Société

Voler sa bouffe pour faire face à l'inflation

« Je ne le fais pas chez l’épicier du coin, je vais dans un gros supermarché qui se fait des marges de malade sur le dos des employés et des clients. Je ne ressens aucune honte ».
Justine  Reix
Paris, FR
Voler sa bouffe pour faire face à l'inflation
Gettyimages.

En troisième année de licence de droit à Panthéon Sorbonne, Adrien tente comme beaucoup d’étudiants de joindre les deux bouts en cette période de forte inflation. Depuis le début de l’année, sa bourse a diminué de 100 euros alors que les factures de sa collocation ne font qu’augmenter. Le jeune homme enchaîne les missions d’intérim le week-end, alors qu’il avait pris la décision de réduire au maximum ses emplois étudiants pour se consacrer sur son entrée en master.

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Économe, il a toujours compté à l’euro prêt pour éviter de se retrouver à découvert. Mais depuis septembre, Adrien ne parvient pas à ne pas terminer le mois sans être dans le rouge, une première pour lui. « J’ai vraiment ressenti l’augmentation des prix, c’était environ 5 euros de plus par courses et pour nos factures de gaz c’est encore pire, c’est 30 euros de plus chacun à payer. Ça peut ne pas sembler être beaucoup pour certains mais vu que je ne gagne quasiment rien et que mes charges fixes sont importantes, ça a tout compliqué ».

Ses parents étant dans l’incapacité de l’aider, Adrien s’est mis à oublier de plus en plus d’articles en caisse automatique lorsqu’il faisait ses courses. « J'ai commencé par ne plus passer les fruits et légumes et puis j'ai continué sur la viande et les pâtes, généralement, ce qui est cher et ce qui a augmenté ». Peu inquiet de ses petits larcins, Adrien gagne une cinquantaine d’euros par mois grâce à ces vols, qu’il pratique uniquement en caisse automatique et dans des grandes enseignes : « Je ne le fais pas chez l’épicier du coin, je vais dans un gros supermarché qui se fait des marges de malade sur le dos des employés et des clients. Je ne ressens aucune honte ».

Selon l’INSEE, l’inflation a fortement impacté le secteur de l’alimentaire passant de 7,9% à 9,9% en septembre, alors qu’il s’agit aujourd’hui du poste de dépense le plus important des ménages français représentant 11% de leur budget. Cette hausse constante sur l’année 2022 concerne les produits les plus appréciés et consommés des Français comme les fruits et légumes, le lait, les œufs, la viande ou encore le pain et les céréales.

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L’association des métiers de la sécurité (AMS), qui regroupe les métiers des agents de sécurité, répertorie les vols interceptés en France. Selon leurs derniers chiffres, les vols alimentaires auraient augmenté de 10% en 2022 comparé à l’année précédente. L’AMS a repéré deux types de vols en augmentation : celui comme Adrien où la personne oublie délibérément de passer un ou plusieurs articles une fois en caisse et le cas, plus classique, de personnes qui dissimulent des produits alimentaires dans un sac ou un vêtement prise en flagrant délit de vol.  

« C’est vraiment monsieur et madame tout le monde qui est concerné. On sent que les gens sont extrêmement tendus par l’augmentation des prix. »

Pour le président de l’association, Sofiane Aboubeker, les tensions se sont accentuées ces derniers mois avec l’arrivée de l’inflation, remarquées par les agents de sécurité sur le terrain : « C’est vraiment monsieur et madame tout le monde qui est concerné. On sent que les gens sont extrêmement tendus par l’augmentation des prix. Avant, c’était serré autour du 25 du mois, maintenant certains le sont dès qu’ils reçoivent leur salaire ».

S'il est évident que les Français ont aujourd’hui plus de difficulté à payer leurs courses, cette augmentation est difficilement vérifiable. La Fédération du commerce et de la distribution ne s’est pas intéressée au phénomène et il est encore trop tôt pour la plupart des grandes enseignes pour faire un bilan de cette année 2022. L’association des métiers de la sécurité affirme simplement compiler et collecter des données sur tout le territoire de la part des agents de sécurité, sans plus de détails. 

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Contactés sur le sujet, les grands magasins alimentaires n’ont pas été en capacité de répondre à nos questions, hormis Système U qui n’hésite pas à remettre en question ces chiffres. Thierry Desouches, responsable des relations extérieures de l’enseigne, y voit une manipulation : « Oui il y a des vols mais ça a toujours existé, qu’il y en ait un peu plus en ce moment, certainement aussi mais de là à dire que c’est 10% de façon uniforme sur l’ensemble du territoire, c’est un raccourci volontairement manipulateur pour qu’on ait encore plus recours à de la sécurité en magasin. »

Pour le spécialiste, ne pas faire de différence entre les types de commerces et les régions démontre le manque de fiabilité de ces chiffres. Et en effet le président de l’association n’hésite pas durant toutes ses intervention médiatiques à insister sur les augmentations des agressions et des tensions au sein des surfaces de distribution qui nécessiteraient plus d’agents de sécurité au quotidien.

Qu’ils passent ou non à l’acte de voler durant leurs courses, de nombreux Français ont des difficultés à boucler leur fin de mois depuis le début de l’inflation. Selon un sondage Elabe pour BFMTV, une large majorité des Français affirme subir de plein fouet la hausse des prix. 85 % d’entre eux estiment devoir « se serrer la ceinture » et se priver dans leurs achats, y compris alimentaires. Plus d’un tiers renonce à acheter certains produits alimentaires, un chiffre en nette augmentation comparé à 2021 (+ 13 points). Les ménages résidant en milieu rural sont plus impactés, en moyenne, que les habitants urbains et les catégorie sociales les plus pauvres comme les étudiants ou encore les retraités sont les plus dépendante de la hausse de l’alimentation.

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