Dans un embouteillage au Caire, au fond d’un lit d’hôpital de Beyrouth ou à la terrasse d’un café d’Alger, ils sont de plus en plus nombreux à sortir leurs crayons pour raconter leur quotidien en dessins et en bulles. « On peut parler d’une nouvelle bande dessinée arabe », s’enthousiasme Thomas Gabison. Éditeur chez Actes Sud, il a passé plus d’une année à recenser les jeunes talents panarabes et à sélectionner ceux qui figurent dans Short 2.0, une anthologie publiée à l’occasion du festival d’Angoulême qui, justement, fait la part belle au 9 e art venu du monde arabe. « Tous les auteurs réunis ici sont jeunes et issus d’un terreau social, politique et surtout artistique qui confère une âme à leurs histoires. Loin de tout exotisme, cette jeunesse s’exprime avec beaucoup de style », poursuit l’éditeur.
« Notre liberté de ton est absolue, puisque nous avons le contrôle total de nos projets » – Raphaëlle Macaron, dessinatrice libanaise.
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Dès les années soixante, des artistes syriens, tunisiens ou libanais ont cherché une « image arabe ». D’ailleurs, ces jeunes dessinateurs ne cherchent pas à rompre avec cet héritage. Au contraire, assure l’illustratrice algérienne Rym Mokhtari : « nous sommes justement les premiers à leur rendre hommage, à conforter l’idée patrimoniale, et même filiale, d’une grande histoire de la bande dessinée arabe ».
Reste que c’est malgré tout la culture du « Do-it-yourself » qui caractérise la BD arabe contemporaine : « « la BD n’est pas venue à moi, j’ai dû aller la chercher. Je dessine depuis que je suis enfant mais ce n’est qu’une fois adulte que j’ai découvert que la bande dessinée pouvait être un métier », raconte Raphaëlle Macaron, dessinatrice libanaise. Car dans le monde arabe, la chaîne de la BD est très peu développée. On compte une poignée d’éditeurs et encore moins de librairies spécialisées. Alors, « pour faire circuler nos projets entre les deux rives de la Méditerranée, on remplit nos valises, on lance des appels sur Facebook pour savoir qui de nos proches va à Paris avec de la place dans ses bagages », sourit Raphaëlle Macaron.
« La BD arabe a une forte tendance à parler de société et de politique » – Thomas Gabison, éditeur
De l’élaboration des planches à leur impression, en passant par la diffusion et la promotion, les auteurs font donc tout eux-mêmes. Une situation coûteuse en énergie mais qui explique, peut-être, l’incroyable créativité de la BD arabe : « notre liberté de ton est absolue, puisque nous avons le contrôle total de nos projets », glisse Raphaëlle Macaron, qui ajoute, l’air de rien : « ce qui ne serait évidemment pas le cas dans une grosse maison d’édition ».
Totalement libre, la BD arabe ne s’interdit donc rien. Manifestations, grèves dans les services publics, galères de shit ou de taxi, pression policière et familiale : elle questionne sans complexe tous les carcans sociaux. « La BD arabe a une forte tendance à parler de société et de politique », résume l’éditeur Thomas Gabison. Quitte à braver des gouvernements ultra-répressifs. La revue Samandal, dont Raphaëlle Macaron fait partie, est ainsi régulièrement traînée en justice par les autorités : « on s’est vu infliger une amende de près de 6 000 euros. Ou, à défaut de paiement, une peine de deux ans et neuf mois de prison ». Mais il en faudra plus pour leur faire raccrocher les crayons car, comme l’assure la jeune dessinatrice : « depuis les printemps arabes, toute une génération de créatifs a émergé. Et elle a besoin de s’exprimer ! ». À nous, de savoir l’écouter.
Short, la nouvelle bande dessinée arabe, collectif, Actes Sud BD, 240 pages.
45ème festival international de la Bande Dessinée d’Angoulême, du 25 janvier au 28 janvier 2018