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Interviews

Être opératrice de téléphone rose en 2016

Sarah passe ses journées à faire jouir des types situés à des centaines de kilomètres.

Sarah en compagnie de son joli téléphone fixe. Photo via Twitter

Si vous passiez vos nuits à regarder la télévision dans les années 1990, vous devez vous souvenir de ces publicités pour les téléphones roses. Passée une heure du matin, les chaînes ne diffusaient plus que des spots bien dégueulasses sur fond de musique lo-fi. Ces pubs étaient toutes composées selon un même modèle : une succession de séquences montrant une femme en maillot de bain ou dans de la lingerie murmurant : « Appelle-moi tout de suite, je suis seuuuuuuuule. »

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Bien avant l'époque des chat rooms et de Tinder, les moyens pour faire de nouvelles rencontres étaient plutôt rudimentaires – encore plus si vous ne vouliez pas vous séparer de votre combo sous-vêtements/canapé. De nombreuses entreprises sont donc parvenues à se faire de l'argent en incitant les gens à décrocher leur téléphone pour entamer une conversation cochonne avec un inconnu au prix de plusieurs dollars la minute.

Si l'heure de gloire de ces entreprises est passée, il existe encore un marché du téléphone rose. Sarah*, 32 ans, fait partie de ces voix qui font subsister l'industrie. Elle a installé son bureau dans sa maison, située à l'écart de Toledo dans l'Ohio. Elle passe d'innombrables heures à entretenir des relations sexuelles sous les traits de divers personnages – elle-même, des adolescentes à peine majeures, etc. – et parvient à provoquer des orgasmes en offrant un service personnalisé. Je l'ai rencontrée pour savoir qui peut bien payer pour un tel service à l'époque des webcams.

VICE : Bonjour Sarah. Comment vous êtes-vous retrouvée à faire ça ?
Sarah : Est-ce que vous vous souvenez de l'engouement autour de Second Life en 2006 ? J'y ai joué pendant quelques années. Comme je ne voulais pas dépenser trop d'argent, j'ai commencé à être une escort virtuelle. À cette époque, ils étaient en train de modifier le jeu. Ce n'était plus seulement une plateforme d'échanges écrits, on pouvait désormais parler. J'ai pu doubler mes revenus en prouvant que je n'étais pas un robot.

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Je me suis rendu compte que j'aimais être autoentrepreneuse. J'aime l'idée de gérer mon propre business. Je ne me faisais pas loin de 40 000 dollars par an grâce à ce jeu et j'ai fait ma crise de la quarantaine alors que j'avais seulement 29 ans. Je me suis dit : Hey, pourquoi ne pas essayer de monter ma propre affaire et voir ce que ça donne. Trois ans après la création de ma boîte, c'est toujours un peu mouvementé, mais c'est mon job à plein-temps.

Est-ce que ça marche bien ?
Objectivement, je gagne moins bien ma vie. Au cours des trois dernières années, j'ai réussi à me faire à peu près 43 000 dollars.

Qui sont vos principaux clients ?
Il y a un peu de tout. Des hommes d'un certain âge qui ont probablement grandi avec le téléphone rose et sont habitués au sexe par téléphone. Je vise ces mecs-là en priorité car ils ont de l'argent mais ne savent pas quoi en faire. Ils représentent au moins 50 % de ma clientèle.

S'agit-il de nouveaux clients ou d'habitués ?
Là aussi, ça dépend. Certains viennent pour dénicher de jolies filles, comme sur les sites porno. Ces gars-là représentent malheureusement une large partie de mes clients. C'est difficilement compréhensible vu qu'au téléphone, il n'est pas évident de savoir à quoi ressemble votre interlocuteur.

Après, je compte également beaucoup d'habitués – ils désirent me parler plus longuement, me rappellent souvent. L'un de mes clients préférés vient de Los Angeles. Il appelle une fois par semaine, voire deux. Sans vous mentir, on passe presque 45 minutes à parler de Game of Thrones, The Walking Dead – toutes les séries que l'on regarde ou les livres qu'on lit. Ça ressemble à un rencard mais à la fin on « baise » pendant 15 minutes. Il en a pour 60-70 dollars lorsqu'il appelle. Ce n'est pas négligeable pour moi.

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Comptez-vous des femmes parmi vos clients ?
Je me souviens d'une femme qui m'avait appelée mais ç'avait été très bizarre et très rapide. J'adore quand des couples m'appellent. Il y a une sorte d'énergie qui se déploie et c'est vraiment très chaud.

Pourquoi le téléphone rose existe-t-il encore de nos jours ?
Il y a tellement de porno accessible aujourd'hui vous savez. À mon sens, c'est trop froid et impersonnel. Vous ne recevez aucune attention à moins de donner beaucoup d'argent. Le sexe par téléphone est différent d'une webcam. On ne parle pas d'une fille assise devant son écran sur une chat room avec 500 mecs qui se branlent en même temps.

