Une analyse de tous les jobs de merde que j’ai pratiqués

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Quand je bossais à la Poste il y a de ça quatre ans, je me souviens d’une discussion animée que j’ai eue avec un collègue de travail. Le mec était là depuis de longues années. Il me racontait chaque semaine ses virées aux putes durant le week-end, qui se résumaient toujours à peu de chose près, à la même rengaine. Sans foyer, sans vrais amis, il se tapait la route depuis Paris jusqu’à Bruxelles ou Amsterdam tous les vendredis pour se décalaminer le manche sur des prostituées. Si je lui avais demandé pour quoi il vivait, il m’aurait sûrement répondu pour les baises facturées et les matchs du PSG.

Il y a ceux qui ont leur voie bien tracée. Ils sortent de leur lycée de quartier et foncent droit sur leurs études dans un but précis : travailler dans le droit, la médecine, le commerce, le management ou l’éducation nationale. Et puis il y a ceux qui divaguent, qui ne trouvent pas, dans ce qu’on leur propose, un projet de futur. Ils rêvent d’autres horizons qu’ils n’atteindront jamais. Alors ils rôdent dans la vie active, de jobs en jobs. Ils sont parfois étudiants à mi-temps à la fac dans des départements obscurs et sans débouchés. Quand il n’y a aucun projet de vie concret, pas de futur, il vous reste toujours les jobs alimentaires.

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Je suis resté à la Poste pendant un bon moment. J’étais préposé au tri et on ne peut pas dire que ce soit un boulot franchement épanouissant. C’est ce que m’avait donné la boîte d’intérim quand je m’étais pointé dans leur bureau, la tronche enfarinée. Je sortais du lycée à l’époque, et tout le tintouin comme quoi « le travail et la carrière » c’est ce qu’il y a de plus respectable pour un bonhomme, j’en avais rien à cirer, comme beaucoup d’autres. C’est toujours le cas d’ailleurs. Sauf qu’à l’époque, je n’avais pas encore expérimenté et j’ouvrais ma gueule sans rien en savoir.

Je passais les heures de travail devant une espèce de machine géante qui faisait défiler des caisses pleines à craquer de courriers sur des tapis roulants. De là sortaient des rampes, tout autour, qui acheminaient le courrier jusqu’à des emplacements donnés en fonction des destinations, classées elles-mêmes par départements français. Mon taf, c’était d’attendre devant l’une de ces rampes, en binôme, et de remplir des chariots avec les caisses en fonction des destinations.

Quand ça arrivait, ça dégueulait par dizaines. C’était le marathon. Empiler des bacs de courriers les uns sur les autres, nouer les lanières, et ainsi de suite, pendant des heures. Cette tâche accomplie, il faut ensuite traîner tous les chariots triés devant de grandes portes coulissantes où viennent se garer les camions. Il y a des moments d’accalmie lors desquels on peut tranquillement causer avec le camarade et zieuter la belle et sainte horloge. Un tas de types bossaient là depuis vingt ou trente ans et s’étaient accommodés depuis longtemps à cette routine infernale.

Sérieux, comment peut-on passer sa vie à s’échiner à trier du courrier ?

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Là-bas, j’agissais un peu comme un sociologue. Je cherchais à comprendre les mecs, et je leur posais un tas de questions. Je m’intéressais à leur vie, j’écoutais ce qui se disait. Les gars qui avaient leurs postes fixes depuis des lustres étaient complètement résiliés. Mais on se marrait bien, malgré l’âpreté du travail.

Bien sûr, là-bas vous avez à disposition quelques bons gros clichés de base comme dans n’importe quelle société. Les mecs se pintent la tronche le soir pour oublier le taf et attendent les vacances. Pendant les temps de pause, des bandes de travailleurs se réunissaient dans des salles mises à leur disposition pour jouer aux cartes, et je fumais mes clopes, peinard, louant le bonheur des petits breaks de la journée. Il faut noter qu’il y a un véritable esprit de camaraderie, un côté bon enfant qu’on ne trouve pas dans d’autres milieux.

L’autre partie du job consistait à charger les camions. On m’a planté devant une porte où se dressait un bon paquet de ces chariots triés la veille par d’autres types. Je devais faire les dernières vérifications de destinations, au cas où il y aurait une connerie dans le lot. Quand le camion venait se planter, je le remplissais et en profitais pour fumer une clope avec le coursier qui allait se taper la route de nuit pour acheminer tout le courrier.

Voilà ce en quoi consistait mon travail de postier – agent de tri. Quand j’en ai eu ma claque, je suis passé à un autre job alimentaire.

