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Culture

Voici pourquoi les hooligans russes effraient les Occidentaux

Ou comment la scène foot et baston de l'Europe post-communiste arrive à nous fasciner.

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Après les graves débordements qui ont eu lieu en marge de la rencontre Angleterre-Russie – pour rappel, des centaines de supporteurs se sont battus dans les rues de Marseille – l'heure est aujourd'hui aux constats. Du côté des autorités, on a tenté de faire bonne figure. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a précisé qu'il n'y avait pas eu de « sous-dimensionnement du dispositif de sécurité », tandis que le commissaire Antoine Boutonnet – responsable de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme – a rejeté en bloc les critiques. On a le droit de trouver ces déclarations un peu surprenantes tant elles semblent contredire les images que l'on a pu observer les 10 et 11 juin derniers. Dans tous les cas, on peut affirmer sans trop se mouiller qu'elles traduisent une méconnaissance du fonctionnement des hooligans venus d'Europe de l'Est à l'occasion de l'Euro 2016.

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Si, dans l'imaginaire collectif, le hooliganisme s'incarne à travers des mecs bourrés, bedonnants et sans véritable objectif, la réalité est bien différente. Contacté par VICE, Sébastien Louis, historien, affirme qu'il existait déjà des « actes de violence dans le sport » en URSS. « Le stade était le lieu de contestation du pouvoir en place », tient-il à préciser. Mais c'est surtout lors de la transition économique consécutive à la chute de l'Union soviétique que le hooliganisme a vraiment pris son envol en Europe de l'Est – favorisé par l'instabilité politique – au point de devenir une importante sous-culture.

Lors du match Angleterre-Russie, les hooligans russes ont « en partie violé leurs propres règles » – en particulier celles de la discrétion imposée et du nombre équitable de participants à une bagarre.

Samedi 11 juin, les supporteurs britanniques ont fait face à des groupes à l'organisation militaire, présents sur la Canebière dans le seul but d'en découdre. Sébastien Louis était à Marseille lors de ces événements. Il explique que « les Russes étaient parfaitement organisés, comme des commandos. Ils sont arrivés en ville la veille du match afin de repérer les lieux et de parfaitement quadriller la zone. » C'est d'ailleurs cette organisation qui a favorisé la fuite des Russes après la bagarre et a ainsi empêché toute interpellation dans leur camp.

« Il y a eu une préparation énorme », ajoute Robin Bjalon, spécialiste du football russe chez Footballski. « Ces mecs avaient en tête le plan des lieux, avec les issues les plus sures, celles permettant de rester en groupe. » Pour Ronan Evain, spécialiste des supporteurs russes interrogé par L'Equipe, ces derniers se préparent quotidiennement à la baston : « Ce sont des vrais, des durs. Des gens qui considèrent ça comme un sport. Ils sont très entraînés, très organisés […] Ils ont des vraies stratégies d'agression : samedi [11 juin], sur la route, certains sortaient de leurs voitures, se battaient vingt ou trente secondes et remontaient. C'est un commando. »

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En fouillant sur YouTube, il n'est pas très difficile d'en savoir plus sur la préparation de ces fameux « commandos ». De nombreux groupes de hooligans russes, ukrainiens, polonais – mais aussi serbes et croates – mettent en scène leurs entraînements. Dans des vidéos bien montées, où la masculinité est glorifiée à l'extrême, on observe plusieurs supporteurs bodybuildés s'affronter dans des combats qui ressemblent à du MMA.

En fait, il s'agit d'une simple mise en bouche avant le vrai combat – celui qui sera disputé dans un champ, sur un parking, ou dans tout autre lieu discret, loin des regards et surtout des policiers. Cinq contre cinq, dix contre dix voire cinquante contre cinquante, ces batailles rangées sont impressionnantes, mais aussi assujetties à plusieurs règles – interdiction d'utiliser un couteau, un poing américain, de frapper un homme au sol, etc. « En Russie, les bagarres n'ont plus lieu dans les stades, car la police est bien trop présente » analyse Robin Bjalon.

