Tout le monde ne peut pas prendre des photos avec Skype comme Anton Reva
Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation d'Anton Reva.

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Culture

Tout le monde ne peut pas prendre des photos avec Skype comme Anton Reva

À 19 ans, les expérimentations du jeune russe repensent les codes du shooting photo.

Je suis tombée sur le travail d'Anton Reva en traînant sur Furfur, un site russe assez cool que j'ai lui-même découvert via mon copain ukrainien mais dont l'accès au contenu m'est assez limité — mes connaissances de russe se résumant à une poignée d'insultes et demander le chemin vers les toilettes les plus proches. Comme je n'allais quand même pas m'abaisser à recourir à Google Translate — ce que j'ai fini par faire et c'était catastrophique — et que mon mec a autre chose à foutre que traduire pour moi, j'ai directement demandé au principal intéressé s'il était chaud pour une petite interview en anglais à propos d'un projet photo que j'avais remarqué sur sa page VKontakte.

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Plus que ses nombreux collages expérimentaux, c'est le mélange des styles et l'esthétique mi-kitsch mi-surannée de ces compositions qui ont retenu mon attention. Digne héritier du revival ringard que subit 2016, Video Call Photography compile des portraits de jeunes qui pourraient tout à fait être les captures d'écran que vous faisiez à l'insu de vos potes MSN de 2005, le tout avec le grain des films que votre père tournait pendant les réunions de famille.

Photo issue de la série "Dialogues"

Anton m'a répondu que son niveau de LV1 craignait à mort malgré ses quelques mois d'études à la University of the Arts London mais qu'il se débrouillerait pour me pondre des réponses dans notre seule langue commune. Dans ses emails, somme toute très bien écrits, j'ai donc appris qu'Anton est originaire de Stavropol, une ville du Nord-Caucase en Russie, qu'il a 19 ans et qu'il se « considère comme un artiste photographe et de collage ».

The Creators Project : Salut Anton. Peux-tu me dire d'où sort ton projet Video Call Photography ?
Anton Reva : Lors d'une de mes conversations [sur Skype], j'ai commencé à prendre des photos avec mon téléphone, puis ensuite j'ai décidé de le faire avec mon appareil photo. J'ai pris quelques clichés et je les ai immédiatement examinés sur un écran plus large. À ce moment, j'ai réalisé que c'était un bon moyen d'interagir dans une séance photo à distance avec à peu près n'importe qui, qui voudrait bien communiquer avec moi par appel vidéo. Et si c'était mis en scène ? Et si c'était dans la rue ? Des centaines de questions et d'idées que j'ai instantanément commencé à réaliser. Pendant deux semaines, j'ai envoyé environ 285 propositions à des gens au hasard. 23 d'entre eux ont presque immédiatement accepté, 79 ont hésité, les autres ont refusé ou n'ont pas accordé d'importance à mon message.

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« C'est la première photo de "Dialogues". J'ai juste appelé mon amie Sophia à Londres et je lui ai décrit mon projet. Elle m'a montré son appart et des objets qu'elle aime. C'était une longue conversation et un essai vraiment expérimental. Cette photo était la dernière de cette séance. Nous avons trouvé cette belle lumière et je lui ai demandé d'être "naturelle". »

Que disais-tu dans ce message ?
Mon offre a changé environ cinq fois. J'ai d'abord suggéré quelque chose de vague, du genre "On peut s'appeler sur Skype, je suis intéressé par un environnement qui pourrait décrire toi ou ta vie et après je prends une photo." La dernière suggestion tenait en deux lignes : "Je prends des photos au cours d'appels vidéo, ci-joint des exemples et une courte description du projet." La proposition soulevait de nombreuses questions à toutes les étapes de la réalisation, auxquelles je répondais toujours différemment. Des fois, je mettais l'accent sur la séance à distance, donnant des arguments techniques et les perspectives en jeu. D'autres fois, je donnais à mon projet une portée plus sociale, suggérant des interprétations douteuses. Le thème était libre et c'était important que ceux qui prenaient part à mon projet tirent une forme de satisfaction d'un échange si inhabituel et spontané. Au final, plus d'une centaine de personnes ont participé à la série Dialogues. On cherchait ensemble quel serait le meilleur endroit chez eux pour avoir une vue sympa, on avait chacun des idées avec les objets qui les entouraient. Avec ces appels vidéo, le sujet devient assistant, voir coauteur.

Qui a donc bien voulu se prêter au jeu ?
Au début des Dialogues, j'ai commencé à organiser une série de formats artistiques avec mes amis d'autres villes et d'autres pays. Nous avons réalisé des portraits dans les rues de Londres, à Pskov [dans le nord-ouest de la Russie] et à Los Angeles.

