Ça fait un bail que certaines personnes dénoncent l’appropriation culturelle, ou du moins s’en plaignent. On utilise ce terme pour dénoncer la façon dont un groupe dominant de la société emprunte certains éléments culturels à des groupes opprimés sans tenir compte de leur contexte ou même le connaître, et surtout, sans leur en donner le crédit — au sens propre ou figuré – tout en gagnant de l'argent là-dessus et en se faisant passer pour woke. D’autres boudent en revanche le fait que la discussion revienne toujours sur la table, principalement parce que ça les emmerde qu’on les traite de racistes juste parce qu’elles ont acheté une nappe « avec un imprimé exotique ». Et puis, il y en a aussi qui s’en tapent complet, mais si c’est votre cas, ce n'est probablement pas votre culture que les autres s’approprient.
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En mars 2021, on avait organisé une discussion sur l'appropriation culturelle des esthétiques noires dans le monde de la musique et la mode en collaboration avec le Beursschouwburg à Bruxelles et Black History Month Belgium. Début mai, on a remis ça avec le Beursschouwburg, cette fois avec la Belgian Pride, au sujet de l'appropriation culturelle des esthétiques queer. L'artiste pop Bryn (il/lui) et la performeuse drag et fondatrice de Bénédiction Juriji Der Klee (elle) sont venu·es au studio. Le mannequin, DJ et fondateur de ROYALE Amari Bouzin (il/lui) et moi-même (il/lui) avons rejoint en visio la conversation animée par Rachael Moore (elle). Rachael est elle-même activiste queer et travaille à la Belgian Pride. Elle est également la cofondatrice de Rainbow Nation, une organisation qui a pour but de créer un espace safe pour les personnes queer de couleur, de Bruxelles et d’ailleurs. Visionnez la conversation ici :La signification du terme « queer » n’est pas toujours très claire, même pour les personnes LGBTQIA+. C’était un terme autrefois utilisé comme une insulte – ça veut dire « bizarre », en gros –, mais il a été ensuite réapproprié par les personnes LGBTQIA+ de manière positive. Tout le monde n'aime pas ce terme pour autant. En mettant les personnes queer dans le même panier, on perd de vue le caractère unique de chacune de nos identités. De plus, en utilisant un mot comme « queer », on risque d’invisibiliser les personnes queer de l’acronyme qui bénéficient déjà de moins de visibilité. Cela dit, ce terme « queer » permet aussi une certaine fluidité pour les personnes LGBTQIA+, qui peuvent évoluer avec les différents spectres de la sexualité et de l'identité de genre, sans avoir à passer « officiellement » d'une case spécifique à une autre.
Au fait, qu’est-ce qu’on entend par culture queer ?
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Juriji a du mal avec le terme « queer » pour une autre raison encore. Elle raconte qu'un jour, au supermarché, l’aubergine bio qu’elle tenait a déclenché chez elle une réflexion : « Tu peux coller ce label bio sur n'importe quoi, quel que soit le faible pourcentage d'ingrédients biologiques dans tes produits. Je ressens la même chose à propos de l'étiquette "queer". À long terme, tu ne sais plus ce que ça signifie, et peut-être que ce n'est pas une si mauvaise chose ; mais ça rend le débat difficile parce que t’es peut-être juste en train de parler d'autre chose, en fait. » (Si vous voulez voir une partie du talk à ce sujet, l’histoire de l'aubergine de Juriji commence environ à 1:10:22. Ça vaut de l’or.). Pour Rachael, cette évolution et ce changement sémantique sont bons à prendre. « Il n'y a pas de mal à ce que “queer” ait une signification différente selon les gens, dit-elle. Par exemple, ma queerness est liée au fait que je sois noire, et signifie donc quelque chose de différent pour les Blanc·hes. » De même qu'il n'y a pas une seule culture noire, il y a autant de cultures que de communautés LGBTQIA+, et ce nombre est extensible à l'infini. Les gens évoluent, tout comme la langue ; c’est aussi pour ça qu’on utilise le « + » dans l'acronyme. Les différentes communautés peuvent partager certaines caractéristiques, sans pour autant être les mêmes. Parce que le mot « queer » peut dire tellement de choses différentes et qu’on ne sait pas exactement d'où nous vient la sauce, c’est important de mettre en lumière son histoire personnelle avant tout. Pour Bryn, les comédies musicales ont eu un grosse influence ; notamment High School Musical et Camp Rock, dans lesquels il pouvait s'identifier aux « theater kids » – des modèles pour de nombreuses identités queer. Mais le premier artiste queer que Bryn a vraiment suivi avec passion, c’est Troye Sivan : « C’était le premier mec gay à faire de la musique gay ; il chantait ouvertement sur ses relations avec les hommes et mettait des acteurs masculins dans ses clips. Jusque-là, je ne savais pas que tout ça était possible ! » Évidemment, la « queerness », c’est bien plus que la sexualité. C'est aussi l'identité de genre, à la fois dans l'apparence et dans le son. Pour moi, Everything But The Girl, avec non seulement la voix mais aussi le style androgyne de la chanteuse Tracey Thorn, a été une première révélation dans ce domaine. La voix flottait entre le masculin et le féminin, chaude et pourtant aiguë. Sur la pochette de leur album-compil Like The Deserts Miss The Rain, Tracey et son partenaire Ben Watt regardent droit dans l'objectif, en tenant la porte ouverte. C'était mon introduction au son pop électro qui explorait les frontières du genre.
Qu'est-ce que la culture queer dans la musique ?
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Dans le domaine musical, c’est encore le plus souvent à un style esthétique que « queer » est associé. « Au début de ma transition, j'ai été très inspirée par Annie Lennox et David Bowie », lance Juriji à ce sujet. « Des artistes comme Madonna et Michael Jackson avaient aussi une sorte d'énergie du “troisième genre" qui me plaisait beaucoup, ce qui m'a fait comprendre que le genre n'est pas binaire, ou en tout cas, ne devrait pas l’être. » Rachael trouve sexy la non-conformité des genres de ces artistes. Ça ne laisse pas indifférent de se voir représenté·e par ce genre d’artistes dans la musique. L'importance de la représentation devient d’autant plus évidente dans des genres musicaux dont on pense qu’ils ne nous conviennent pas en raison de notre queerness. Des artistes comme Zebra Katz, Kevin Abstract et Frank Ocean ont clairement prouvé que le hip-hop et les styles qui en sont dérivés pouvaient aussi être représentés avec succès par des artistes queer. Enfant, Amari faisait du skate et écoutait surtout du Syd (The Internet) et du Frank Ocean. En grandissant, il a commencé à chercher des artistes trans auxquel·les il pouvait s'identifier. Tosh Basco ou boychild, par exemple, ont pour lui été de grandes sources d'inspiration au niveau de l'image des hommes trans et de leur corps. « En ce moment, il y a des artistes queer comme Lil Nas X qui m’inspirent, notamment pour la façon dont iels intègrent leur propre histoire queer. », ajoute-t-il.
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Alors c’est quoi, l'appropriation culturelle des cultures queer ?
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Le rôle des médias
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Quid du rôle des personnes queer dans l'appropriation culturelle ?
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