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Food

La femme qui mangeait les aliments dans l'ordre alphabétique

Pendant un an, elle s’est nourrie exclusivement en fonction de l’alphabet. L’alphabet latin compte 26 lettres et l’année 52 semaines. Elle a donc changé de régime toutes les deux semaines.
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Ceux qui disent qu'il ne faut pas jouer avec la nourriture ne sont rien d'autre que des adultes tristes et désabusés qui ont perdu leur âme d'enfant. Mais pour Goody Cable, la propriétaire d'un café de Portland, a.k.a ville la plus branchée bouffe de la côte Ouest des États-Unis, jouer avec la nourriture est devenu un art, un style de vie, et aussi un moyen de gagner de l'argent tout en se faisant des amis.

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Pendant une année entière, Goody s'est nourrie exclusivement en fonction de l'alphabet. L'alphabet latin compte 26 lettres et l'année 52 semaines. Pas besoin de maîtriser les équations à deux inconnues pour comprendre l'idée que Goody avait derrière la tête : pendant les deux premières semaines de l'année, elle n'allait manger que des aliments commençant par la lettre « A », et ainsi de suite jusqu'à atteindre la fin du mois de décembre et la lettre « Z ».

« Je n'ai jamais dérogé à la règle que je m'étais fixée, m'a-t-elle confié quand je suis partie lui rendre visite dans son café. J'ai adoré ce défi, ça me forçait à être créative. Je n'ai pas besoin des autres pour me divertir, je m'amuse très bien toute seule. »

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Goody Cable. Toutes les photos sont de l'auteur de l'article

La motivation première de Goody n'était pas de faire des économies – son café lui rapporte assez d'argent. Elle possède en effet le plus vieux café de la ville, le Rimsky-Korsakoffee House – qui est aussi sans conteste le plus original. Elle a aussi un hôtel en bord de mer, le Sylvia Beach Hotel, qui cherche à accueillir surtout « ceux qui n'y arrivent pas ».

Le café est aménagé dans une maison de style victorien dont la déco thématique s'inspire librement de l'univers de la musique classique russe. C'est un endroit qui sert exclusivement des boissons et des desserts à base de café (jamais du déca), mais il n'est ouvert qu'entre 19 heures et minuit.

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Vous risquez d'avoir un peu de mal à trouver l'endroit étant donné qu'il n'arbore aucun signe extérieur ni devanture. Goody préfère que les clients « tombent dessus par accident ».

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À l'intérieur du Rimsky-Korsakoffee House.

J'ai découvert l'endroit un soir de 2012 avec un ami légèrement bourré. Toutes les places de parking de la pizzeria du coin étaient prises par les bagnoles des policiers donc on est allé un peu plus loin et on est tombé sur Goody.

Depuis, elle s'est contentée de vivre de mets simples qu'elle consomme par ordre alphabétique.

« J'achetais peu de choses mais en grosses quantités parce que mon inspiration créatrice était quand même limitée. Les premiers jours de chaque lettre je cuisinais beaucoup, et après sur la fin des deux semaines réservées à la même lettre, je mangeais les restes. Du coup, j'ai économisé pas mal d'argent, même si à la base, je faisais ça uniquement pour me distraire. »

Un mardi sur deux, une fête s'organisait au café avec les amis de Goody pour « dire au revoir à la lettre du moment ». L'un de ses amis travaille à The Oregonian, un journal local, et publiait des annonces pour inviter les lecteurs à chacune de ces fêtes. À chaque fois, en plus de ses amis et de ses proches, Goody recevait aussi la visite de gens qui bossaient dans le coin ou de parfaits inconnus.

Détail important : la règle du jeu de Goody s'imposait non seulement aux aliments mais aussi aux endroits où elle allait faire ses courses. « Pendant cette année, chaque magasin que je fréquentais devait avoir un nom commençant par la lettre de la semaine. Par exemple, quand on était au « S », j'allais dans un supermarché qui s'appelle Safeway », se rappelle Goody. C'est à se demander si elle a réussi à trouver quelque chose à becter dans les semaines en « W ».

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La quinzaine en « E » est tombée pendant l'été et un ami a dû lui offrir un « lait de poule » fait maison (« E » comme « eggnog » en anglais). Elle était allée voir dans une station essence dont le nom commençait par un « E » mais ils n'en vendaient pas (probablement parce que l'on ne consomme traditionnellement du lait de poule qu'en hiver aux États-Unis).

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Sa période T.

Le nouveau régime alimentaire de Goody lui a permis de faire de nouvelles rencontres. Lorsqu'elle était sous l'emprise de la lettre « C », elle a tapé la discussion avec une de ses clientes prénommée Cynthia. Depuis, elles sont devenues bonnes copines. Mais petit à petit, son toc alphabétique est devenu contagieux : il s'est appliqué non seulement à ses courses mais aussi à ses amis, à ses activités et à ses choix vestimentaires.

« Pendant la quinzaine en « A », je m'en suis pas trop mal sortie : je me levais à l'aube, j'achetais des antiquités et j'avalais des abricots avec mon amie Anne », m'a-t-elle confié.

Goody s'autorisait les sorties au restaurant mais les pauvres serveurs devaient alors faire preuve d'inventivité pour réussir à se demerder avec sa commande : « Je vais vous prendre n'importe quoi qui commence par un « C » – à part les crustacés parce que je suis allergique ». Goody laissait un pourboire plus ou moins généreux en fonction du brio avec lequel le serveur avait réussi à gérer son étonnante requête.

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« Les restaurants ne s'en sont pas trop mal sortis dans l'ensemble. Mais je préfère mon café. Ma cuisinière me préparait un plat spécial en fonction de la lettre. C'est elle qui m'a inspiré l'idée de changer les lettres une semaine sur deux, parce que c'est la fréquence à laquelle elle change notre carte. »

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Les clients du café participaient eux aussi d'une certaine manière à ce grand jeu puisque Goody offrait le dessert aux clients dont le prénom tombait dans la lettre du moment.

On pourrait s'inquiéter de savoir ce qu'elle a bien pu bouffer les semaines en « X ». Elle m'a avoué qu'en dépit des apparences, ce n'était pas la semaine la plus difficile : « Je choisissais des produits dont le son de départ faisait 'ex'. Là où j'ai vraiment eu du mal, c'était avec la lettre « D » : je n'aime pas les donuts. Je m'en suis rendue à ne manger que de la moutarde de Dijon sur du pain dur ».

Personnellement, je crois que je n'aurais pas été contre deux semaines de donuts.