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El Pana, un des matadors les plus controversés de la tauromachie

Rodolfo Rodriguez s'était brisé les cervicales en recevant un coup de corne. Un mois plus tard, il décédait d'un arrêt cardiaque.
Photo by EPA

Il est suspendu deux mètres au-dessus du sol. Son corps, recroquevillé comme un vulgaire sac s'apprête à entamer une chute sans pitié. Ce sont les cornes d'un taureau qui l'ont envoyé dans cette position, taureau qui quelques moments plus tôt l'avait déjà frappé dans le plexus solaire.

On peut dire que le taureau a frappé deux personnalités. D'une part, un ancien alcoolique timide originaire d'Apizaco, au Mexique, appelé Rodolfo Rodriguez. D'autre part, El Pana, un matador excentrique qui se rendait à l'arène en carrosse tiré par des chevaux et qui distribuait des miches de pain à la foule. Dans ses beaux jours, El Pana pouvait remplir le Plaza Mexico, la plus grosse arène de corrida du monde.

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La frontière entre Rodriguez et le personnage qu'il a créé n'a pas toujours été claire. Rodriguez simplifiait souvent les choses en faisant référence à lui-même et El Pana par le ''nous'' collectif. Il avait toujours prévu qu'El Pana meure dans l'arène. Au lieu de ça, le 1er mai 2016, un taureau les a paralysés tous les deux et les a envoyés à l'hôpital. Le jeudi 2 juin, Rodolfo El Pana Rodriguez décédait d'un arrêt cardiaque à l'hôpital de Guadalajara.

El Pana rappelait l'âge d'or de la corrida, dans les années 1940. Il fumait des cigares, avait une fleur au revers de sa veste, et saluait les prostituées qui réchauffaient son cœur. « À mes débuts, a-t-il dit un jour, j'ai entendu dire que pour être un vrai torero il fallait traînasser, sentir le vin et les femmes. C'est resté gravé en moi. J'ai toujours eu des goûts de bohémiens, pour la danse et la vie sensuelle nocturne. »

Alors que la plupart des toreros prennent leur retraite vers le milieu de la quarantaine ou le début de la cinquantaine, El Pana, lui, était toujours dans l'arène à l'âge de 64 ans. Il se considérait comme le dernier torero romantique. Si l'on s'en tient à son concept machiste, il a sans doute raison. Mais la corrida est de plus en plus vue comme une tradition cruelle plus que romantique. Une majorité des Mexicains, 73%, ont voté le bannissement de cette pratique lors d'un scrutin en 2013. Ils étaient 57% deux ans plus tôt. En Espagne, où a également exercé occasionnellement El Pana, seulement 7% des Espagnols âgés de 16 à 24 ans approuvent la corrida. Et entre 2007 et 2014, le nombre de corridas dans le pays a chuté de 59%.

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Attention : Cette vidéo est violente.

Rodriguez est né en 1952 dans la petite ville industrielle d'Apizaco, à deux heures de Mexico. Son père, policier, a été assassiné lorsqu'il avait trois mois. Il a travaillé comme vendeur de moule à gelée, comme vendeur d'imperméable, et comme fossoyeur afin d'aider à subvenir aux besoins de ses sept frères et sœurs. Il est finalement devenu boulanger et a commencé la corrida à côté. Son premier cartel (affiche qui annonce une corrida, ndlr) l'a intronisé en tant que Rodolfo Rodriguez, Panaderito de Apizaco. C'est comme ça que les fans ont commencé à l'appeler El Pana.

La carrière d'El Pana a connu des débuts difficiles : lors de ses dix première années, il n'a tué que dix taureaux, alors que les plus grands matadors peuvent en tuer plus de 100 par an. Il s'introduisait dans les ranchs, dormait dans les étables et se levait à l'aube pour s'entraîner.

En 1978, manquant toujours de travail, El Pana a décidé de faire une grève de la faim. Le coup de pub a fonctionné et il a alors entamé l'année la plus importante de sa carrière. Alors qu'il n'était que novice, il a réalisé cinq performances à guichets fermés au Plaza Mexico, situé dans la capitale mexicaine. Les fans étaient fascinés par sa façon de planter les banderilles, bâtons colorés et pointus qui ont pour but d'affaiblir le taureau, dans des endroits qui semblaient impossibles à atteindre. Une de ses spécialités était de tourner le dos au taureau qui le chargeait et de planter la banderille en la passant par dessus son épaule. « El Pana se bat avec exception. Les autres se battent selon les règles », a déclaré Ignacio Solares, écrivain mexicain, dans un documentaire télévisé.

