Frank Frejnik n'ira pas en Enfer

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Frank Frejnik n'ira pas en Enfer

Ancien rédacteur-en-chef de la revue Rock Sound et de son hors-série Punk Rawk, l'activiste stéphanois continue à faire des fanzines et à sortir des disques, contre modes et marées.

Photo - Maxence Torillioux.

Alors que la France électrique pleure la retraite de Philman, qui abandonne le navire Rock & Folk après 43 ans (quarante-trois ans !) de loyaux services, personne ne se souvient de ce que Frank Frejnik a fait pour le rock, le vrai, celui qu'écoutait les moins de 30 ans dans les années 90 et 2000. Après avoir débuté son fanzine Violence dans le Saint-Etienne post-apocalyptique de la fin des années 80, Frejnik a ensuite participé à l'épopée des Editions Freeway, entre Paris et Clermont-Ferrand, oeuvrant pour deux magazines têtes de gondoles de l'époque : Groove et Rock Sound. Quittant le premier car peu concerné par les affres du rap en voie d'accession au pouvoir culturel, c'est le second qui lui offrira quelques années plus tard son propre magazine cartes en mains, et qué s'appelerio Punk Rawk. Pendant dix années, de 1998 à 2008, cette publication pré-haut-débit fit découvrir à des hordes d'ados en baggy shorts les dernières sensations des scènes punk rock et hardcore au sens large (on pouvait passer du ska au grindcore sur une seule couv), qu'elles soient américaines, suédoises ou françaises. Et le mag était livré avec son non-moins fameux sampler, Punk Rawk Explosion.

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Depuis l'arrêt du mag, le discret Frank Frejnik n'a pas sombré dans la dépression ni répondu aux sirènes du publi-rédactionnel, il continue à publier des fanzines (Slow Death), à rééditer des disques oubliés du patrimoine hexagonal (des Thugs aux Rats en passant par Scuba Drivers via Nineteen Something Records), à sortir des livres même (les chroniques de Vérole, ex- chanteur des Cadavres), à monter des concerts, manager des groupes, etc, dans un semi-anonymat qui lui convient parfaitement et reste raccord avec ses valeurs. Bien que ça lui nique les yeux, on a voulu le mettre quelques instants dans la lumière, il était le personnage idéal pour ouvrir notre nouvelle rubrique balayant les souterrains du journalisme musical.

Noisey : Qui t'a donné envie d'écrire quand t'étais ado ?
Frank Frejnik : J'étais un gros consommateur de magazines lors de mon adolescence, la presse musicale notamment, Enfer Magazine, Metal Attack, Best, mais aussi Starfix, Mad Movies, etc. Mais ce sont les fanzines qui m'ont réellement donné envie d'écrire. Encore que l'envie d'écrire était moins importante que la satisfaction d'auto-édition. Ce qui me plaisait plus que l'écriture elle-même, c'était construire quelque chose à moi, de A à Z… et ça inclut forcément écrire quelque chose, vu que je ne savais pas dessiner.

À quel moment tu lances Violence, ton premier fanzine ?
J'ai monté Violence fin 1989 et le premier numéro est sorti l'année suivante. Les ordinateurs personnels ne servaient qu'à jouer à l'époque et Internet n'était pas encore disponible, tout était donc « manuel » : machine à écrire pour les articles, cutter et bâton de colle Uhu (mais celui d'Auchan faisait le job aussi) pour la mise en page, photocopies pour le tirage en série, agrafage, etc. Il fallait ensuite écrire des lettres manuscrites aux groupes, labels, correspondants, fanzineux, acheteurs, etc… Ça pouvait être long et fastidieux, mais j'ai beaucoup appris en faisant tout ça.

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C'était dans l'optique de « réussir » là-dedans que tu as quitté Saint-Etienne pour Paris dans les années 90 ?
Je n'ai malheureusement pas assez d'ambition personnelle pour espérer et vouloir « réussir ». La raison pour laquelle je suis monté à Paris, c'est parce que la boite d'édition qui m'embauchait a décidé de déménager à la Capitale (sans doute dans une optique de réussite, elle). J'ai suivi parce que j'avais rien de mieux à faire. Je suis arrivé à Paris pendant la Coupe du monde de football en 1998…

Parle-moi de ton expérience chez Rock Sound. 
Mes deux premières années au sein de Freeway (la boîte qui éditait Rock Sound), je les ai passées à la maison mère, à Clermont-Ferrand, donc assez loin du milieu parisien/mainstream. La rédaction de Rock Sound tenait dans un seul petit bureau et tout le monde participait un peu à tout. Le fonctionnement n'était pas si différent d'un fanzine, seuls les moyens financiers et la distribution du magazine changeaient… mais ces deux données font toute la différence.

