skate fille paris
Jeanne Duval (gauche) et Alix Malnati sur la place de la République à Paris. (Photo de Yedihael Canat)
Sports

On a discuté avec des filles qui skatent

Veillant entre autres à échapper au rôle d'argument marketing​ pour grandes marques, de plus en plus de filles skatent​ à Paris ou ailleurs.

Si pendant des années des filles ont skaté, il semblerait qu'il ait fallu attendre le fin de la deuxième décennie du millénaire pour qu'on commence enfin à les prendre au sérieux. Veillant entre autres à échapper au rôle d'argument marketing pour grandes marques qui n'ont pas grand chose à voir avec la mayonnaise, de plus en plus de filles skatent à Paris ou ailleurs. Pour comprendre comment elles s'y sont mis et comment elles naviguent dans ce milieu, on a passé quelques coups de fils à des skateuses de diverses générations pour causer grand-mères à République, skateparks au Mozambique et opés com' foireuses.

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Nour de Bary, 17 ans

Comment est-ce que tu as commencé à skater ?
Je n’ai jamais vraiment commencé. J’en ai toujours fait. En fait, mon père s’est mis à skater l’année de ma naissance avant que ma mère accouche. Il faisait du slalom à l’ancienne avec d’autres pères de famille au Trocadero. Tu vois les mecs qui foncent entre des petits cônes oranges ? Du coup, dès la maternelle je skatais avec lui, je faisais ça. Je fonçais entre les petits cônes. Puis je me suis mis au street avec des potes. Au début, on cherchait des spots dans la rue, comme de vrais OG. Un jour, on nous a expliqué qu’il y avait des skate-parks dans Paris, ce qui m’a permis de rencontrer d’autres gens. Tout ça pour te dire, que ce qui était une activité familiale est devenue un truc de potes.

Tu skatais uniquement avec des mecs ?
Oui, mais je ne me posais pas du tout la question. Ce sont plutôt les garçons qui me la posaient. On me faisait souvent la réflexion « Mais t’es une meuf et tu fais du skate ? » De toute façon quand j’étais plus jeune, je n’avais pas de potes filles. Puis au fil du temps, j’ai rencontré d’autres filles qui skataient, notamment dans des compétitions.

Ça te plait les compétitions ?
Je me suis essayée un peu aux compétitions quand j’étais plus jeune, vers la fin du collège, mais je n’ai pas tout accroché. Quand tu fais des compétitions, et que tu rentres dans le circuit de la fédé, on attend de toi que tu produises. Je devais faire une vidéo, aller à tel spot, essayer de mettre un trick, alors que ce n’était pas vraiment de mon niveau. Ça m’a bloqué, donc je n’ai pas persévéré dans cette ligne, les Jeux Olympiques et compagnie.

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« Des mecs qui mettent plus de tricks que moi viennent parfois me voir et me demandent pourquoi eux, ils ne sont pas sponso. En général, je leur dis de bouger leur cul »

Quand tu arrives sur un spot, tu te mets la pression ?
Oui, depuis que je suis petite. Ça ne m’empêche pas de skater non plus, mais je pense au regard des autres quand même. Dernièrement, je me suis justement rendue compte qu’on ne regarde pas les skateuses comme les skateurs. Mais même moi je développe ce sentiment, alors que je suis une fille. Forcément, vu qu’il y a généralement peu de filles sur un spot, ça se remarque. Donc ça peut mettre une pression supplémentaire. Parfois au park, tu vois des filles qui n’osent pas se lancer. Il faut vraiment qu’elles soient avec leurs meilleures potes pour y’aller, alors que chez les mecs tu ne vois jamais ça, sauf chez les vrais timides.

Le fait que tu sois sponsorisée malgré ton jeune âge, ça crée des jalousies ?
Je n’ai pas encore un niveau très élevé, mais pourtant je suis sponsorisée. Du coup, des mecs qui mettent plus de tricks que moi viennent parfois me voir et me demandent pourquoi eux, ils ne sont pas sponso. En général, je leur dis de bouger leur cul. Ce n’est pas parce que t’as un compte Instagram avec trois vidéos de skate que les sponsors vont te tomber dessus. Il faut rencontrer du monde, et surtout bouger de ton spot. Instagram, c’est super – c’est un peu le LinkedIn des gens qui ne sont pas comptables – mais tu ne peux pas te reposer dessus. Il faut rencontrer des gens. Dans la vraie vie.

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Qu’est-ce qui te plait dans le skate ?
Principalement l’aspect créatif du truc. À l’école, je suis dans une filière axée art, et je m’intéresse pas mal au design. En ce moment, je travaille un peu sur de la sape. Ce qui m’inspire par exemple, c’est un parcours comme celui de Nora Vasconcellos, qui fait des collections de sapes et dessine ses propres pro-model sans pour autant skater comme une machine de compétition.

