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Les voleurs d’enfants roms ! (ne viendront pas kidnapper vos enfants)

Le « mystère de l’Ange Blond » grec a eu des répercussions en Irlande, où la peur des gipsies voleurs d’enfants a atteint un niveau hystérique : en effet, la police est allée enlever à deux familles roms différentes leurs enfants blonds. Sauf que dans...

Maria et le couple rom qui l’a élevée

Le « mystère de l’Ange Blond » grec a eu des répercussions en Irlande, où la peur des gipsies voleurs d’enfants a atteint un niveau qu’on pourrait qualifier d’hystérique : en effet, la police est allée enlever à deux familles roms différentes leurs enfants blonds. Sauf que dans les deux cas, c’est la police – et elle seule – qui a kidnappé des enfants, deux opérations venues couronner des années de haine anti-Roms que les hommes politiques – tout comme, parfois, les médias – ont perpétuée, plutôt que cherché à régler.

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La communauté rom est depuis longtemps le vilain petit canard de l’Europe. C’est la dernière minorité que des politiciens « respectables » peuvent encore ouvertement attaquer sans qu’on s’en offense plus que ça. En dépit du noir héritage des Porajmos – à savoir, l’extermination par les nazis de 1,5 million de gens du voyage au cours de la deuxième guerre mondiale, les violentes attaques contre les Roms et leur culture ne sont jamais devenus taboues en Europe.

Ce cycle spécifique de haine des Roms a commencé il y a environ deux semaines en Grèce, quand une petite blonde aux yeux bleus nommée Maria a été retrouvée chez des Roms qui n’étaient, de toute évidence, pas ses parents biologiques. En un instant, le mythe vieux de plusieurs siècles des gitans voleurs d’enfants retrouvait sa vigueur d’antan. Les parents d’enfants blonds disparus (notamment ceux de Maddie) se sont tous empressés de dire que cette affaire leur donnait un regain d’espoir de retrouver leur enfant chez les gipsies, à leur tour. Cette idée est aussi peu crédible que ce qu’on pensait des juifs il y a peu – à savoir, qu’ils utilisaient des enfants chrétiens pour les sacrifier à des fins rituelles –, mais que voulez-vous, les gens n’ont rien contre une bonne petite légende urbaine de temps en temps.

Il y a quatre jours, le mystère de l’ange blond a été résolu : il est apparu que la petite fille mystère était bien rom, elle aussi, mais de Bulgarie. Sa mère l’avait abandonnée à un couple de Roms car elle n’avait pas les moyens de la ramener en Bulgarie avec elle, et de l’élever. Cette nouvelle, qui devrait mettre un frein d’arrêt aux plus folles spéculations sur les Roms, n’aura probablement pas l’effet escompté en Europe. Cette histoire a d’ailleurs surgi juste après l’affaire Leonarda, en France. Du côté anglais, le Daily Mail a inquiété tout le monde en faisant tout un foin à propos de six – oui, vous lisez bien, six – sans-abri roms, déportés en Roumanie, et de retour en Angleterre.

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Chez moi, en Irlande, avec sa triste histoire de discriminations à l’encontre des Roms, l’affaire de l’Ange Blond a fait paniquer tout le monde et a donné lieu à 24 heures plutôt honteuses. Deux enfants gipsy ont été enlevés à leurs parents roms et retenus toute la nuit, jusqu’à ce que les analyses ADN le confirment : il s’agissait bien des enfants de leurs parents.

C’est à Paul Connolly, un journaliste de TV3, qu’on sait gré d’avoir appelé la police après qu’il a reçu un mystérieux message Facebook d’un inconnu l’avertissant : « Il y a aussi une petite fille qui vit dans une maison de Roms, à Tallaght, et elle est blonde avec des yeux bleus », avant de se lancer dans un exposé douteux relatant bon nombre de mythes sur la communauté rom. L’enquête frustrée d’une heure de Connolly, « Bogus Beggars », n’a pas réussi à établir de lien entre les gipsies et des réseaux de crime organisé et a été qualifiée de « lourdinguerie gênante qui jette la honte sur TV3 ». La police aurait peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de se jeter sur ce tuyau. Les parents ont eu beau produire un passeport et un certificat de naissance, les flics ont embarqué l’enfant (d’une façon intéressante, cette famille rom disposait de caméras de surveillance et avait recouvert toutes les fenêtres de plastique translucide, mais les médias internationaux n’ont pas daigné frapper à leur porte pour savoir quel genre d’attaques avaient pu mener à de telles mesures de sécurité).

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À Athlone, toujours en Irlande, un autre tuyau d’un « citoyen » a produit la même histoire : un jeune garçon de 2 ans ôté à sa famille et gardé toute la nuit pour subir des test ADN – encore une fois, ses cheveux et sa peau étaient plus pâles que le reste de sa famille.