Tu l'as vu comme un bon moyen de vivre de ta passion, avec plus de moyens ?
J'ai surtout vu l'occasion d'un boulot cool. Avant, je faisais de l'intérim en usine, je ne savais pas trop quoi faire de ma vie. J'avais découvert la P.A.O. (publication assistée par ordinateur) lors de mon objection de conscience et je m'étais plus ou moins destiné à suivre ce cursus. Finalement, après un stage lié à la formation P.A.O. que je suivais, les Editions Freeway m'ont proposé un poste de secrétaire de rédaction/journaliste dans le nouveau magazine qu'ils lançaient. Ils cherchaient quelqu'un qui savait gérer toutes les étapes d'un canard, comme je l'avais fait dans mon zine. Ça tombait pile poil parce que mon avenir ne m'offrait guère de possibilités et la proposition était inespérée.

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Combien de personnes t'ont traité de vendu dans la scène punk après ça ? 
Probablement un paquet. Même si je pense que peu de ces personnes savaient ce que j'avais fait avant. De toute façon, je ne me suis jamais servi de mon « passé underground » pour valider ou crédibiliser ce que j'ai fais avec Rock Sound ou Punk Rawk. J'ai appris depuis belle lurette qu'on ne plait jamais à tout le monde. Surtout dans le punk où la critique est facile et très souvent absolument pas constructive.

J'ai vu que tu avais aussi collaboré au magazine de rap Groove. Les méthodes différaient par rapport à un média rock ?
Groove et Rock Sound étaient édités par la même boîte (Freeway) et partageaient le même bureau à Clermont-Ferrand. Lorsque j'ai été embauché, c'était avant tout pour Groove Magazine, je fournissais seulement des chroniques à Rock Sound. Les méthodes de travail ne changeaient pas forcément par rapport au rock. Ce qui était différent, très différent même, c'était le rapport entre la presse et les artistes. J'ai bossé à Groove pendant l'explosion du rap français, entre 1996 et 1998, période où n'importe quel album hip-hop pouvait devenir disque d'or, où n'importe qui pouvait décrocher un contrat avec une major, et où un refrain accrocheur était synonyme d'argent facile. Autant dire qu'entre moi, jeune journaliste blanc, venant de province et débarqué de la scène punk, et les artistes hip-hop obnubilés par le succès et la notoriété, la situation était un peu surréaliste. J'ai vécu quelques situations de grande solitude. Et j'ai été très heureux de rejoindre Rock Sound et Hard'N'Heavy dès que ça a été possible.

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Comment Punk Rawk s'est lancé ? On t'avait laissé une liberté totale dès le départ ?
Ce n'est pas mon idée à la base. Au départ, il s'agissait d'un hors-série thématique, au moment du revival punk de la fin des 90's avec l'éclosion de Green Day, Rancid, Offspring et cie, du mensuel Rock Sound. Le premier numéro ayant bien fonctionné, d'autres ont été planifiés. Comme j'étais le plus apte à m'en occuper, on m'a donné les clés du titre. Les ventes ont été bonnes et le hors série est devenu trimestriel. À partir de là, j'ai tenté de combiner les impératifs commerciaux (mettre en couverture des têtes d'affiche, suivre l'actualité pour faire tomber de la publicité) et d'ouvrir le mag à des sujets/groupes/tendances plus underground. En gros, tant que je mettais un groupe « connu » en couverture, je pouvais mettre plus ou moins ce que je voulais dans le magazine.

Quels groupes es-tu le plus fier d'avoir mis à l'honneur ?
Je suis content d'avoir mis Burning Heads en couverture d'un magazine. Idem pour At The Drive-In parce que, pour moi, c'était aussi ça le punk rock. J'ai toujours voulu montrer que le punk rock avait survécu à 1977, qu'il avait évolué et grandi, qu'il était devenu une culture bien plus vaste que ce que les médias aiment bien souvent réduire à des images d'Epinal. Je suis content également d'avoir mis Joe Strummer en couverture avec une photo actuelle de lui et non pas une photo datant de The Clash en 1977 (comme la plupart des canards musicaux l'ont fait à ce moment là). Bref, je suis heureux d'avoir exposé le punk rock tel qu'il était au moment où le magazine paraissait. Mais je suis surtout fier d'avoir ouvert un magazine national distribué en kiosques à la scène française et de lui avoir donné une part (plus ou moins) importante.

