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L'avenir de la drogue

Les jeunes et les chimistes. C'est eux qui font la culture de la drogue. Albert Hoffman et Bobby Gillespie. Walter White et Jesse Pinkman.

Les jeunes et les chimistes. C'est eux qui font la culture de la drogue. Albert Hoffman et Bobby Gillespie. Walter White et Jesse Pinkman. Ouais, l’avenir de la défonce repose sur ces génies et sur des petits branleurs. Tout se joue entre les kids et les chimistes. Et aussi sur une bande de dealers complètement tarés, c’est vrai.

On a tous compris que la culture populaire était dominée par une armée de blaireaux en chemises Arrow. On sait aussi que les filles se mettent plus facilement seins nus dans un jacuzzi contre la promesse d'un hashtag Twitter ou d'un follow back sur Tumblr qu’au milieu d’un groupe de catholiques intégristes. Pourtant, les jeunes restent le meilleur moyen de populariser et de diffuser de nouvelles drogues. Notre rapport à la drogue a toujours été largement influencé par l’image qu’en renvoyaient les médias, les glorifiant rarement et brandissant généralement le spectre de la violence, de la débauche et de la déchéance sociale. C’est la capacité de cette contre-culture à se sauver d’elle-même et à évoluer qui déterminera la qualité des drogues de synthèse qu’on absorbera dans les dix années à venir et qui décidera si nos vendredis soir vaudront la peine qu’on les attende fébrilement.

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Jon Savage, éminent historien de la pop, explique : « Je pense que le problème des contre-cultures, c’est qu’elles ont rencontré un énorme succès. Elles sont devenues un business tellement juteux que les grandes entreprises se les sont appropriées. » Auparavant, l'émergence d'une nouvelle drogue présageait souvent l'arrivée d'un nouveau mouvement culturel. Mais aujourd'hui, la musique n'est plus un truc qui participe à nos éveils chimiques. Internet a tout niqué et la musique est désormais partout. Vidée de sa puissance culturelle, elle n’est rien de plus qu’un service. Et les drogues ont suivi ce mouvement.

Savage se plaint que les drogues soient passées d'une activité expérimentale à une attitude purement consumériste. Après le contrecoup de l'ère Thatcher, on a confortablement enfilé les pantoufles du consumérisme, comme le montre, entre autres, notre rapport à la drogue. Désormais, la dope n'est plus un instrument qui incite à faire bouger les choses. Au contraire, comme beaucoup d'autres trucs, elle est tout simplement devenue un produit de consommation courante

Aujourd’hui, il y a une complaisance généralisée autour de la drogue. Tout le monde s'en branle. Les années 1960 et 1980 nous ont fait passer pour des criminels dangereux mais aujourd’hui, les drogues (en tout cas, celles qu’utilisent les classes moyennes) sont totalement banalisées. « Le truc le plus intéressant quand on prend de la drogue, explique Savage, c’est l’expérimentation, c’est quand leur but est de faire émerger une nouvelle culture. Malheureusement, cela arrive rarement. » Je me demande si une nouvelle culture va enfin finir par émerger un jour. Par contre, je vous en supplie : pas de dreadlocks.

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Cependant, certaines choses ne sont pas près de changer. Je veux évidemment parler des amphétamines (ou stimulants) et de l’alcool, duo classique en temps de crise : c’est pas cher et on en trouve de partout. C'est logique. Si vous buvez des putains de tonneaux de tise, vous avez évidemment besoin de stimulant pour tenir debout. Et quand on n’a pas de quoi acheter de la coke, le speed est la meilleure alternative. Mais l’avenir nous réserve des surprises. Drogues de synthèse, molécules inclassables, drogues légales, appelez ça comme vous voulez, tout le monde en parle mais on ne les trouve pas partout. Et ce n’est pas près de changer. Ces drogues vont continuer à évoluer petit à petit. Elles vont changer sans arrêt pour rester légales le plus longtemps possible, s’éloignant ainsi de plus en plus de la drogue illégale dont elles proviennent.

La méphédrone a eu son heure de gloire en 2008. Je suis sûr que vous vous en souvenez. Après avoir été interdite en Europe, ce qui a favorisé son déclin – puisque les médias ont fermé leur gueule et que les gens s'en sont désintéressés –, elle est revenue en force en 2012. Mais aujourd'hui, on ne la vend plus en pharmacie ; ce sont les dealers qui la vendent. L’époque bénie de 2009, où ses plaisirs étaient réservés aux étudiants est désormais définitivement terminée. Aujourd'hui la clientèle est composée de toxicos chevronnés et de mecs qui en abusent tous les jours.

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Fiona Measham, maître de conférences en criminologie à l'université de Lancaster et membre du Comité scientifique indépendant sur les drogues fondé par le professeur David Nutt, a travaillé pendant 15 ans sur les drogues récréatives. En Angleterre, tout le monde connaît le professeur Nutt ; c'est le type qui a été limogé par le gouvernement pour avoir dit que l'équitation était plus dangereuse que l'ecstasy. Fiona Measham m'a expliqué qu'au Pays de Galles, l’héroïne était tellement merdique que les héroïnomanes s’injectaient de la méphédrone.

