Life

Le sexe quand on n’a pas de bras

« J'ai fini par apprendre que j’étais douée avec mes pieds et ma bouche. »
femme sans bras et un homme dans un lit
Illustration : Cathryn Virginia 

La plupart des gens comptent sur leurs mains pour les aider dans la vie de tous les jours. Il peut donc être difficile pour eux de comprendre comment vivent les personnes souffrant d’un handicap au niveau des membres supérieurs, qu’il s’agisse d’une absence partielle ou totale d’un membre, ou du développement atypique d'un ou des deux bras ou mains. Cette confusion se traduit parfois par une pitié non sollicitée et des questions déplacées. Et ces questions tournent souvent autour du sexe. Sans bras, comment serrer, caresser ou stimuler un partenaire ? Tous ces actes sont considérés comme essentiels dans l'intimité.

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Pour en savoir plus, nous avons récemment discuté avec Ali Lapper, une artiste née sans bras et avec des jambes plus courtes que la normale, et son partenaire Si Clift.

Ali : J'ai été placée dans un établissement de soins à plein temps dès l'âge de six ans. Là-bas, j’ai souvent entendu dire que les personnes handicapées n'ont pas de relations sexuelles parce que c'est dégoûtant. Certains professeurs et membres du personnel m'ont dit des choses comme : « Tu n'es pas belle. Tu n'es pas sexy. Personne ne va jamais t'aimer. » C’était un vrai lavage de cerveau et j’ai commencé à y croire. J’ai donc grandi en pensant que je n’aurais jamais de relations sexuelles. Puis j’ai pris conscience de ma sexualité.

Lorsque j'ai déménagé à Londres à 19 ans, j'ai réalisé que beaucoup de gens ne s'intéressaient à moi que pour ma différence, et non pas pour ma qualité d'être humain. C'est un fétichisme. Il y en a qui me trouvent et me contactent de nulle part en disant : « S'il te plaît, je veux te voir. Je peux toucher tes épaules ? »

Il y a aussi eu des hommes qui s'intéressaient à moi, puis, trois semaines plus tard, me disaient : « Je ne veux plus te voir. J'ai eu mon compte. » Ou : « J'étais juste curieux. » Certaines personnes peuvent être très sournoises. Je ne savais pas qui était sincère et qui ne l'était pas. J'ai commencé à penser que je n'aurais jamais de vraie relation.

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Mais j'ai fini par rencontrer quelqu’un avec qui je me sens bien. Nous avons pris le temps d'apprendre à nous connaître. Il ne me considérait pas comme son fétichisme. Pour ce qui est du sexe, j'ai juste suivi le courant. J'étais plus préoccupée par le fait que j'étais vierge que par le fait que j'étais handicapée. Et c'était bien. Je me souviens avoir pensé : « Bon sang, ça fait mal. Est-ce que ce sera toujours comme ça ? » Mais le sexe s'est amélioré, et j'ai commencé à m'y intéresser davantage.

Si : J'ai toujours côtoyé le handicap. Ma sœur est atteinte de spina bifida. J'avais des amis souffrant de handicaps à l'école. Et je ne les ai jamais vus comme étant différents. Il ne m'est même jamais venu à l'esprit qu'ils pouvaient être perçus différemment.

« Avec les positions, il a fallu s'arranger. Je ne peux pas me mettre en levrette, par exemple. Mais il y a toujours des moyens de contourner les choses » – Ali

Ali n'est pas ma première partenaire à souffrir de handicap. Mon ex-femme était atteinte du syndrome de Silver Russel et elle ne mesurait qu'un mètre cinquante.

Ali : J'ai connu Si parce qu’il est sorti avec une de mes amies pendant cinq ans. Nous allions aux mêmes fêtes. Je n’aurais jamais imaginé qu'il pouvait m'aimer. Puis ils se sont séparés et il a commencé à me parler sur Instagram. Je lui ai demandé : « Je te plais ? » Il m'a répondu : « Bien sûr que oui. »

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Si : C'était quelques mois après ma rupture.

Ali : Ce n’est pas vrai. Ne mens pas.

Si : C'était au moins huit semaines après.

Ali : Le premier rendez-vous. Tu t’en souviens ?

Si : Oh, oui. Elle m'a invité chez elle. Je pensais que c'était juste pour parler et prendre le thé.