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Il y a des trucs que tu regrettes ?
J'ai peu de regrets, sauf peut-être qu'en jouant l'ouverture à cette scène française, j'ai parfois donné la parole à des groupes qui ne le méritaient peut-être pas. Ou en tout cas, pas autant que je l'ai fait.

J'imagine que beaucoup de tes potes devaient t'envoyer leurs démos pour figurer sur le fameux sampler C'était compliqué à gérer ?
J'ai toujours réussi à garder mes distances avec ce dilemme. Mais je ne me suis jamais privé d'aider les groupes de mes potes quand ils le méritaient. J'ai aucun scrupule là-dessus. Tout fonctionne comme ça dans le milieu des médias. La différence, c'est que je n'ai jamais attendu un quelconque retour d'ascenseur. Je fais les choses sans arrière pensée, sans ambition non plus.

Pourquoi ça s'est terminé, personne ne pouvait/voulait prendre la relève ?
Les éditeurs successifs ont tous mis la clef sous la porte. Dommage, parce que Punk Rawk était un magazine de niche qui marchait pas trop mal en kiosques. Bon, avouons aussi qu'il était rentable parce que son coût de production était relativement bas vu que deux personnes, Olivier Portnoi et moi, faisaient pratiquement tout, du contenu rédactionnel à la maquette, de la logistique à la promo, etc… On envoyait même les commandes d'anciens numéros. À la fin, cela fonctionnait vraiment comme un fanzine. En ce qui concerne la relève, l'an passé, des gens de la scène punk actuelle nous ont contacté pour relancer le magazine. Je doute que cela se fasse vu la situation actuelle de la presse. Mais si la chose est possible, je ferais tout pour aider cette initiative.

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Finalement, tu es retourné à l'« underground ». Quelles leçons tu as tirées de ces années de rédac-chef ?
Je suis plutôt retourné dans l'ombre ou dans l'anonymat, ce qui n'est pas pour me déplaire. Je ne pense pas avoir fait partie du mainstream (ou tout autre milieu en opposition à l'underground) simplement parce que j'ai été journaliste dans des magazines nationaux et distribués en kiosques. Mon nom était exposé pendant quelques années, maintenant il l'est moins ou plus du tout. Ça ne m'empêche pas de continuer à faire les choses que j'aime. J'avais envie de partager mes goûts musicaux, j'ai éditer un zine (Slow Death). J'ai eu envie d'aider des groupes, j'ai sorti leurs disques. L'underground ne signifie pas grand chose pour moi. Je fais les choses à ma façon, avec mes moyens et mes possibilités. Un jour, j'ai eu la chance que mes écrits soient largement diffusés. Tant mieux. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Et ce n'est pas grave. Et puis, si je ne me suis pas battu pour rester absolument dans le milieu de la presse ou pour rester dans la lumière des projecteurs, c'est que cela ne devait pas tant me plaire que ça… Je n'ai pas besoin d'être exposé pour partager ce que j'aime.

Aujourd'hui, quels groupes te parlent, en France et à l'étranger ?
J'aime plein de choses différentes, du punk rock au metal. En France, j'aime beaucoup Red Gloves, Bit Part, Ultra Demon, Heavy Heart, Not Scientists, Monarch, Justin(e), Buried Option, Le Réparateur, Chaviré, Guerilla Poubelle, Sons Of Buddha… Des autres contrées, mes groupes favoris sont Run Forever, Iron Chic, The Body, Campaign, Dog Party, Mammoth Weed Wizard Bastard, Dee Cracks, The Apers, Jucifer, Bat Bites …

Tu lis encore la presse musicale ? 
Je la feuillette seulement quand je tombe dessus. Je n'arrive plus à lire des interviews de groupes et encore moins des chroniques. Peut-être parce que j'entrevois les ficelles derrière. Mais je lis encore régulièrement Decibel, un magazine metal américain, et Razorcake, un fanzine punk rock américain également

Tu penses que l'arrivée d'Internet a fait du bien au milieu de la critique, quand tout le monde a pu croqué le « savoir » que certains s'accaparaient ?
Internet a permis à plein de gens de s'exprimer et de croire que leur avis avait de l'importance. Si ça a déstabilisé le milieu de la critique, tant mieux. Mais je ne sais pas si c'est vraiment le cas. De toute façon, peu importe qui décide de lancer un groupe underground ou préfabriqué, critiques ou public, à la fin c'est toujours les mêmes qui gagnent : les grosses compagnies.

Rod Glacial possède le premier n° de Punk Rawk. Faire offres sur Twitter.