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La vente, je crois bien que ça a été le pire pour moi, qui suis de nature plutôt misanthrope. C’est ce que j’ai compris en bossant dans une grande chaîne française de produits surgelés. La journée s’articulait, comme à la Poste, sur des tâches répétitives et abrutissantes. Dans un premier temps, on m’a formé pour jouer les caissiers. J’ai appris comment encaisser les gens selon les différents moyens de paiements en utilisant à bon escient toutes les options et raccourcis offerts par les machines. Pour passer le temps, j’essayais de voir ce qui était le plus consommé entre les petits pois surgelés et les haricots. Dans ma tête, je m’attelais à des jeux totalement débiles du genre, comme si grâce à ça la journée allait passer plus vite.

Puis tout en gérant la caisse, les connards comme les gens courtois, il fallait que je classe ce qui venait de la chambre froide dans les différents congélateurs du magasin : des caddies entiers. Il y avait toujours de quoi faire, en plus de guetter les vieilles qui tentaient de piquer du poisson pané. Les petites joies de la journée sont rares et on s’accommode : une jeune femme sexy qui passe à la caisse avec un grand sourire, par exemple. Alors on les attend. Y’a aussi des instants comme celui-là : un vieux qui débarque avec une grimace effroyable et qui vous demande du tac au tac, sans passer par quatre chemins, s’il peut aller chier dans les toilettes des employés.

Mais ce que j’ai le plus pratiqué, ça doit être le chantier. La première fois, on m’avait embauché comme câbleur en CDD alors que je n’y connaissais que dalle, moi avec mon bac littéraire. J’ai fait beaucoup de découpe de câbles et, en comptabilisant toutes mes missions, sans doute assez pour faire le tour du globe. Pendant des journées, dans un atelier, je tirais différents types de câbles – de l’audio, du vidéo, de la fibre – dans le but de les installer sur un chantier : sans arrêt, je devais tirer des kilomètres. Je bricolais aussi des connecteurs, j’installais du jack ou du vga, du rj45 au bout de câbles de toutes sortes. On m’enseignait perpétuellement des tâches nouvelles, souvent méticuleuses. Je devais savoir les faire à la perfection pour pouvoir les pratiquer sur commande, et seul. J’avoue que sur ce coup-là, j’ai dû apprendre un métier de A à Z. Et, de fait, c’était déjà plus intéressant qu’une grande partie de mes autres boulots.

Puis on m’a foutu sur le concret, le chantier. Avec une équipe de collègues, on passait des câbles entre les différentes parties d’un bâtiment qui serait, dans un futur proche, investi par une entreprise du secteur audiovisuel. Il fallait installer le câblage nécessaire à leur matos sonore et visuel, dans du faux plancher, de faux plafonds. Ça m’excitait au début, d’être l’ouvrier poussiéreux, outils à la taille, pinces et autres cutters, la tête dans un canal, à cinq mètres de hauteur, ou bien enfoui dans un sous-sol. J’étais content de sortir de l’atelier gris. L’ambiance était bonne et sur les longs chantiers, on se faisait vite amis avec les collègues : on partageait les repas, les cafés, les longues heures de boulot. On bossait parfois en dehors des codes du travail, cumulant un nombre d’heures incroyables dans une journée, lorsqu’il fallait à tout prix boucler le truc pour le client. C’est la réalité du bordel. Ce qui permet de tenir longtemps dans ce genre de taf, c’est la camaraderie prolétaire indiscutable et belle. Probablement.

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Tu te prends tout ça dans la tronche, l’intégration sociale avec la besogne et le blé : un vrai ramassis de conneries et de trucs infects qu’il faut supporter parce qu’on est bien obligé de bouffer et d’avoir un toit. On enchaîne les boulots ingrats sans lendemains, et il n’y aura jamais vraiment ce que l’on cherche, alors autant se le dire carrément. Ces jobs alimentaires se ressemblent tous dans leur annihilation de l’humain.

Et puis il y a ceux qui croient travailler avec plaisir, qui se sont collé ça dans leur crâne tellement fort que ç’en est devenu une évidence – mais c’est encore autre chose. J’ai le droit de dire que je n’ai pas envie de bosser et que j’en ai rien à cirer du respect du travail. Comme une espèce d’insatisfaction chronique qui pèse sur bon nombre d’entre nous devant la vie qu’on nous offre sur un plateau. Et je sais bien qu’il y en aura d’autres pour moi, dans le futur, de ces labeurs avilissants, de ces travaux forcés.