Ali : Il est tellement vieux jeu. Je l'ai invité à venir au lit. J'avais l'impression de le connaître depuis longtemps parce qu'il entrait et sortait de ma vie depuis des années. Mais je suppose que si je ne lui avais pas dit quoi faire, il serait parti. J'ai pris sa main, je l'ai mise sous mon menton et j'ai dit : « Allez. » Je lui ai donné beaucoup d'ordres.

Si : Bien sûr, c’était ce que je voulais aussi.

Ali : Je lui ai dit : « J'ai besoin d'aide. Tu vas devoir me déshabiller. » Pour moi, ce genre de choses font partie d'une relation.

Si : Si elle ne m'avait pas dit quoi faire, je n'aurais pas su. Je ne voulais pas faire quelque chose qu'elle jugeait inacceptable.

Ali : J'ai appris que je dois montrer la voie. Certaines personnes ne savent même pas comment me saluer. Je dois donc prendre le contrôle et faire des blagues sur le fait de ne pas avoir de bras. Cela ne devrait probablement pas dépendre de moi, mais je veux que les gens se sentent à l'aise, parce qu’ils ont trop peur de m'offenser. Je ne sais pas pourquoi. Pourquoi à ton avis, Si ?

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Si : Tu sais quoi ? Je ne sais pas. De mon côté, je pense que c'était parce que je ne voulais pas que tu aies une mauvaise opinion de moi.

Ali : Les gens se demandent comment je compense – je déteste ce terme – pour donner du plaisir sans mes mains. Je n'ai jamais appris à utiliser le reste de mon corps de manière sexuelle, je me suis juste adaptée au fur et à mesure. Le sexe m’a toujours semblé être quelque chose d'intuitif. J’ai confiance en moi et je suis capable de dire quand j'aime ou n'aime pas quelque chose. J'ai fini par apprendre que j’étais douée avec mes pieds et ma bouche.

Si : Je peux en témoigner. Au début, je n'ai pas beaucoup réfléchi à ce que ses différences pourraient signifier sur le plan sexuel. C'est juste des choses que l'on découvre sur le tas.

Ali : Avec les positions, il a fallu s'arranger. Je ne peux pas me mettre en levrette, par exemple. Mais il y a toujours des moyens de contourner les choses. Il suffit d'utiliser des oreillers ou de se mettre sur le bord du lit. Si vous êtes à l'aise avec quelqu'un, découvrir ce genre de choses fait partie du sexe.

De toute évidence, je ne peux pas le serrer. D’entrée de jeu, je lui ai dit : « Écoute, si ce n'est pas confortable pour toi, ou si ce n'est pas ce que tu veux, tu peux partir. » Heureusement, il est resté.

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Si : J'adore tenir Ali dans mes bras, donc ça a parfaitement fonctionné pour moi.

Ali : J'ai eu des relations où les mecs commençaient à m’en vouloir de devoir m'aider pour des choses toutes bêtes, comme me gratter la tête. Un type m'aidait à prendre ma douche et à aller aux toilettes, et au bout d’un moment, il s'est rendu compte qu’il n’avait pas envie de faire ça. Alors, qu'est-ce que tu fous avec moi ? Mais j'ai vite découvert que Si était parfaitement à l'aise avec ces soins.

Si : Cela ne nuit pas au reste de notre relation, même si je t'aide à faire les choses les plus intimes.

Ali : En même temps, tu as côtoyé le handicap toute ta vie. Cela a probablement un rapport.

Si : Ce qui m’énerve, c'est quand des gens viennent me voir et me disent : « Dis donc, tu as vraiment du courage ! »

Ali : Pour m'avoir acceptée… Ma mère en est un bon exemple. Nous n’avons pas une bonne relation. Chaque fois que je suis sortie avec un mec et qu'elle l'a rencontré, elle lui a demandé, devant moi : « Qu'est-ce que tu trouves sexy chez Ali ? Comment peux-tu la trouver attirante ? » Ma propre mère.

Si : Ali a un beau visage et de beaux seins. C'est ma réponse.

Ali : Merci. C’est vrai que j'ai de beaux nichons. J'entends aussi des gens demander à Si : « Alors, comment vous faites l'amour ? »

Si : Je réponds : « Alors, ce qui se passe, c'est que tu as une érection. Tu baisses ton pantalon. Tu t'assures que ta partenaire est mouillée… » En général, ça les fait fuir.

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