aujourd’hui, la FIFA traverse une crise qui est assez paradoxale. Ses dernières compétitions ont été des succès. Les finances sont bonnes puisque la FIFA a 1,5 milliard de dollars de réserve. En revanche, il y a une crise de crédibilité qui affecte la capacité de la FIFA à gouverner. Le cœur du problème vient de deux confédérations : la COMMEBOL (confédération sud-américaine de football) et la CONCACAF (confédération d’Amérique du Nord, d’Amérique Centrale et des Caraïbes de football). Les confédérations jouent un grand rôle mais ne sont pas membres de la FIFA. C’est une crise grave, mais qui peut être à mon sens salutaire.

Vous évoquez le mot crédibilité à plusieurs reprises. Mais un rapport d’octobre 2015 de l’agence danoise Play the Game, juge la FIFA comme l’une des meilleures fédérations internationales sportives en matière de gouvernance. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Tout le monde parle de la FIFA mais, comme je l’ai dit, le paradoxe vient du fait que l’institution est composée de 209 fédérations nationales. Son gouvernement est lui-même gouverné par des confédérations qui ne sont pas membres de la FIFA – 23 des 25 membres du comité exécutif appartiennent à ces confédérations. Le paradoxe est structurel. C’est comme si dans un pays, le peuple élit le Président de la République, mais celui-ci ne peut nommer son propre gouvernement. A la FIFA, le Président est en cohabitation permanente.

En revanche, nous avons des statuts standards et des codes électoraux pour les fédérations. La FIFA est par ailleurs, la seule structure à avoir un comité d’éthique aussi puissant, comme nous l’avons vu précédemment. L’UEFA, elle, n’a pas de comité d’éthique. Cette crise est certes sévère, mais je pense qu’il y a des fondamentaux solides pour reconstruire la FIFA.

Le problème n’est-il pas l’autonomie du sport, principe sacralisé par le Comité International Olympique (CIO) ?
Cette autonomie, est-elle véritablement appliquée ? Prenons l’exemple des Jeux Olympiques. Ce que l’on regarde au final, ce sont les tableaux des médailles. Le message subliminal de ceci est finalement de constater quel pays est le plus fort et implicitement, quel régime politique est le plus fort. On voit bien que le sport a toujours été un outil de l’expression nationale. La personne clé de l’attribution de la Coupe du monde en Uruguay qui s’est déroulée en 1930 est l’ambassadeur d’Uruguay en Europe – Enrique Buero. L’Uruguay, petit Etat coincé entre le Brésil et l’Argentine, a besoin d’exister sur la carte. Moi je n’ai pas de problème avec ça. Que veut dire l’autonomie du sport à partir du moment où on a besoin des gouvernements pour obtenir leur aide dans la construction des stades ?

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Cette autonomie existe-t-elle vraiment dans les faits ?
Attendez, dans le même temps, le sport souffre. Au Pérou, à la fin des années 1980, le gouvernement péruvien a licencié tous les professeurs d’éducation physique dans les écoles publiques pour des raisons économiques. A l’autre extrême, vous voyez bien que le sport est utilisé pour justifier des régimes politiques (la Coupe du Monde 1934 en Italie, ou encore la Coupe du Monde 1978 en Argentine qui était au service de l’image du régime militaire de Videla, ndlr). Il faut une véritable autonomie. Lorsque j’étais à la FIFA, nous avons suspendu des fédérations car le ministre du Sport voulait mettre ses copains à la tête des fédérations.

Et c’est toujours le cas dans de nombreux pays.
Effectivement. Le défi de l’autonomie, c’est de reconnaître que le sport a une dimension politique.

Mais il faut à tout prix éviter sa dimension politicienne.
Tout à fait.

Votre discours est, on le voit, marqué par le curseur géopolitique. Quels sont les problèmes que vous avez clairement identifiés en matière de développement et de lutte contre les déséquilibres du football dans le monde ?
Le football s’est globalisé. Ça a entraîné une croissance des inégalités. Près d’1% des fédérations et des ligues détiennent toutes les richesses. La Fédération française par exemple a un budget annuel de 237 millions d’euros. Néanmoins, plus de la moitié des fédérations nationales survivent avec moins de deux millions de dollars (1,85 million d’euros, ndlr) par an. Les 20 clubs les plus riches au monde ont un chiffre d’affaires cumulé de 6,2 milliards d’euros.

