Culture

Joan Didion vue par son neveu

Griffin Dunne a observé Joan Didion pendant la majeure partie de sa vie. Avant d’être un acteur connu pour ses performances dans After Hours : Quelle nuit de galère et, plus récemment, dans la série I Love Dick, il est surtout le neveu d’une écrivaine idolâtrée par toute une génération pour sa prose. L’auteure de Slouching Towards Bethlehem a adouci l’enfance du réalisateur et lui a servi d’inspiration pour l’avenir.

Dunne retrace désormais la vie de sa tante dans Joan Didion : Le centre ne tiendra pas, projeté pour la première fois au festival du film de New York et disponible depuis la semaine dernière sur Netflix. Le film, qui a été financé via Kickstarter, est une analyse très complète de l’œuvre de Didion et de son impact, abordant ses débuts chez Vogue, ses reportages sur les sous-cultures des années 1960 et ses liens avec Hollywood (Harrison Ford était son menuisier). Il revient également sur sa relation avec son mari, John Gregory Dunne, et sa fille, Quintana Roo, dont la mort a été au centre de ses mémoires, L’Année de la pensée magique et Blue Nights.

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J’ai discuté avec Dunne au sujet de ses motivations et souvenirs personnels qui ont façonné son film.

VICE : Bonjour, Griffin. Lors de la collecte de fonds, avez-vous été surpris par les réactions que Joan a suscitées parmi ses fans ?
Griffin Dunne : Ce qui m’a poussé à demander à Joan la permission de faire ce film, c’est que je savais, d’instinct, qu’il y aurait un réel public pour ce projet. J’étais étonné que personne n’ait fait de documentaire à son sujet auparavant, mais j’ai quand même été époustouflé par le succès qu’a rencontré la bande-annonce à travers le monde entier. J’ai reçu des mails et des demandes de presse de tous les pays que vous pouvez imaginer. Je suis toujours impressionné par l’importance de Joan dans le monde.

Joan a écrit sur un éventail d’expériences humaines, y compris les siennes. En quoi cela a-t-il été utile pour vous ?
Les avantages étaient également des défis. J’avais la narration de toute l’histoire de sa vie rien qu’en lisant ses livres. À partir de là, comment faire pour que mon film ne soit pas qu’un simple livre audio pour les yeux ? J’ai essayé de mettre certains passages en contexte, de manière visuelle, selon ce qui se passait dans le monde à ce moment-là et où elle en était dans sa vie. J’ai aussi mis en parallèle ses écrits avec des interviews qu’elle avait données.

Quel était, selon vous, votre rôle dans la réalisation de ce documentaire ? Votre lien personnel vous a donné accès à Joan, mais à quel point vouliez-vous vous inclure ?
C’était un travail en progrès continuel. Ce que je ne voulais vraiment pas faire, c’était de reprendre sa prose et raconter une histoire avec des images sans jamais entendre mon point de vue. Ce n’est pas un secret, nous sommes liés. C’est pour ça qu’elle m’a donné la permission de faire le film – parce que nous sommes liés, et parce que je suis réalisateur. J’ai été témoin et acteur de plusieurs moments de sa vie, notamment les événements familiaux. Nos deux familles étaient incroyablement proches.

Mais tout cela ne se fait pas ressentir dans le film. Il y a un film que j’admire beaucoup, mais qui représente tout ce que je ne voulais pas faire, c’est My Architect. Ce n’est pas ma Joan ; c’est la Joan de tout le monde. J’ai senti que j’avais l’obligation et la responsabilité de montrer Joan telle quelle est – pas seulement la Joan que je connais, mais aussi la Joan qui a écrit toutes ces œuvres – afin de toucher des gens conscients de la qualité de son travail, de l’importance qu’il a eu à l’époque et de l’influence qu’il a exercée sur tant de personnes.

Y a-t-il eu des moments, pendant le tournage, où vous avez ressenti une certaine forme de possessivité, et où vous avez dû prendre du recul afin d’adopter une approche plus journalistique ?

Quand j’évoque la fête de Janis [Joplin]. J’avais 11 ans, et cette fête m’a laissé une énorme impression, à tel point qu’elle a été le sujet du tout premier film que j’ai réalisé. C’est quelque chose qui me tenait beaucoup à cœur, mais que j’ai dû abréger dans le processus éditorial.

Ce qui devait apparaître ou non à l’écran a commencé à se préciser au fur et à mesure que j’apprenais à connaître mon film. Ce qui m’a le plus posé problème a été de savoir si je devais aborder ou non ma première rencontre avec Joan.

Saviez-vous déjà tout à son sujet, ou avez-vous appris des choses dans votre processus de recherches ?
Sur le plan familial, j’ai toujours su que je parlerais du baptême de Quintana et de la fête de Janis. Dans la majorité de nos interviews, nous avons parlé des gens avec qui j’avais grandi – certains sont toujours là, d’autres ne le sont plus. La conversation est devenue si familière que nous avons oublié que les caméras tournaient.

Mais j’ai toujours su également que j’aborderais l’essai Goodbye to All That, qui parle du moment où vous êtes excité à l’idée d’arriver à New York, puis du moment où vous brûlez d’envie de partir. Ça me parle particulièrement. Je ne suis jamais parti. Il s’agit de sa trajectoire personnelle, de son enthousiasme, puis de son désenchantement. Cela concerne tellement de gens ; c’est l’une de ses œuvres les plus citées. Je pense que c’est pour cette raison qu’elle a pu écrire au sujet de la perte d’un mari, de la perte d’une fille, et de l’écrire comme elle l’éprouvait, pour comprendre ce qu’elle vivait, sans la moindre intention d’en faire quelque chose de profondément personnel.

L’une des scènes les plus marquantes du film est celle où David Hare parle de nourrir Joan pendant qu’ils travaillent sur la pièce de théâtre adaptée de L’année de la pensée magique. Pourquoi vous semblait-il important d’inclure l’inquiétude et les préoccupations de ses proches face à son poids à ce moment-là ? Avez-vous reçu un retour de sa part à ce sujet ?
Je n’ai jamais reçu de retour. Je lui ai montré chaque plan, bien avant de les montrer à un producteur. Je voulais qu’elle ait l’occasion de me dire, « OK, ce n’est pas ce que je veux », afin de le savoir tout de suite.

Son poids a toujours préoccupé ses amis. C’est un sujet sensible pour elle, parce qu’elle n’a jamais été très grosse, mais elle était particulièrement maigre pendant tout ce temps. Je pense que David ne parle pas seulement de la nourrir, mais de la ramener au monde grâce à un processus de collaboration – elle a assisté à chaque répétition et chaque représentation ; elle a aimé travailler et le travail l’a sauvée. Ça a été pour elle de la nourriture créative.

Comment avez-vous trouvé un équilibre entre les nombreux aspects de sa vie – son travail politique, son travail à Hollywood, son histoire personnelle ? Avez-vous pensé à faire quelque chose de moins global ?
Eh bien, j’espérais toucher un peu à tous ses livres, qu’ils soient fictionnels ou non, mais cela a abouti à une liste interminable. J’ai abordé ça un peu à la manière d’un album des « plus grands tubes ». J’ai choisi les travaux pour lesquels elle est la plus connue. Résultat, beaucoup de gens se sont précipités en librairie pour acheter les livres qu’ils n’avaient pas lus, à ma plus grande joie.

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