Elle a ajouté qu’étant donné la facilité de s’en procurer, son coût relativement bas pour un excitant et la courte durée de ses effets, c’était bien mieux comme ça. Donnez-lui encore 10 ans et la méphédrone jouera dans la cour des grands — avec l'ecstasy, le LSD, la coke, la weed etc. Allez, la méphédrone, tu es sur la bonne voie.

La popularité de drogues comme la méphédrone ou la kétamine est symptomatique du style de vie effréné que l'on mène de nos jours. Qui a le temps de passer trois heures sous amphétamines ou de planer sous acide pendant huit heures ? On veut notre expérience psychédélique tout de suite, en une petite demi-heure, le temps d’une ligne de kétamine. On ne cherche plus à explorer quoi que ce soit, on veut juste frissonner un peu.

Même si leur réputation semble s'amplifier, les drogues de synthèse sont généralement perçues comme une version bâtarde des drogues récréatives. Elles ternissent la belle image que les consommateurs avaient passé des années à peaufiner. Elles flottent dans les eaux troubles de la semi-légalité et sont assez accessibles pour que les jeunes, les pauvres et les ploucs puissent en acheter. Et puis, comme le sait toute personne ayant déjà été réveillée par l’odeur de la pisse de chat, et par une douleur au niveau des parties génitales, le nez rempli de méphédrone, la descente est assez mauvaise.

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L'année prochaine – mais aussi la suivante – va s’ouvrir un nouveau chapitre dans la Grande Expérience des Drogues de Synthèse. Sur les forums de Bluelight, on s’excite déjà sur les futurs psychotropes à base de mescaline et on rejette le cannabis de synthèse que des kids ont sniffé pour la première fois l’année dernière et qui les a fait convulser. On reviendra peut-être à une consommation plus traditionnelle quand pointera 2022. Les drogues de synthèse vont stagner quand les drogués en auront marre de jouer avec leur santé et qu’ils ne voudront plus apprendre les nouveaux acronymes à la con qui apparaissent chaque semaine.

Une fois que cette génération se sera jetée dans l'inconnu, on verra peut-être une recrudescence des bonnes vieilles drogues à l'ancienne. Les gens font davantage confiance aux drogues que tout le monde prend. Et, avouons-le, quand on n'a aucune idée de ce qu'on est en train de se foutre dans le nez, si on entend quelqu'un dire que c’est de la coke, on est plus détendu que si on apprend qu’il s’agit de XT5GH3.

Et au fait, c'est quand la légalisation ? Ça va bien arriver un jour, non ? Malheureusement, j'en suis pas certain. Pas dans ce pays et pas dans les dix prochaines années. Alors que l'Espagne et le reste de l'Europe disposent déjà de leurs associations de fumeurs de weed, de leurs séminaires d’héroïnomanes, de leurs crèches de cokés et de tout un paquet de trucs comme ça, la France et l’Angleterre subissent toujours de plein fouet leurs héritages républicain et puritain. Au sud et à l’est, on est entourés de pays bien plus déconneurs que nous qui nous rappellent sans cesse qu’on devrait se détendre un peu. Et puis, le système actuel convient parfaitement aux criminels, à la police et aux gouvernements. Et pourtant, ce serait un monde merveilleux : la légalisation des drogues diminuerait leur prix et les risques tout en augmentant leur qualité. C’est ma vision du jardin d’Eden.

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Mike Jay, historien spécialiste des cultures et auteur de High Society Mind-Altering Drugs in History and Culture, imagine un marché où la weed serait une niche comparable à celle des connaisseurs de vins : « Je pense que dans un marché libre (légal et régulé), le cannabis engendrerait une niche d'experts – comme c'est déjà le cas avec les connaisseurs de marijuana californiens. Si ce commerce global venait à se légaliser, les produits dits « classiques » comme l'afghan ou le colombien seraient très prisés. Plus qu'un simple contrôle gouvernemental, les producteurs pourraient également créer des accords professionnels entre eux en instaurant des distinctions qualitatives pour les membres – telles que des certifications écologiques ou des « appellations contrôlées », ce qui se fait déjà pour les vins. »

Mais ça, c’est pas pour tout de suite. Le plus probable, c’est qu’on en reste là. Qu’on stagne dans ce flou total où personne ne voit plus les drogues comme une menace, sans qu’elles soient légales pour autant. Comme elle n'en a pas les moyens, la police n'a aucun intérêt à poursuivre les consommateurs de drogues récréatives. Tant que vous vous faites pas choper à l’aéroport après avoir bourré le cul de votre gamin de drogues, la plupart des gens s'en contrefoutent. Quoi qu'il en soit, ce sont toujours les dealers qui contrôlent ce marché – ces types produisent de la merde et se font un max de thunes pendant que votre corps délabré continue de s'effondrer sur lui-même.