Sauf que lors du match Angleterre-Russie, les hooligans russes ont « en partie violé leurs propres règles » – en particulier celles de la discrétion imposée et du nombre équitable de participants à une bagarre. Il faut dire que la situation était assez différente d'une banale baston au pays. À Marseille, les Russes ont sans doute voulu tuer le père – dans les faits, montrer leur supériorité face aux « créateurs » du hooliganisme européen, à savoir les Anglais, qu'ils n'avaient pas manqué de provoquer au cours des semaines précédentes.

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« Les Russes s'attendaient à plus de résistance de la part des Anglais, selon Robin Bjalon. À les entendre, ils allaient affronter les maîtres en la matière. » Face à cette faiblesse supposée, de nombreux hooligans se sont complètement lâchés sur le Vieux-Port mais également dans l'enceinte du Stade Vélodrome. Au vu et au su de tous, les Russes se sont « imposés » – un comportement qui, selon Robin Bjalon, peut être mis en parallèle avec « la volonté de la Russie de revenir au premier rang sur la scène internationale ».

« Ils sont liés à l'extrême-droite, même s'il faut bien comprendre que dans ces pays-là, les critères ne sont pas les mêmes qu'en Europe de l'Ouest, où le nationalisme est souvent critiqué. » –– Robin Bjalon

Pourtant, la relation entre hools et politique poutinienne est plus que ténue. Pour Sébastien Louis, « le hooligan est constamment dans la contestation » – une contestation héritée de la période 1980/1990, où les stades servaient de lieu d'expression contre le régime en place. Et Sébastien Louis de poursuivre : « Les hooligans refusent bien souvent toute récupération politique » – et ce de quel côté que ce soit.

Cependant, selon certains spécialistes, il n'est pas non plus inexact de dire qu'une partie des hools d'aujourd'hui est très proche de l'extrême-droite russe. Pour Ludovic Lestrelin, sociologue interrogé par Ouest-France, les hooligans « ont des connexions avec des partis extrémistes de droite. » Il évoque également « leur fort nationalisme » et « leurs logiques quasi paramilitaires de confrontations très violentes, très dures, qui ne ressemblent pas au hooliganisme à l'anglaise ».

Robin Bjalon confirme et élargit cette approche à l'ensemble des supporteurs violents d'Europe de l'Est : « Ils sont liés à l'extrême-droite, même s'il faut bien comprendre que dans ces pays-là, les critères ne sont pas les mêmes qu'en Europe de l'Ouest, où le nationalisme est souvent critiqué. » Sébastien Louis ajoute que ces types n'hésitent pas à avoir recours à des symboles évoquant directement la puissance passé de ces pays : « Les hooligans russes reprennent l'imagerie de la grande Russie, la Russie impériale. Au Stade-Vélodrome, on a pu voir un drapeau impérial accroché pendant une bonne partie du match. »

Igor Lebedev, député de la Douma, a affirmé qu'il ne voyait rien de grave « dans une bagarre entre supporteurs ».

De l'importance de l'Histoire et de la grandeur de la Russie chez ces hools découle une incompréhension. Si la classe politique française a, à l'unisson, condamné la journée cauchemardesque à Marseille, ce n'est pas forcément le cas à Moscou. Sergueï Lavrov, ministre des Affaires Etrangères de Vladimir Poutine, a préféré critiquer « l'arrestation d'un autobus avec plus de quarante supporteurs russes par la police ». Plus virulent encore, Igor Lebedev, député de la Douma (la chambre basse du Parlement russe) a affirmé qu'il ne voyait rien de grave « dans une bagarre entre supporteurs ». Il n'a pas manqué d'encourager ses administrés à poursuivre la lutte en écrivant sur Twitter : « Bien joué, les gars. Continuez comme ça ! » Sébastien Louis explique ces déclarations par « la fierté des Russes », qui les rend incapables de condamner l'attitude de leurs supporteurs les plus violents.

Et finalement, où est le football dans tout ça ? Selon les spécialistes contactés dans le cadre de cet article, ces hooligans sont avant tout des passionnés. « Ils défendent l'honneur de leur club et de leur pays, ils savent qu'ils le représentent et ils sont fiers de cela », m'a affirmé Robin Bjalon. La seule différence avec un supporteur lambda, et elle est de taille, est le recours à la violence dans le cadre de cette passion.