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Un torero est considéré comme un novice jusqu'à ce que deux matadors le parrainent et le présentent avec une épée et une muleta rouge lors d'une cérémonie appelée l'alternative. El Pana est officiellement devenu matador de toros en 1979, mais ce triomphe a été suivi d'un second acte plus sombre. El Pana s'est mis à insulter d'autres toreros, a fait quelques séjours en prison et s'est présenté aux corridas trop saoul pour combattre. L'alcoolisme, a-t-il dit une fois, a été « le taureau le plus compliqué que j'ai eu à battre. » Les imprésarios de corrida se sont vengés en lui assignant des taureaux compliqués qui ont généreusement contribué à augmenter le nombre de fois où il a été blessé lors d'une corrida (plus de 20 fois dans sa carrière).

El Pana, le torero au cigare. Photo via

El Pana peut bien avoir été une diva, mais il était une diva consciencieuse. En 1995, alors que le Président Chirac était en visite officielle dans le pays, le torero a protesté contre les essais nucléaires réalisés en Polynésie française en brandissant une pancarte au Plaza Mexico sur laquelle on pouvait lire : « Chirac, c'est bon arrête avec tes petites bombes espèce de bâtard. » Il était persuadé que les essais avaient causé un mini-tsunami sur la côte Pacifique du Mexique. Son effronterie lui a valu d'être banni de l'arène mythique pendant plus de dix ans.

Ce n'est qu'en 2007, à 54 ans, qu'El Pana a eu le droit de refouler l'arène du Plaza Mexico pour ce qui devait être sa dernière corrida. Il est arrivé habillé d'un costume rose avec des broderies argentées qui rappelaient la couleur de ses cheveux. Il a enchaîné les passes, plus osées les unes que les autres, provoquant l'enthousiasme des speakers. À un moment, il a lâché sa muleta, a tourné le dos au taureau, et s'en est allé les bras levés au ciel en signe de triomphe. Lorsque la corrida s'est achevée, plutôt que de faire le tour de l'arène tranquillement en saluant de la main, il a fait le tour de la plaza en sprintant.

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El Pana avait également une approche peu conventionnelle de la dédicace coutumière du taureau. Après avoir listé sept mots synonymes de prostituée, il portait un toast « à toutes les femmes qui ont apaisé ma soif, rassasié ma faim et m'ont protégé et accueilli sur leur poitrine et entre leurs cuisses, piliers de ma solitude. Que Dieu les bénisse pour avoir tant aimé. » Quand, après, on lui a demandé s'il était macho, El Pana a refusé d'être ainsi catégorisé en disant que les femmes avaient une place dans la cuisine et dans la chambre même si elles n'avaient pas leur place dans l'arène.

Son toast sensationnel et la perspective de sa dernière corrida ont donné du grain à moudre pour les divers articles, interviews et documentaires TV. Le président du Mexique lui-même l'a appelé pour le féliciter. Au final, toute cette attention l'a poussé à ne pas prendre sa retraite. El Pana espérait enfin obtenir une corrida au Las Ventas à Madrid, mais son rêve ne s'est jamais réalisé. Au lieu de ça, il s'est retrouvé relégué aux arènes provinciales des alentours de Mexico. Lors de ses interviews, il faisait la sourde oreille quand il était question de sa popularité déclinante mais il restait obsédé par la légende d'El Pana.

« Les gens parlent plus d'un torero après sa mort, a-t-il affirmé dans une interview à un site de corrida espagnol. J'ai toujours rêvé, j'ai toujours voulu qu'El Pana connaisse sa fin pendant une corrida. » Mais il parlait aussi de se présenter pour les élections à Apizaco après avoir pris sa retraite et disait être opposé au suicide.

Le 1er mai, Rodriguez s'est approché de la mêlée pour une rapide interview avant une corrida. L'arène n'avait rien de prestigieuse. Un reporter lui a posé des questions quant à ses plans de retraite. Il a répondu qu'il n'était pas sûr, mais « qu'un taureau pourrait très bien encorner El Pana, et ce serait la fin de la magie et de la légende de la corrida. »

Plus tard ce jour-là, El Pana faisait des passes avec la muleta plus grande qui est utilisée lorsque le taureau a encore toute sa force et sa vitesse. C'était des passes de routine, mais au cours de l'une d'entre elles, le taureau n'y a pas cru. Ses cornes se sont plantées directement dans la poitrine d'El Pana. Il s'est vu projeté dans les airs sans possibilité de se débattre. Plus de la moitié de sa moelle épinière a été endommagée et trois de ses vertèbres se sont brisées.

Plus de deux semaines plus tard, les docteurs du Nuevo Hospital Civil de Guadalajara essayaient toujours de garder Rodriguez en vie. Le problème se situait au niveau de son cœur. Il a été réanimé d'un arrêt cardiaque le 13 mai mais continuait de souffrir de petits arrêts cardiaques. Francisco Preciado, le directeur de l'hôpital, a déclaré que ses chances de survie de Rodriguez étaient très minces – presque 98% des personnes décèdent des complications de ce type de fracture. « La volonté de vivre joue un rôle fondamental », avait expliqué Preciado. Malheureusement, un mois après son accident, Rodolfo Rodriguez décédait d'un arrêt cardiaque. Tout comme El Pana.