La Roma Pride de Budapest, il y a deux semaines. Photo : Redjade

Le fait que les gens du voyage aient été les victimes de la barbarie nazie ne les place pas au-dessus de la critique, certes, mais il faudrait placer la barre un peu plus haut en ce qui concerne la façon dont la presse traite des minorités persécutées. Si le Irish Daily Star, rendons-lui hommage, a qualifié l’opération de police de « gros foirage » en Une de son journal, mercredi dernier – avant que la police ne rende l’enfant –, son équivalent anglais a sobrement titré : « On a retrouvé Maddie en Irlande. »

Malheureusement, ce qui s’est passé en Irlande la semaine dernière n’est pas le pire crime commis contre la communauté rom récemment. Il y a à peine deux mois, des ultra-nationalistes hongrois ont été emprisonnés pour une campagne longue de 14 mois qui visait à tuer le plus de familles roms possible, chez elles ; la plus jeune des victimes avait 5 ans. À Belfast, communistes et anarchistes ont dû monter la garde pour protéger des maisons roms, en 2009, quand des swastikas ont été peints sur les murs. Suite à des scènes d’une violence inouïe, 100 personnes ont été forcées de quitter la ville pour de bon.

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Avant de devoir se défendre des attaques de la police irlandaise, la Garda Siochana, les Roms défendaient leurs habitations en Hongrie de la Magyar Garda, des vigilantes d’extrême droite à qui j’ai eu affaire une fois, quand ils m’ont mis un coup de poing dans la tête après m’avoir pris pour un juif. Ils étaient bourrés. Chouettes gars. En Hongrie, les Roms se voient obligés d’assister à des manifestations juste en face de chez eux parce qu’ils seraient, apparemment, la cause de tous les problèmes de la société hongroise. C’est Jobbik qui le dit le mieux : ce mouvement d’extrême droite qui devraient se contenter de hurler ses slogans absurdes entre quatre murs capitonnés est en passe de devenir la deuxième force politique hongroise. Parlez à n’importe quel de ses partisans, et ils vous décriront avec force détails les crimes affreux commis par les Roms. Creusez un peu plus, et ils vous diront : « Je n’ai pas vu ça de mes propres yeux, mais c’est arrivé à un de mes amis qui… »

Des membres de Magyar Nemzeti Garda, une milice nationaliste hongroise. Photo : Brian Whelan

J’avais visité le village de Gyöngyöspata, en Hongrie, sous le contrôle de Jobbik, un peu plus tôt dans l’année, où des centaines de nationalistes en uniforme avaient agité des flambeaux lors d’une marche de protestation dans les rues non pavées du quartier rom. Aussi, j’avais remarqué qu’ils aimaient faire vrombir leurs motos des heures durant, et balancer des coups de poing énergiques quand les Roms tentaient de défendre la zone où ils vivaient depuis 600 ans. Au ban de la société, la population rom de Hongrie – qui s’élève à un million – connaît un taux de chômage six fois supérieur à la moyenne nationale. Rien de très étonnant à ce qu’ils partent s’établir en Espagne, au Canada ou en France, tout en sachant qu’il y ait très peu de chances qu’on les accueille à bras ouverts.

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Un activiste de Budapest m’a raconté la nuit dernière que les Européens ne captaient pas un truc : « Les Roms sont européens. Ils ont un état d’origine, ce sont des citoyens européens. Point. Et à moins qu’on ne les pousse à quitter leur foyer, ils ne sont pas nomades. Sérieux, votre yuppie de base est plus nomade que le Rom de base. Les deux semaines qui viennent de s’écouler en dit long sur l’Europe, et sur ces vieux tropes et mythes encore bien vivants et relayés à l’envi par les médias. »

J’ai vu où certains Roms atterrissaient en Angleterre. J’ai passé pas mal de temps à discuter, dans un anglais simplifié, dans un parc du centre de Londres où ils dorment, pendant qu’ils s’enfilaient, pour se nourrir, des sachets de sucre piqués dans des chaînes de cafés. Ce n’est pas une vie très glamour. Ce ne sont pas des gangs criminels sophistiqués. Ce sont des gens qui se battent pour avoir une vie meilleure.

Les Roms sont des voleurs, ils viennent dans votre pays pour voler vos profits, vos enfants, votre téléphone portable et renvoyer des millions dans leur pays d’origine, quand ils ne dépensent pas tout en Mercedes : ce genre de stéréotypes paresseux est en fait un racisme ouvert. Imaginez une seconde qu’une famille noire, en Grèce, ait été soupçonnée de kidnapping d’enfant, et que ce simple soupçon ait généré des enquêtes de police au sein de familles noires en Irlande. C’est ce qui s’est passé la semaine dernière, dans toute son absurdité.

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Des portraits de Charlie Chaplin sont exhibés par les manifestants lors de la Roma Pride de Budapest. Photo : Redjade

Charlie Chaplin était Rom. Il a aussi délivré l’appel le plus sincère et poignant contre le fascisme dans Le Dictateur, se désespérant : « Battons-nous pour un monde gouverné par la raison, un monde où la science et le progrès mèneront tous les hommes au bonheur. » C’est ça, la leçon qu’il faut tirer de l’histoire. Continuez à marginaliser les Roms, à les déshumaniser, et de sales choses continueront à leur arriver. Projetez un crime sur une ethnie entière, et vous tendrez une grosse perche aux fascistes en tout genre, et quand ils auront fini de battre les Roms avec, ils viendront vous chercher.

Suivez Brian sur Twitter : @brianwhelanhack

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