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« Cette séance était plus freestyle. Mes amies de Londres, créatrices d'une jeune marque de fringues appelée 1.4.1.3, m'ont demandé de photographier leur collection d'oreillers avec des peintures abstraites. On a décidé de le faire à Canary Wharf. Mais on a eu quelques soucis, dont de connexion wifi. On l'a fait sans assistant donc les filles ont ont du tenir leur ordi. Finalement, j'ai fait plusieurs collages numériques sur Photoshop. »

Pourquoi avoir choisi cette esthétique régressive ?
Il y a environ un an, quand je suivais des cours d'art à Londres, on nous a demandé de réaliser un sujet avec un procédé expérimental et une esthétique visuelle des dispositifs numériques de notre choix. Le défi était d'utiliser les nouvelles technologies dans le procédé photographique mais sans que cela soit "visible". Je ne dirais pas que la "capture d'écran" n'est pas évidente mais j'y ai vu un large espace de recherche — textures variables, en couches, différentes interprétations des couleurs en fonction de l'angle et de la distance de prise de vues. J'ai photographié des écrans d'ordi et j'ai documenté mon processus.

En fait, qu'est ce que tu cherches à faire avec ce projet ?
J'explore des nouveaux moyens d'enregistrement et de processus de distorsions, de nouveaux effets. Appareils photo, téléphones portables, téléviseurs, scanners, ordinateurs, projecteurs — je cherche toujours de nouvelles connexions entre les appareils avec lesquelles travailler. C'est devenu un jeu fascinant où le facteur déterminant est le nombre de combinaisons possibles. Avec l'expérimentation photographique, je déforme le contexte temporel dans lequel les séances photo ont eu lieu. Le mystère, le mensonge, les motifs et les désirs cachés — c'est ce qui me fascine dans la photo. Au final, toutes les inventions sont une sorte de seconde réalité. Dialogues m'a aidé à me définir en tant qu'artiste-photographe.

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Séance pour 1.4.1.3 à Canary Wharf à Londres.

Tu continues toujours ce projet ?
Oui, avec de nouveaux formats, différentes approches, appareils, par exemple en installant des objets devant l'écran, des miroirs, etc. J'ai pour projet de partager ce thème et développer toutes ses composantes. Il permet de nouvelles rencontres, de nouvelles opportunités avec de l'imagination et le minimum de moyens. C'est une immense opportunité pour des gens qui ne peuvent pas bouger de chez eux.

Qu'est-ce qui t'inspire en général ?
Tout ce que je connais, que je ressens, que je vois ou entends devient pour moi une inspiration. J'essaie toujours de trouver une signification particulière dans tout. J'ai lu aussi l'histoire du dadaïsme, Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier de Vassily Kandinsky, les poèmes de Federico García Lorca. On dirait que n'importe quoi m'inspire mais la réponse la plus correcte est probablement que je suis inspiré par le mélange de tout ça.

« Cette photo fait partie de la série "Dialogues". Tout d'abord, j'ai demandé à Sophia si ça ne la dérangeait pas d'avoir une visioconférence avec moi. Ensuite, on a choisi l'heure et le lieu exact. Enfin, je l'ai appelée, on a eu une courte conversation sur l'art, l'éducation, etc. et puis j'ai pris 3-4 portraits plus ou moins mis en scène avec mon Canon 5D Mark lll. »

Tu as fait d'autres projets depuis ?
J'ai fini deux projets il y a quelques jours — The Secret of Us et The Night of Us [réalisés entre 2015 et 2016]. The Secret of Us, une série de photos et de collages, est une incarnation visuelle du changement d'état d'esprit. Avec The Night of Us, je donne aux images créées artificiellement la magie de la transformation au moyen de l'interprétation par la photographie, le collage et les autres champs des arts visuels. Je suis fasciné par les capacités d'interprétation photographique d'événements réels. Quand vous voyez le passé sous un nouveau jour, vous revivez cet instant mais avec des émotions nouvelles, une attitude plus profonde et plus révérencieuse. Et toutes les images du passé s'imprègnent profondément en vous et deviennent plus vraies que nature.

Pour finir, tu m'expliques pourquoi tu prétends que ton niveau d'anglais est à chier si tu as été à Londres ?
L'anglais a toujours été un problème pour moi, même si j'ai étudié à Londres. Mes amis disent que mon problème vient de mon attitude à l'égard de la langue russe. Je suis un vrai fan de ma langue maternelle — j'écris des poèmes et des nouvelles en russe.

« Je ne connaissais pas Evgeniya avant notre conversation, donc quand on a eu notre "Dialogue", je lui ai demandé de m'en dire plus sur sa vision de la vie, sur sa famille et son travail. J'ai pris mon appareil et j'ai commencé à prendre des photos. Elle m'a proposé de faire une photo avec ses animaux de compagnie. Ils font partie de sa vie donc on l'a fait. »

Anton dit ne pas « avoir eu le temps » pour faire un site — qu'il imaginerait comme un projet artistique à part entière — mais vous pouvez le retrouver sur Instagram. Si vous comprenez le russe, il est aussi sur VKontakte.