A 200 mètres de chez moi à Zürich, il y a une aire de jeux avec six terrains de bonne qualité. Ça représente autant de terrains que dans la République Démocratique du Congo (RDC) où 80 millions d’habitants vivent. Ça, c’est la réalité. L’écart entre l’Europe et les autres continents s’accroît, même s’il y a plus d’argent dans le football africain et sud-américain qu’auparavant. Ces deux continents continuent d’être des fournisseurs en “matière première footballistique”, dont la valorisation est accaparée par les clubs d’Europe de l’Ouest. Les ligues européennes revendent par la suite les droits télé en Afrique ou en Amérique du Sud, pour que les gens puissent regarder jouer les joueurs issus de leur propre pays ! C’est un ordre économique que certains pourraient qualifier de “quasi néocolonial”. La ligue anglaise vend ses droits télé 40 milliards par an à l’Inde mais ne réinvestit rien dans le football indien.

Maintenant que les rideaux de fer sont tombés, à l’intérieur du continent européen, un club serbe ne peut plus gagner la coupe d’Europe. Tout cela est dû aux conséquences de l’arrêt Bosman et des mécanismes de redistribution de l’argent qui favorisent toujours les plus grands. Au niveau national, c’est encore pire. En France, le PSG possède à la trêve 19 points d’avance. Qui est réellement champion de France ? Le club qui termine premier ou second ?

Ces questions sont aujourd’hui centrales. L’intérêt du football, c’est l’aléa sportif ! C’est la compétitivité ! La ligue anglaise qui est la plus capitaliste au monde est celle qui redistribue l’argent de la manière la plus solidaire aux clubs de son championnat, d’où son attractivité !

Comment souhaitez-vous y remédier ?
D’abord, il faut reconnaître le problème. Vous remarquerez que je suis le seul candidat à mettre le doigt sur ces dysfonctionnements depuis des années. Si je suis élu, je lancerai un groupe de travail avec les représentants des plus riches, comme des plus pauvres. Nous analyserons de manière quantitative ces déséquilibres. Et à partir de là, nous proposerons des réformes.

Je suis convaincu qu’il faut augmenter les programmes de développement. Je veux créer 400 pelouses en 4 ans. Je veux créer du transfert de savoir-faire. Après 15 ans où la FIFA a fait beaucoup pour structurer les fédérations, la FIFA doit maintenant aider celles-ci à développer ses championnats. C’est le défi des 15 prochaines années, j’en suis convaincu.

Le cheikh Salman a annoncé sur son site Internet qu’il ne prendrait pas l’initiative de remettre en question l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022 même si la corruption était avérée. Quelle est votre position à ce sujet ?
2018, il est hors de question de retirer l’attribution à la Russie. Pourquoi ? La Fédération de Russie est devenue membre de la FIFA en 1912, à l’époque tsariste. Le football soviétique et russe a apporté beaucoup au football mondial. Par ailleurs, à partir du moment où l’on ramène la Coupe du monde en Europe, il est normal que son attribution soit diversifiée. C’est une question de justice et de respect envers l’histoire du football soviétique et russe.

Concernant le Qatar, je tiens à préciser que j’aime profondément la culture du Golfe où j’ai été diplomate, précisément en Oman. N’oubliez pas qu’un pays comme le Maroc s’est présenté 4 fois pour pouvoir accueillir la Coupe du Monde sans jamais l’obtenir. Donc je le dis ici et avec force, c’est bien d’amener la Coupe du monde dans le monde arabe.

Maintenant, il y a deux enquêtes. Mais, le principe de la présomption d’innocence doit bénéficier aussi aux Qataris. Laissons faire les enquêtes et nous verrons par la suite. Pour le moment, la Coupe du Monde va au Qatar.

Vous avez été membre de la FIFA, tout comme les quatre autres candidats. Qu’est-ce qui vous différencie des autres ?
C’est difficile de parler de ça. Je suis un citoyen du monde. J’ai travaillé dans un journal de foot. J’ai fait partie du comité pour l’organisation du mondial 1998. Je me suis fait virer de la FIFA par des personnes qui sont aujourd’hui toutes suspendues : Jérôme Valcke, Michel Platini, Monsieur Bin Hammam.

Je suis quelqu’un de bien placé pour savoir ce que l’on peut et ce que l’on doit garder. Mais aussi, pour savoir ce que l’on doit changer. J’ai un pied dedans et un pied dehors. Je ne suis lié à aucun groupe d’intérêt. J’ai cette expérience du plus haut niveau. J’ai été testé par la crise de 2001 que j’évoquais tout à l’heure. Ce n’est pas la même chose d’être à la FIFA que de gérer une fédération internationale et c’est une différence.

Certains de mes concurrents disent que “je serais président non exécutif, ce seront des experts externes qui vont gérer la FIFA”. J’aime le foot. J’y vais pour travailler. Je suis candidat à la présidence de celle qui va pour travailler, pas à la présidence d’honneur.

Vous n’êtes pas effrayé par l’ampleur du boulot qu’il vous reste à accomplir si toutefois vous êtes élu ?
Non. Je me sens préparé par mon histoire personnelle. Je suis juste excité à l’idée de commencer à travailler le 27 février 2016.