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Pourquoi souffrir en amour ?

On sait désormais pourquoi la joie intense que produit l’attachement affectif s’assortit d’un désespoir profond lorsque le lien avec la personne aimée est mis en péril.

Avec la série « Le Pourquoi du moment », Motherboard répond aux questions les plus posées sur Google en 2016. Aujourd'hui, on se demande pourquoi il est très difficile d'entretenir une passion brûlante pour autrui sans se brûler les ailes au passage.

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La langue française est si riche en expressions et dictons sur l'amour que l'on pourrait croire qu'une société secrète les produit en série depuis plusieurs siècles, abreuvant le peuple français de représentations toujours plus pessimistes sur la passion amoureuse. L'amour tourmente. Beaucoup. Il fait tellement de dégâts matériels et humains que pour gérer la situation, il a fallu inventer le crime passionnel et une section spéciale sur les forums doctissimo.

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« Bienheureux ceux qui ne confient leur vie à personne » disait Pessoa, « L'amour, c'est l'ennemi, » confiait Schopenhauer, « Je vais l'oublier, je vais l'oublier, t'es fraîche t'es bonne et tout mais j'vais retourner à mes billets, » ajoute Booba, quand la poétesse Louise Labé décrit avec une acuité qui l'honore tous les tourments physiques qui accompagnent un amour troublé. Parce que la littérature et les arts nous répètent sur tous les tons qu'il n'y a pas d'amour heureux, au bout d'un moment, on a naturellement envie d'éprouver cette hypothèse par soi-même. Ou, pour les moins aventureux, de demander à Google : Pourquoi souffrir en amour ?

Il faut d'abord s'entendre sur ce que l'on signifie par amour. Au sens le plus large, on pourrait le définir comme le sentiment de fort attachement qu'un individu éprouve pour autrui dans le cadre d'une relation filiale, amicale ou amoureuse. Il se manifeste sous la forme d'un lien étroit dont on cherche à conserver, voire à amplifier la force dans le temps, et qui s'accompagne généralement d'une gamme de sentiments de tout à fait honorables comme la tendresse, l'estime, le dévouement, la passion.

L'amour a cet immense avantage de favoriser la coopération, la cohésion et le soutien au sein de groupes humains, qu'il s'agisse d'une famille, d'une tribu, d'un village, ou de tout autre collectif de personnes possédant des caractères communs, des intérêts à survivre ensemble et à protéger sa progéniture. Tomber amoureux permet d'induire rapidement un sentiment de confiance réciproque qui, dans ces conditions de pur calcul stratégique, aurait mis beaucoup longtemps à émerger. Cet éphèbe de qualité supérieure vous provoque quelques agréables remous au niveau de l'estomac ? Vous êtes prête à collaborer avec lui, ce qui peut passer par le soutien moral, physique, et bien évidemment par le partage des ressources.

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Dans ces conditions, pourquoi l'amour nous ferait-il souffrir ? Pourquoi provoquerait-il autre chose que la douce satisfaction de sentir une autre âme au bout de la sienne ? La science est certes impuissante à décrire toutes les arcanes du sentiment amoureux, mais elle peut pourtant expliquer dans quel contexte l'amour nous fait souffrir plus que de raison.

La situation la plus évidente capable d'induire la souffrance dans une relation affective est bien entendu la mise en danger qui suit la fin d'une relation. « La souffrance sociale, » à savoir le sentiment qui suit le rejet, l'exclusion sociale ou la perte d'un être cher a été documentée par de nombreuses études de psychologie. Ces dernières montrent qu'elle est suffisamment intense pour induire un état physiologique proche de la souffrance physique. « Le lien social est si important pour la survie humaine que le signal de la douleur, qui attire l'attention de l'individu sur un dommage physique potentiel ou réel, peut être été utilisé par le système d'attachement social afin de nous avertir de dommages potentiels ou réels dans nos relations sociales, » explique le psychologue Jaak Panksepp dans son ouvrage Affective Neuroscience: The Foundations of Human and Animal Emotions (1998). En d'autres termes, la séparation d'un être cher (un enfant séparé de ses parents par exemple) est tout autant susceptible de mettre votre existence en péril qu'une maladie grave, et votre corps a intérêt à vous avertir du danger. Or, les occasions de séparation au cours d'une vie sont innombrables : guerre, maladie, voyages, migration, conflits, etc, etc. Autant d'occasion de souffrir en perspective.

Dans le cas de l'amour romantique, la construction du « lien » entre deux individus passe par des changements physiologiques et chimiques si importants que la passion amoureuse naissante a souvent été comparée à l'addiction à une drogue quelconque. En effet, l'émoi d'une rencontre romantique et sexuelle provoque une suractivité de l'amygdale cérébrale, la sécrétion d'adrénaline, de noradrénaline et de cortisol, les hormones habituellement impliquées dans la réponse au stress et dans les situations dangereuses en général.

La dopamine, en particulier, est impliquée dans l'association entre la mémoire et le plaisir physique. Le cerveau va donc garder un souvenir agréable des premières entrevues avec cette personne stimulante en compagnie de laquelle vous avez passé des moments plaisants, et vous pousser à revivre cette situation, encore, encore et encore. Lorsque ce n'est pas ou plus possible, le corps connaît une forme de sevrage brutal extrêmement douloureuse, que l'on pourrait comparer à un sevrage non désiré à la cocaïne. Douleur physique, sentiment de perdition, perte de confiance en soi, effets dépressifs : ce n'est pas là l'idylle que l'on vous avait promise.

Évidemment, les réactions à la séparation et au rejet varient considérablement en fonction des individus, des phases de la vie et des situations. Mais quand la douleur est au plus haut et la quantité de crème glacée au plus bas, pensez que le chagrin est là pour vous aider à résister à la tentation de l'isolement social. Et vous aider à survivre.