Murmurer à l'oreille de quelqu'un est beaucoup plus personnel. Les gars qui m'appellent sont à la recherche de cette attention particulière. Tout est mieux quand quelqu'un est présent pour vous écouter.

Le sexe par téléphone se fait en tête-à-tête. Il y a une véritable intimité qui se crée. Les limites imposées au boulot ou à la maison n'existent pas avec le téléphone rose. Tout ce que vous n'osez pas dire à votre femme, vous pouvez me le dire, même s'il s'agit de sucer une bonne grosse queue. Il n'y a aucun masque ni aucun tabou. C'est à la fois intriguant et très intéressant. Dans notre époque hyper connectée, je suis maladroite et introvertie et je ne sors pas beaucoup pour aller parler aux gens. Mais lorsque je suis au téléphone, je redeviens anonyme et je peux être plus libre.

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De plus, un grand nombre de mes clients sont « handicapés », d'une manière ou d'une autre. L'un de mes clients préférés est un type de Chicago. Nous parlons au moins pendant 30 minutes lorsqu'il m'appelle. Il rêve de sodomiser une femme mais ne pourra jamais le faire parce qu'il a une sclérose en plaques. Au téléphone, tout devient possible. C'est ce que j'apprécie le plus dans mon métier. Dans un sens, je peux dire que j'aide les gens.

Quelle est votre spécialité ?
Prétendre être leur petite amie ou une écolière. Ça m'arrive aussi de jouer à la dominatrice – c'est très en vogue en ce moment.

Quand j'ai maté votre page sur NiteFlirt, je suis tombée sur les spécialités suivantes : « pay pig » et « wallet rape » ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
La domination financière est un autre marché de niche. J'arrive à gagner 900 dollars en une heure. Ça démarre à 1,99 dollar la minute. Une fois que je suis sûre que le mec aime ça, je lui dis : « Je vais faire un test et voir si tu marches vraiment. Je vais raccrocher et je veux que tu me rappelles tout de suite. » Après avoir raccroché, j'augmente mes tarifs et il rappelle. Au début je double mes prix pour au final arriver à 50 dollars la minute. Et on parle pendant cinq minutes à ce prix-là. Si les gens ne savent pas quoi faire de leur argent et qu'ils veulent le balancer, je suis là.

À quoi ressemble un appel classique ?
Tout dépend des attentes du client et du scénario convenu. Personnellement, je fais très bien la jeune écolière à peine majeure. Je suis aussi spécialisée dans les jeux de rôle. J'ai déjà interprété Catwoman pendant une heure. Je ne suis pas une grande spécialiste de la question mais c'était apparemment suffisant pour être convaincante.

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Avez-vous déjà eu un orgasme pendant l'une de vos prestations ?
Oh oui ! Trois ou quatre fois par jour ! Ça fait deux ans que je n'ai pas baisé. Je ne sais pas vraiment comment gérer un rencard alors je laisse ça de côté pour le moment. Je préfère me concentrer et gagner de l'argent.

Votre métier a-t-il eu des répercussions sur votre amour-propre ?
Je suis ce que l'on appelle une femme « grosse » – je fais 108 kg pour 1m60. Ça me libère un peu quand je parle à des hommes. Je pense que tous les hommes ont des goûts différents en matière de morphologie.

Quelle a été la demande la plus étrange provenant de l'un de vos clients ?
Un type m'a appelée et m'a dit qu'il voulait être une dinde, mais pas n'importe laquelle : il voulait être mon dîner de Thanksgiving.

Et vous avez accepté ?
Oui, évidemment. Je ne cuisine pas donc j'ai dû me démerder comme je pouvais. Je lui ai dit que je le badigeonnais et que je lui mettais du beurre sur le corps.

Avez-vous reçu des demandes particulièrement dégueulasses ?
Tout le temps. Il y a beaucoup de gars qui sont assez perturbés mentalement. Quand un mec vous appelle pour vous demander d'être sa petite-fille de 12 ans, là vous dites non. C'est inquiétant parce que ça arrive assez souvent. Ces types représentent environ 10 % de mes appels. Ma vision de l'humanité est nécessairement faussée.

Au début vous pensez qu'il faut faire tout ce que le client demande parce que vous avez peur de recevoir des avis négatifs. Finalement, on s'en fout. Quelle est l'importance d'une critique négative au milieu de 50 positives ?

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Votre famille est-elle au courant de votre activité ?
Oui. Ils ne veulent pas connaître les détails, jusqu'où je suis prête à aller. Je suis un peu la brebis galeuse de la famille.

Une dernière question, parce que je suis curieuse : les gens vous appellent-ils de leur portable ou de leur fixe ?
Un peu des deux. Mais le nombre de personnes qui m'appellent sur haut-parleur depuis leur voiture est inquiétant. Ne vous branlez pas dans vos voitures. C'est mon conseil sécurité de la journée. Garez-vous avant d'appeler.

C'est noté, Sarah. Merci.

*Sarah n'est pas son vrai prénom.

Tiffy Thompson est sur Twitter.