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Alix Malnati, 19 ans, skate depuis 5 ans

Comment est-ce que tu as commencé à skater ?
Ce n’est pas bien clair, mais en gros mon cousin avait un skate, ça m’intriguait. Puis un Noël, j’ai eu un skate et j’ai accroché. Je faisais pas mal d’autres activités, mais je n’aimais pas les restrictions qui allaient avec. Dès que j’avais envie de skater, j’y allais. Il n’y avait pas besoin d’aller au Conservatoire ou à l’école de musique à des horaires strictes.

Ça a été compliqué de faire comprendre à tes parents que le skate allait prendre une place importante dans ta vie ?
À la base, ils n’étaient pas trop fans à l’idée que je fasse du skate. Je suis leur seule fille, et on considère le skate souvent comme une activité de garçons. Du coup, pour leur montrer que ça n’allait pas me passer, et que c’était un truc vraiment concret, je me suis mise à faire des compétitions. Je me disais que faire des compétitions et des résultats allait m’aider à faire comprendre aux gens autour de moi – qui ne connaissent rien au skate – que c’était sérieux. J’ai fait ça pendant un an et demi, j’allais sur des compets, sur les championnats de France… Mais je me suis vite aperçue que je n’y étais pas à l’aise. J’étais super stressée, mais je me disais que cette sensation finirait par passer avec le temps. Mais non. Pendant un championnat de France, je me suis blessée en arrivant, du coup j’ai assistée à la compétition en retrait et j’ai compris que les gens avaient une vision du skate assez éloignée de la mienne. J’ai alors arrêté.

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Comment es-tu quand tu arrives sur un nouveau spot ?
Ça a quelque peu évolué au fil du temps. Au début j’étais assez timide. Mais comme je progressai assez vite, et qu’à cette époque j’aimais bien être au centre de l’attention, j’essayai de poser un gros trick en arrivant. Je voulais montrer ce que je savais faire. Puis cela s’est estompé avec le temps, si bien que j’ai un peu oublié le regard des autres. Forcément, vu que je suis une fille, il y a toujours des regards vu qu’il y a 90 pout cent de mecs sur les spots. Mais je ne me suis jamais sentie dénigrée par rapport à ça, je n’ai jamais senti que c’était un frein.

« Les filles dans le skate en France sont très girl power, en organisant des événements uniquement réservés aux filles. Personnellement, je n’y ai jamais trop adhéré »

Dans un podcast, tu expliquais avoir eu de mauvaises expériences avec des marques qui veulent s’appuyer sur l’image du skate. Comment tu vis que le skate soit récupéré par des marques mainstream ?
Être contactée par ces marques et accepter de collaborer avec elles, c’était aussi un moyen de montrer à mon entourage que le skate c’était sérieux pour moi. Mais dans le même temps, ça peut faire baisser ma crédibilité par rapport au monde du skate. Au début, j’acceptais sans vraiment réfléchir comme ce plan pour Zadig & Voltaire dont il est question dans le podcast. On était dans la rue pour distribuer des échantillons de parfums avec des t-shirts « Girls can do anything ». On s’obligeait à skater. J’avais peur de croiser des potes. Je me suis sentie comme un objet plus qu’une personne. C’est un truc qui m’a marqué. Puis, on reçoit ce type de requête uniquement parce qu’on est des filles. Mes potes mecs ne reçoivent jamais des trucs pareils. Pour eux, ce sont de vrais marques de skate qui les contactent.

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Quel regard portes-tu sur les filles qui skatent en France ?
Je suis assez extérieure à tout ça. Les filles dans le skate en France sont très girl power, en organisant des événements uniquement réservés aux filles. Personnellement, je n’y ai jamais trop adhéré. C’est super si cela permet d’aider des filles à se lancer, mais ce qui me dérange ce que l’on appuie encore sur les différences entre filles et garçons. Moi ce qui m’a fait progresser, c’est d’avoir skaté avec des garçons. Je pense que c’est faisable de commencer avec des mecs. Puis, être dans un environnement exclusivement féminin, ça ne m’attire pas puisque cela revient à se restreindre.

