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Music

Non, une paire de baskets ne peut pas sauver le monde

Sur le papier, Kendrick Lamar et Reebok étaient animés par de très bonnes intentions. Dans les faits, c'est juste une campagne marketing à la con de plus.
Ryan Bassil
London, GB

En 2014, Kendrick Lamar et Reebok ont établi un partenariat avec un objectif précis et ouvertement affiché : dénoncer les inégalités sociales. Leur dernière collaboration en date, les sneakers Kendrick Lamar x Reebok Club C, a ainsi pour but d'encourager « les individus à unir leurs forces », selon les termes de la marque. Dans un communiqué de presse, Lamar a déclaré : « C'est ce que j'essaie de faire avec ma musique, et maintenant avec le Club C ». Bref, du contenu de marque classique.

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Une chose est certaine : les baskets en question ne risquent pas de révolutionner le monde du style et de la mode. Elles sont noires et blanches, en tissu aspect sali/délavé, avec une étiquette rouge sur la languette, le « K » et le « O » de « Reebok » mis en évidence pour former « K Dot », le surnom de Lamar. Regardez-les quelques secondes et dites-moi qu'elles ne ressemblent pas trait pour trait à un modèle Etnies de 2003.

Non seulement elles n'ont rien d'exceptionnel, mais en plus, elles ne sont pas données : marcher dans la rue avec le sentiment d'être 100 % hip-hop et de faire honneur au petit prince du rap vous coûtera en effet la modique somme de 92 euros. Se pose alors une question : des collaborations comme celles-ci, aussi positives et honorables soient-elles sur le papier, peuvent-elles réellement avoir des retombées positives ?

Ce n'est pas la première fois qu'une marque de baskets joue la carte politico-sociale. De la reprise de « The Revolution Will Not Be Televised » de Gil-Scott Heron comme slogan d'une pub Nike à la collaboration « inspirante » entre Lena Dunham et Lakai en 2016, l'industrie du cool n'a jamais hésité à se servir des enjeux sociaux pour vendre ses produits. L'équation est simple : les sneakers sont portées par des gens cool et les gens cool sont à la page niveau politique, du moins en règle générale. Il suffit de regarder l'association entre Run-DMC et Adidas, il y a 30 ans déjà.

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C'est un des concepts qu'aborde Thomas Frank dans son livre The Conquest of Cool, où il analyse la façon dont les marques se sont emparées de la contre-culture dans les années 60 et ont utilisé sa rhétorique pour vendre leurs produits. « Les mots de William S. Burroughs, et les chansons des Beatles, d'Iggy Pop et de Gil Scott Heron servent à vendre des chaussures Nike », écrit Frank dans l'introduction du livre. « Des symboles de paix décorent une gamme de cigarettes produite par RJ Reynolds ainsi que les murs et les fenêtres des boutiques Starbucks du monde entier ; les produits Apple, IBM et Microsoft sont vantés comme étant des outils de libération ; et la publicité en règle générale véhicule l'idée que les consommateurs doivent enfreindre les règles pour vivre pleinement. »

Certes, Frank se concentre sur les années 60, mais ses idées sont encore valables aujourd'hui. De la récupération d'un hashtag politique par un restaurant au récent T-shirt de la marque Supreme clamant « Say no to racists, to sexist pigs, to authority figures » (Dites non aux racistes, aux porcs racistes et aux représentants de l'autorité), les grandes marques continuent de tirer parti des racines de la contre culture pour séduire leurs clients. Cette relation entre la marque et le consommateur est la clé pour établir le dialogue avec les millenials. La question qui se pose alors est la suivante : comment un artiste comme Kendrick Lamar adapte les impératifs d'une marque à l'éthique de sa musique – et est-ce que ça donne plus de poids et d'impact à son message, ou est-ce qu'au contraire, le fait d'être associé à quelque chose de « corporate » le rend totalement caduc ?

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Artistiquement, il est difficile de blâmer Lamar. Il a sorti deux albums très appréciés par le public, qui parlent de politique, d'identité, de combat social et de masculinité, tout en s'appuyant sur des messages d'espoir, d'unité et d'égalité. Un de ses morceaux, « Alright », est même devenu un cri de ralliement du mouvement Black Lives Matter. Pourtant, il n'est pas certain que les bénéfices de cette collaboration seront utilisés à des fins politiques ou sociales. En fait, tout laisse penser que Lamar est juste le dernier artiste à s'être laissé embarquer dans une campagne utilisant les enjeux sociaux du moment pour engager le dialogue avec les consommateurs et, in fine, faire de l'argent.

L'année dernière, un directeur du marketing chez Reebok présentait les choses de cette manière à Billboard : « Kendrick représente une voix authentique dans la culture pop d'aujourd'hui. De même que Reebok représente l'innovation et l'authenticité sur le marché du streetwear et du sportswear. Il existe une relation évidente et naturelle entre Reebok et Kendrick Lamar qui a directement mené à cette collaboration. »

Une collaboration entre Lamar et Reebok ne pouvait qu'exciter les foules, qu'elle véhicule ou non un message. Lamar pourrait, s'il le voulait, apposer son nom sur n'importe quel type de chaussure et les gens feraient la queue pour l'acheter. Au lieu de ça, il a préféré transmettre un message positif, en adéquation avec sa musique. Dons de bienfaisance mis à part, les précédentes collaborations entre Lamar et Reebok ont donné lieu à des campagnes publicitaires encourageant les adolescents à croire en leur potentiel – le genre de chose que Lamar pourrait dire aux gamins de Compton, sa ville d'origine. Peu importe qui le délivre, le message reste fort et positif.

En fin de compte, le fait que la présence de Lamar dans une campagne marketing mondiale puisse inspirer ou toucher quelqu'un est la seule raison pour laquelle cette collaboration va un peu plus loin qu'une campagne lambda. Mais une paire de baskets en peut pas sauver le monde. Une paire de baskets peut garder nos pieds au chaud et au sec, nous donner l'impression d'être plus cool, mais elle n'est en aucun cas un facteur de changement. Lamar, lui, en est un – et il l'a prouvé avec sa musique. Il est difficile de lui en vouloir pour cette alliance hors-normes avec Reebok : il évolue dans une industrie qui a de moins en moins d'argent et qui ne suffit plus pour faire vivre un artiste. Mais en diluant son message dans une paire de baskets, Lamar est, quoiqu'il arrive, perdant. Il est probable que personne ne vienne jamais lui chercher des poux pour ça et qu'il s'en sortie sans la moindre égratignure. Mais contrairement à Reebok, il ne gagnera rien de plus, en termes d'impact pur, que ce qu'il aurait pu obtenir avec sa musique seule. Les campagnes marketing changent, les façons de vendre changent, mais les marques continuent à gagner – et ce n'est pas près de changer.

Ryan est sur Twitter.