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Jay a également spéculé sur la hausse d'un marché à deux vitesses, un truc qui sera sans doute familier à tous ceux qui passent leurs vendredis après-midi à supprimer les textos douteux qu'ils ont reçus de types chelou et à moitié analphabètes – et avec qui ils ont déjà eu rendez-vous d'ailleurs. « La plupart des drogues trouveraient leur place dans un marché à deux vitesses – d'un côté, on aurait les connaisseurs qui paieraient cher et, de l'autre, ceux qui achèteraient les trucs bas de gamme. L'excellence de ce qui se ferait en MDMA à un prix démentiel d'un côté et les petites pilules abordables de l'autre. La coke très clean mais très chère pour l'élite de la ville et le speed pas cher pour les classes populaires. De la bonne weed et du shit dégueulasse, selon vos moyens. C’est déjà ce qui se passe sur de nombreux marchés. Pensez à la différence entre Mac et PC. »

Mais qu'en est-il de ces dealers qui contrôlent les marchés de la drogue ? Figurez-vous que ceux qui les dominent ont changé. Les types qui braquaient des banques à l’ancienne et qui avaient du pouvoir dans les années 1980 ont disparu pour laisser place à des petits gangs assez jeunes qui n'en ont plus rien à foutre des lois – ils sont ultra-violents et n'ont absolument pas peur de dealer directement avec les cartels mexicains et la mafia russe.

« Ce qu’on note depuis le début des années 2000, explique Graham Johnson, journaliste et auteur de l'ouvrage The Cartel: The Inside Story of Britain's Biggest Drugs Gang, c'est que les cartels très hiérarchisés qui brassaient des millions sont de plus en plus souvent mis à mal par des gangs de jeunes aux dents longues lourdement armés. »

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« Ces gangs vont se mettre à la vente de drogues légales de synthèse » m'explique Johnson. « Les membres les plus jeunes de ces gangs connaissent bien le marché. Ils vendent les pilules dans les clubs et se rendent compte que les consommateurs achètent leur dose avant de venir. Pour eux, c’est une industrie partiellement légale, dans laquelle il est donc intéressant d’investir. Cette économie souterraine illégale va peu à peu investir dans ce marché légal. Les gangs vont rationaliser le marché et l’élargir. Ils enverront des chimistes en Chine parce que c’est là que la plupart de ces substances sont produites, et ils voudront contrôler la production. Ils ont les fonds nécessaires pour le faire. »

Les gangs anglais commencent à se développer en Thaïlande, lieu stratégique pour faire du business avec les gangs criminels de Chine et d’Extrême Orient – Ils produisent les drogues et se font des contacts sur la nouvelle plaque tournante du trafic international. L'idée est la suivante : abandonner les anciens hauts lieux de la drogue comme Amsterdam ou l'Espagne pour s’installer dans des villes en développement, où les opportunités sont plus grandes.

Ces criminels devraient également repenser leurs façons de livrer leurs cames aux clients. Grimper dans des bagnoles pourries remplies de voyous n'est pas la meilleure expérience de vente pour le consommateur. Ils auraient plutôt tout intérêt à se mettre au goût du jour – comme effectuer leurs livraisons en drone. C'est ça le XXIe siècle les mecs ! Imaginez un peu le ciel de Londres plein de drones. Ces petites machines viendraient déposer la dope juste devant votre porte, vous lui donneriez une petite tape amicale sur sa carlingue métallisée, vous lui donneriez les thunes et elle disparaîtrait dans le ciel brumeux. On n’aurait plus besoin de quitter notre doux foyer. Si seulement la société voulait bien se détendre et laisser le réseau de la drogue prendre son envol comme l’a fait la musique. Ce serait hyper bien. Plus besoin de croiser de dealers, jamais. Il suffirait de choisir ce que vous voulez dans le Top 10 et d’attendre la livraison.

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Si la police voulait vraiment faire quelque chose, elle intercepterait les narcotiques provenant d’Extrême-Orient et aurait recours à des méthodes de radio-identification. Au moins, elle pourrait pister la drogue pour de bon, puisqu'elle traverse tout l'Orient et finit sa course dans les chiottes des Européens.

Par contre, j'ai de mauvaises nouvelles pour ceux qui attendent le jour où une drogue digitale s’installera directement dans les cellules de leurs cerveaux, délivrant une sensation largement supérieure que n’importe laquelle des pilules. Ou ceux d'entre vous qui rêvent de drogues parfaitement adaptées à votre propre composition génétique. Ou encore de robots nanotechnologiques qui partagent votre corps et vous font sentir un peu les effets de la dope. Allez, oubliez tout ça. Ça, c'est encore les trucs qu'on trouvait dans les articles de Wired dans les années 1990 ou dans les romans de Neal Stephenson. C'est pas près d'arriver en 2022.

Gardez bien tout ça en tête dans le futur, à moins que vous ne préfériez prendre une drogue qui annulera les effets à long terme de celles que vous avez prises hier soir.

Illustration de Marta Parszeniew

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