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Jeanne Duval, 22 ans, skate depuis 10 ans

Comment est-ce que tu as commencé à skater ?
J’ai commencé à La Baule, d’où je viens. Je skatais avec une amie, avec qui on essayait de faire des petits ollies devant chez elle. C’était il y a 10 ans, et à l’époque ce n’était pas la même chose d’être une fille qui skate. C’était mal vu. Au début, honnêtement, c’était dur. Je n’ai pas eu une progression rapide, c’était long. Quand j’arrivais à faire ne serait-ce qu’un tout petit progrès, ça m’apportait une satisfaction personnelle qui me poussait à me donner encore plus. Après le lycée, j’ai déménagé à Nantes pour les études, et c’est là où j’ai commencé à avoir le soutien du shop local, et à skater de plus en plus, dans une ville qui a une bonne scène skate. C’est marrant parce que je ne me voyais pas vraiment persévérer dans le skate quand j’étais plus jeune. Je voyais ça comme un jeu, un amusement, qui allait me passer. Je ne me disais pas que je continuerai à en faire une fois « grande ». Mais en fait, je racontais que des conneries.

De plus en plus de filles skatent. Comment tu expliques ça ?
Je pense que les réseaux sociaux ont pas mal aidé. C’est un des points positifs d’Instagram. Le fait de voir des filles skater un peu de partout, comme la multiplication de comptes Insta de filles qui skatent, c’est encourageant pour celles qui veulent s’y mettre. Ça a vraiment fait bouger pas mal de choses.

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Quand on tape ton nom sur Internet, on tombe sur des listes d’Équipe de France. T’es toujours dans ce circuit ?
Non plus du tout. J’en ai fait partie pendant une petite année en 2017, et ça va faire trois ans que j’ai tout arrêté. On m’avait proposé ça suite à quelques championnats de France. Ils m’ont proposé ça quand j’arrêtais ma première année de médecine, du coup je me suis dis que je n’avais rien à perdre. J’ai fait des World Cup en Europe et au Canada. Je dois dire que je ne l’ai pas très bien vécu et je me suis assez vite rendue compte que cette ambiance ne correspondait pas à l’idée du skate que j’aimais. On était un peu contraints d’aborder le skate comme une activité athlétique – du sport quoi. Le skate a commencé a devenir une obligation à ce moment là, et j’ai vu que ça ne collait pas avec mon idée du skate. Ce que j’aime là-dedans, c’est la liberté.

Ça ressemble à quoi alors une année consacrée au skate ?
Depuis le début d’année 2019, je suis soutenue par Vans et Magenta – chose à quoi je ne m’attendais pas vraiment. J’ai beaucoup bougé cette année là, surtout en France, étant donné que je n’avais pas beaucoup de moyen financiers. Je me suis blessée à la cheville cet été, du coup j’ai travaillé dans un bar chez moi à Nantes. J’ai fait des projets vidéos avec Vans, Dickies, où le but était essentiellement de montrer mon univers et pas une performance. Je me suis reblessée à cette même cheville et ça a à nouveau changé mes plans. Une amie qui skate, Lisa Jacob, m’a proposé de partir avec elle au Mozambique, pour construire un skatepark avec une ONG. Du coup, j’ai passé un mois là-bas, à bosser et à partager le skate avec les enfants de la capitale, Maputo.

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T’arrives à vivre du skate ?
En vivre est un grand mot. Disons qu’aujourd’hui je fais simplement du skate, sans trop me poser de questions, je prends ce qui vient. Même si je n’ai rien de fixe, j’arrive à me débrouiller comme ça, et il n’y a rien de mieux que de vivre en faisant ce que tu aimes.

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Lisa Jacob, 33 ans skate depuis 18 ans

Comment est-ce que tu as commencé à skater ?
Quand j’étais petite, tous mes potes en faisaient, du coup je m’y étais mise jusqu’à ce que je me fasse piquer ma board en la laissant trainer. Je devais avoir 10 ans. J’ai un peu lâché l’affaire, mais il y avait toujours deux boards qui trainaient chez moi, parce que mes grandes soeurs avaient aussi un peu commencé à skater. Vers mes 15 ans, j'ai pris une de ces boards pour tenter de faire un ollie dans la rue. Je n'avais jamais réussi, alors que tous mes potes y arrivaient. Et là, ça a marché direct. Du coup, tous les jours, je sortais dans la rue en face de chez moi, et j’essayais de sauter le trottoir. Ça m’a pris un mois.

T’as commencé toute seule ?
Le premier mois, c’était une expérience assez solitaire. Puis je me suis mis à aller au skatepark à côté de chez moi, à Jouy-en-Josas. Et j’ai commencé à monter à Paris, où un type m’a dit « Hé mais je connais une fille qui skate, faut que tu la rencontres ! » Donc même pour une grande ville comme Paris, les filles qui skataient c’était assez rare. À l’époque, on se connaissait presque toutes dans toute la France. Y’en avait une à Bordeaux, deux à Marseille, une à Caen… Mais bon, ça ne me manquait pas de ne pas avoir de fille avec qui skater, je skate avec tout le monde.

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Quand est-ce que tu as compris que le skate allait avoir une place importante dans ta vie ?
Dès le début. Quand il pleuvait, je pleurais. C’était à ce point viscéral. Je savais que j’allais faire ça toute ma vie. C’était la première fois que je trouvais une activité qui me plaisait autant. Pourtant j’ai fait plein de trucs, du judo, du basket, de la guitare… Je faisais aussi du foot quand j’étais petite. Dans mon petit club, j’étais la seule fille, et ça ne me plaisait pas trop parce que les mecs ne me passaient jamais la balle – alors que je jouais mieux que certains. C’est triste à dire mais c’est comme ça. Puis, ma mère m’a inscrit au PSG dans une équipe de fille. C’était cool, on me passait le ballon, mais je n’accrochais pas avec ce fonctionnement très sectaire – tel âge avec tel âge, les filles avec les filles… Je préfère que tout se mélange. C’est une des raisons – parmi 1 000 autres – qui fait que j’aime autant le skate. J’ai autant de potes de 16 ans que de 45 ans.

« Parfois, tu te demandes si cette vidéo n’est pas partagée uniquement parce qu’il s’agit d’une fille… Il y a des filles qui font des trucs fous, et d’autres où tu demandes pourquoi ça tourne »

Avec la construction de skateparks à l’étranger, tu as vraiment fait du skate ta vie ?
Je fais ça à plein temps depuis trois ans, alors que tout ça est arrivé un peu par hasard. J’étais en voyage en Inde avec une amie, quand on nous a dit qu’une skateuse locale construisait un skatepark. On l’a rejoint pour trois semaines pour lui filer un coup de main. J’y ai rapidement pris goût. Puis quelques mois plus tard, j’ai entendu parler de l’ONG Make Life Skate Life qui montait un projet en Ethiopie. J’y suis allée. Et depuis j’enchaine. J’ai dû faire une quinzaine de pays – Angola, Népal, Brésil, Irak, Ethiopie, Mozambique… Je ne pensais vraiment pas pouvoir participer à ce type de projets, je ne pensais pas que des gens sans expérience puissent venir comme ça filer un coup de main aux pros. Maintenant je travaille avec les créateurs de Concrete Jungle Foundation et Wonders Around the World. En gros, des gens nous contactent en nous disant que leur gouvernement ne veut pas les aider à construire un skatepark. Nous on y va et on le construit avec les locaux pour transmettre des savoirs.

Comment tu vois l’évolution du skate chez les filles, toi qui baigne là-dedans depuis un moment ?
Ce qui me pose problème c’est que cela aurait dû se faire plus naturellement. Je ne comprends pas qu’il y a 20 ans, il n’y avait pas de filles qui skataient, et que tout le monde me regardait bizarrement. C’est grave à la mode maintenant – le fait même qu’on se parle là, cela prouve que quelque chose a changé. Pendant des années il y avait des filles qui sortaient des tas de vidéos et tout le monde s’en foutait – enfin, dans le monde extérieur au skate. Et là, tout le monde veut nous parler. Maintenant, dès que t’as une fille qui fait 10 secondes de skate sur Insta, c’est repris de partout – alors que ce n’est pas forcément du bon skate. Parfois, tu te demandes si cette vidéo n’est pas partagée uniquement parce qu’il s’agit d’une fille… Il y a des filles qui font des trucs fous, et d’autres où tu demandes pourquoi ça tourne. Du coup, c’est plus dérangeant. À mon époque, le skate, c’était juste un jouet. Ce n’était pas sérieux. Alors qu’aujourd’hui, tu as Nike ou Adidas qui sont là. Ils veulent des filles dans leur team, principalement pour des raisons marketing.

Ça ne t’a jamais trop plu cette idée que le skate devienne mainstream ?
Moi, ça me va que le skate devienne plus populaire, vu que je passe ma vie à faire en sorte que de plus en plus de gens ait accès au skate, en construisant des parks dans le monde entier. Ce qui me dérange en revanche, c'est qu'en devenant mainstream, le skate se fait récupérer à des fins commerciales par des gens qui sont extérieurs à ce monde et transmettent des valeurs qui n'ont rien à voir avec celles du skate. Quand les médias parlent de l'entrée du skate aux JO par exemple, on ne parle que de compétitivité, de hiérarchie, de structure, et d'asservissement à des règles ; et non d'épanouissement personnel, de liberté, de créativité, d'esthétique des mouvements ou encore d'utilisation de l'espace. Quand mon père me parle de skate parce qu’il a vu un truc à la télé et me dit « Mais il est nul lui, il tombe tout le temps », ça m’énerve. Le but n’est pas de gagner. Bref, tout ça pour te dire que ça a un peu perdu de son charme. J’espère juste qu’on ne deviendra pas comme le foot.

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